Intervention de Philippe Dallier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 novembre 2015 à 9h05
Loi de finances pour 2016 — « égalité des territoires et logement » et articles 54 à 56 bis - examen du rapport spécial

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier, rapporteur spécial :

S'il avait fallu trouver un titre à la séquence budgétaire de cette mission, j'aurais choisi « Rebudgétisation, débudgétisation ». Nous assistons à un double mouvement contraire qui conduit à une forte augmentation des crédits de la mission sans pour autant que cela suffise pour faire face à la situation en matière de logement et d'hébergement d'urgence. La mission voit ses crédits augmenter considérablement, avec + 32,26 % en autorisations d'engagement et + 33,46 % en crédits de paiement, pour atteindre 18,15 milliards d'euros et 17,89 milliards d'euros dans le projet de loi de finances initiale.

Cette hausse s'explique principalement par le transfert à l'État, dans le cadre de la montée en charge du pacte de responsabilité et de solidarité, de 4,7 milliards d'euros correspondant au financement de l'allocation de logement familiale (ALF), jusqu'à présent financée par le Fonds national des prestations familiales (FNPF), lui-même alimenté par la branche famille de la sécurité sociale. Une rebudgétisation du financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL) avait déjà été réalisée dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2015, à hauteur de 5,7 milliards d'euros : elle visait alors la partie des aides personnalisées au logement (APL) jusqu'à présent financée par la branche famille de la sécurité sociale. Le FNAL finance désormais les trois aides personnelles au logement, ALF, APL et ALS (allocation de logement sociale), ce qui a le mérite de la clarification et devrait - j'emploie le conditionnel volontairement - améliorer l'évaluation de la dépense.

Deux abondements de crédits ont été opérés à l'Assemblée nationale. D'abord, 96 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, pour couvrir les besoins liés à l'engagement de la France d'accueillir plus de 30 000 réfugiés d'ici 2017. Ensuite, 100 millions d'euros en autorisations d'engagement et 150 millions d'euros en crédits de paiement sont inscrits sur le programme 135 au titre du financement des aides à la pierre par l'État, conformément aux engagements du président de la République devant l'Union sociale pour l'habitat (USH). En seconde délibération, 10 millions d'euros ont été ajoutés en conséquence d'un amendement réduisant le champ d'application d'une mesure d'économie. La mission atteint ainsi 18,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 18,1 milliards d'euros en crédits de paiement.

Les crédits couvrent pour l'essentiel des dépenses inéluctables ou de guichet pour l'hébergement d'urgence et la veille sociale ou pour les aides personnelles au logement. Malgré ces crédits supplémentaires, la mission devrait encore être sous tension en 2016, comme depuis plusieurs années. Les crédits risquent de manquer pour la veille sociale et l'hébergement d'urgence mais aussi pour le financement des aides personnelles au logement.

Quant aux dépenses fiscales, elles s'élèvent à 12 milliards d'euros pour 2016, en baisse de 3,6 % par rapport à 2015, soit 500 millions d'euros. Si certains dispositifs éteints - dispositif d'incitation fiscale « Robien », déductibilité des intérêts d'emprunt - commencent à réduire leur impact sur la dépense annuelle, d'autres montent en charge, comme le dispositif d'incitation fiscale « Duflot », devenu « Pinel », qui passe de 85 millions d'euros à 240 millions d'euros entre 2015 et 2016. La réforme du prêt à taux zéro devrait également avoir un impact pour l'avenir.

Le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » bénéficie de 74,5 millions d'euros de crédits supplémentaires par rapport à 2015, avec 1,44 milliard d'euros inscrits en autorisations d'engagement et en crédits de paiement. En outre, un abondement de 69,85 millions d'euros a été opéré à l'Assemblée nationale au titre de l'accueil de réfugiés. On peut s'en féliciter. Pour autant, ces crédits sont systématiquement sous-évalués, et 2016 ne devrait pas échapper à la règle.

La prévision pour 2016 est d'ores et déjà inférieure de plus de 40 millions d'euros à l'exécution prévue fin 2015, si l'on tient compte du décret d'avance intervenu en octobre (pour 130 millions d'euros, dont 100 millions d'euros correspondant à l'écart entre l'exécution 2014 et le montant budgété pour 2015) et de l'inscription de 53,6 millions d'euros en projet de loi de finances rectificative. On nous annonce, ce matin, une ouverture de crédits de 40,1 millions d'euros à prendre sur les aides à la pierre dans le cadre d'un nouveau projet de décret d'avance. Soit ces aides à la pierre étaient inutiles en 2015, soit on fait traîner les dossiers. Financer ainsi l'hébergement d'urgence confirme que nous sommes en sous-budgétisation chronique. Je n'imaginais pas que la situation était aussi mauvaise.

