Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes du Sénat, qui a demandé l’organisation de ce débat parlementaire dix ans après le vote de la loi du 4 avril 2006, a publié un rapport-bilan de la décennie 2006-2016, dont le titre vaut constat : Un combat inachevé contre les violences conjugales.
Permettez-moi de citer en introduction de mon propos les articles 212 et 213 du code civil lus par les officiers d’état civil célébrant un mariage : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » ; ils « assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir. » Le respect mutuel est ainsi rappelé aux futurs mariés, tout comme l’autorité parentale à l’article 371-1 dudit code. Pourtant, comme l’a rappelé notre présidente Chantal Jouanno, les statistiques des violences conjugales sont toujours aussi cruelles. Nous pouvons donc être fiers que notre délégation ait contribué, depuis sa création, à l’émergence d’un droit nouveau, reconnaissant les violences conjugales comme un délit au même titre que toutes les violences.
En 2010, j’ai eu l’honneur de rédiger un rapport consacré à la violence au sein des couples – quels qu’ils soient, préciserai-je – sujet encore tabou, réalité occultée, le plus souvent perpétrée dans le huis clos familial avec un très faible taux de révélation. En effet, 90 % des victimes n’osent pas porter plainte par peur de perdre leur logement ou la garde des enfants. Pour éviter que le domicile conjugal ne devienne lieu de non-droit, nos travaux avaient conclu à de sages recommandations. Pour n’en citer que deux, je rappellerai l’ordonnance de protection des victimes et la pénalisation du harcèlement, y compris psychologique.
La loi de 2006 a renforcé la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, traduisant une prise de conscience collective à la fois sociale, judiciaire et législative. Dans son article 11, elle modifie le code pénal en faisant émerger le délit de viol entre époux. Si, en 1810, le « devoir conjugal » était une obligation qui rendait le viol inconcevable entre époux, ce n’est plus le cas aujourd’hui bien que les obstacles restent encore nombreux pour prouver cette infraction. La présomption de consentement a été supprimée par la loi de 2010, et toute relation sexuelle forcée par un conjoint constitue désormais un viol aggravé, puni de vingt ans d’emprisonnement aux termes de l’article 222-24 du code pénal.
Le volet législatif ayant trait aux violences conjugales ne cesse donc de se construire, délivrant un message clair à la fois aux auteurs et aux victimes des comportements anormaux qu’ils infligent ou qu’elles subissent.
À l’issue du bilan de cette décennie, nous avons formulé de nouvelles recommandations s’inscrivant dans la continuité des recommandations formulées en 2010.
La délégation salue la montée en puissance de l’ordonnance de protection et indique, par exemple, que la formation des magistrats doit aussi se faire au plus près de leur juridiction avec un réseau national de référents spécialisés, afin de mieux prendre en compte les victimes et les conséquences traumatologiques des violences subies. Les référents « violences » sont un maillon essentiel dans les tribunaux, les cours d’appel, les commissariats de police ou les brigades de gendarmerie, le domaine de la santé et le secteur médico-social. Il me semble également nécessaire que des référents « violences » soient nommés dans les écoles.
La délégation déplore que le financement des hébergements d’urgence reste encore trop fragile, tout comme l’accès au logement social.
Les boîtiers de téléprotection « grave danger » ayant fait leurs preuves, elle invite à les généraliser.
Enfin, les experts auditionnés ont insisté sur les dangers pour les victimes de recourir à la médiation pénale, même avec leur accord, dans les cas de violences familiales.
En 2010, j’avais souhaité mettre l’accent sur la formation des personnels à la prise en charge des victimes. Aujourd’hui, je pense que la priorité doit être donnée à la protection des enfants exposés aux violences physiques et psychologiques, dont le sort a trop longtemps été passé sous silence. Nous devons aller encore plus loin, les répercussions des violences conjugales sur l’enfant vulnérable étant désormais mieux connues et reconnues : syndrome de stress post-traumatique, retards dans le développement physique, troubles du comportement, conduites à risque, dépression, désinvestissement de la scolarité, brutalités à l’égard des autres, voire de la mère.
Ne perdons pas de vue que la majorité des séparations traitées par le juge aux affaires familiales sont conflictuelles. L’enfant est alors confronté à des questionnements de loyauté face à ses deux parents, et il devient ainsi objet de chantage.
En guise de conclusion, je tiens à réaffirmer que les violences conjugales sont illégales comme toute forme de violence. Elles s’inscrivent dans un rapport de domination par lequel l’un des conjoints s’assure le pouvoir sur l’autre. Les motifs qui justifient le passage à l’acte ne sont que des prétextes pour garantir le pouvoir recherché dans un rapport d’inégalité entre les deux parents.
La destruction par un autre de la capacité d’agir d’un sujet est l’objet même de la violence et de l’emprise comme l’affirme Édouard Durand, magistrat et membre du Haut Conseil à l’égalité entendu par la délégation le 17 novembre. Ce paradigme ne doit pas être supporté par les enfants. Il faut les aider à en sortir le mieux ou le moins mal possible, pour retrouver sécurité et stabilité, repères affectifs, éducatifs et sociaux.
Pour que le domicile conjugal ne soit plus un lieu de non-droit, les dispositions législatives ne suffisent pas. Elles doivent être accompagnées non seulement d’un effort de subvention aux associations de terrain, mais aussi de formation, d’éducation transversale et volontariste ainsi que, bien sûr, d’information à l’intention du grand public.