Le programme 109 « Aide à l'accès au logement » couvre essentiellement les crédits consacrés au FNAL. La subvention d'équilibre de l'État s'élèverait à 15,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, soit plus de 85 % de l'enveloppe globale allouée à la mission. Les aides personnelles au logement n'ont cessé d'augmenter, de 25 % entre 2004 et 2013. Elles ont un fort effet redistributif et une bonne capacité à réduire le taux d'effort des ménages, comme l'a démontré l'enquête de la Cour des comptes que nous avions commandée en vertu de l'article 58-2 de la LOLF.

Cependant, le Gouvernement s'était fixé pour objectif de réduire ces aides personnelles au logement de 1 milliard d'euros en s'appuyant notamment sur les conclusions du groupe de travail de l'Assemblée nationale, présidé par François Pupponi. Les économies ne devraient finalement atteindre que 185 millions d'euros pour 2016. Si je suis favorable aux mesures retenues à l'Assemblée nationale, nous restons bien loin des ambitions affichées par le Gouvernement.

Quelles sont nos marges de manoeuvre ? Je regrette que le Gouvernement ait reculé sur les aides personnelles au logement attribuées aux étudiants, même si le sujet est sensible. Ceux qui profitent le plus du cumul des aides accordées aux étudiants (bourses sur critères sociaux, aides personnelles au logement et dépenses fiscales) appartiennent aux premiers déciles et aussi aux deux derniers déciles. Une solution simple consisterait à faire obligation aux familles de choisir entre les deux dispositifs. Le Gouvernement n'a pas voulu aller jusque-là, et l'Assemblée nationale s'est contentée d'adopter un amendement qui prive d'allocations les étudiants dont les parents sont redevables de l'impôt annuel de solidarité sur la fortune (ISF). Ce n'est que de l'affichage politique, car chacun sait qu'il peut y avoir une nette différence entre patrimoine et revenus. Je vous proposerai de supprimer cette mesure, tout en réitérant la nécessité de traiter le problème.

Une autre source d'économies consisterait à introduire le principe d'un taux d'effort minimal des bénéficiaires. Dans le parc social, certaines familles ont un taux d'effort très faible, inférieur à 5 %. Le principe d'un taux minimal serait plus équitable. D'où l'amendement que je vous proposerai en ce sens.

Le Gouvernement a choisi de reprendre une proposition du groupe de travail présidé par François Pupponi pour tenir compte de la valeur en capital du patrimoine des allocataires de l'aide personnelle au logement. Des mesures identiques existant déjà pour le revenu de solidarité active (RSA), une uniformisation des règles serait souhaitable. Cependant, l'Assemblée nationale a cru bon de fixer un plancher à 30 000 euros pour prendre en compte ce patrimoine dans le calcul de l'aide. Je vous proposerai de supprimer ce seuil pour aligner le fonctionnement de l'aide personnelle au logement sur celui du RSA.

Je suis favorable au dispositif proposé de dégressivité des aides au-delà d'un plafond de loyer, déterminé par zones, qui ne pourrait être inférieur à 2,5 fois le loyer plafond servant pour le calcul de l'aide. Cette mesure devrait réduire l'effet inflationniste des aides personnelles au logement, car les propriétaires fixent parfois les loyers en tenant compte des aides. Dans celles présentes dans le projet de loi de finances, nous devrions faire quelques économies supplémentaires, avec à celles que je vous propose, sans remettre en cause les aides personnelles au logement et en favorisant l'équité.

Je souhaite également demander un rapport au Gouvernement sur les modalités d'établissement d'une base de données interministérielle sur les logements, commune aux caisses d'allocations familiales (CAF), au ministère du logement et à la direction générale des finances publiques (DGFiP). Une telle interconnexion des fichiers ne pose pas de problème technique - croyez-en l'informaticien que je suis. L'objectif est de mieux connaître les logements des bénéficiaires des aides et de détecter les anomalies. La surface du logement pourrait également être, à terme, un critère pour l'attribution des aides personnelles au logement, avec un système de dégressivité. En jouant sur ce paramètre, on gagnerait en équité.

Outre la subvention de l'État, le FNAL disposerait également du produit des cotisations employeurs, pour 2,657 milliards d'euros. En vertu de l'article 54 du projet de loi de finances, il disposerait aussi d'une participation exceptionnelle de 100 millions d'euros d'Action logement, laquelle aurait en principe dû s'achever en 2015. On nous dit chaque année que c'est la dernière année ; espérons-le. Va aussi au FNAL le produit de la surtaxe sur les plus-values de plus de 50 000 euros issues des cessions de terrains autres que les terrains à bâtir, à hauteur de 45 millions d'euros. Cette ressource était jusqu'à présent attribuée aux aides à la pierre, par le biais du fonds de péréquation de l'article L. 542-11 du code de la construction et de l'habitation. Ces deux ressources constituent toutefois des contributions très modestes : 145 millions d'euros, pour 18,2 milliards d'euros de dépenses prévues.

Difficile d'imaginer que, contrairement aux années précédentes, le programme 109 n'aura pas besoin de crédits supplémentaires. J'en prends le pari : il y aura certainement des ouvertures de crédits en cours d'année. On est manifestement dans la sous-budgétisation. Bercy peine à boucler les budgets. Quand cela devient chronique à ce point, il faut s'en inquiéter. Voilà pourquoi je serai conduit à vous proposer de ne pas adopter les crédits.

Le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » était initialement marqué par une baisse des crédits de paiement au titre des aides à la pierre, avec seulement 100 millions d'euros inscrits pour 2016 complété d'un fonds de concours de 270 millions d'euros, pour 400 millions d'euros en autorisations d'engagement. Cela s'inscrivait dans une tendance constatée depuis quelques années de réduction de l'engagement de l'État. Toutefois, un abondement de 100 millions d'euros en autorisations d'engagement et 150 millions d'euros en crédits de paiement a été voté par l'Assemblée nationale, suite à l'annonce faite par le Président de la République au congrès de l'USH à Montpellier. Ces crédits supplémentaires sont bienvenus. Seront-ils pour autant consommés ?

Jusqu'à présent, les crédits budgétaires d'aide à la pierre s'amenuisent d'année en année : ils vont sans doute disparaître, comme le laisse augurer la création du Fonds national des aides à la pierre (FNAP), qui remplacera le fonds de concours géré par la CGLLS sur lequel pesait une incertitude juridique. Parions que ce FNAP, dans quelques années, ne sera plus alimenté que par des ressources extrabudgétaires. Il prendra la forme d'un établissement public qui décidera du montant des aides à la pierre et de leur programmation sur le territoire. Il a été proposé à l'Assemblée nationale que, dans la gestion de ce fonds, les représentants de l'État soient à parité avec ceux des bailleurs sociaux. Les députés n'ont pas souhaité qu'y participent des personnalités qualifiées, comme le proposait le Gouvernement - à juste titre, car la parité affichée est distordue en faveur de l'État par la présence de personnalités qualifiées. Il est logique de responsabiliser les bailleurs sociaux : qui paie, gouverne. Des représentants des collectivités territoriales et leurs groupements seront également dans le conseil. En revanche, je vous proposerai de supprimer la présence des membres du Parlement, qui ne me semble pas opportune.

L'essentiel du financement doit être apporté par la fraction des cotisations versées par les bailleurs sociaux à la CGLLS, qui verrait son taux maximal augmenter de 1,5 % à 3 %. Les suppléments de loyer de solidarité seraient également intégrés parmi les sources de financement, à hauteur de 75 %. Ainsi, la fraction issue des cotisations de la CGLLS passerait de 120 millions à 270 millions d'euros en 2016. À mon sens, la création du FNAP est un signe du désengagement de l'État. Cette année, 250 millions d'euros de crédits de paiement seront prévus, contre 270 millions d'euros pour les bailleurs sociaux. Bercy visait plutôt 100 millions d'euros pour le premier chiffre : la tendance est claire. De plus, 100 millions d'euros sont pris sur la trésorerie de la CGLLS à l'article 14 du projet de loi de finances : c'est une parfaite opération de recyclage, à des fins d'affichage. On comprend que les bailleurs aient du mal à l'admettre.

La soutenabilité financière de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), qui aide les foyers modestes à régler leurs problèmes de précarité énergétique, est un sujet très délicat. En 2014, elle avait dû stopper l'examen des dossiers car il n'y avait plus d'argent dans les caisses. En effet, l'ANAH est financée par le produit de la mise aux enchères des quotas carbone, dont le cours s'est effondré, en particulier en 2014. Il s'est rétabli en 2015, mais le fonds de trésorerie ne s'élevait plus qu'à 47,4 millions d'euros à la fin de l'année dernière.

Nous avons longtemps hésité : que proposer sur ces crédits ? L'an dernier, nous les avions rejetés. Fallait-il tenir compte cette année des efforts effectués ? Hélas, nous sommes très loin du compte, surtout pour l'accueil des réfugiés. Si la rebudgétisation des APL est une bonne chose, nous sommes encore loin des sommes nécessaires pour boucler l'année en ce qui concerne cette dépense de guichet. Le niveau des crédits consacrés à l'aide à la pierre est satisfaisant, même si la formule retenue ne plaît pas aux bailleurs.

Tout compte fait, ce budget n'est pas suffisamment sincère. C'est pourtant la première qualité que l'on en attend, quels que soient les objectifs politiques. Je vous propose donc de ne pas adopter les crédits de la mission « Égalité des territoires et logement ».

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