Intervention de Annick Billon

Réunion du 22 novembre 2016 à 15h15
2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales — Débat sur les conclusions d'un rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo de Annick BillonAnnick Billon :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la première pensée qui me vient à l’esprit est qu’un tel débat ne devrait pas avoir lieu. Nous ne devrions pas, en France, au XXIe siècle, avoir à traiter la question des violences conjugales. Nous ne devrions pas voir à la une des journaux des femmes ayant subi, pendant des années, parfois des décennies, les coups de leur mari – des cas inverses existent également, même s’ils sont bien plus rares. Ces situations devraient appartenir aux siècles passés, lorsque la femme n’était pas considérée comme l’égale de l’homme.

Pourtant, mes chers collègues, le débat qu’organise la délégation aux droits des femmes est important, essentiel, car les violences conjugales font toujours partie du quotidien de très nombreuses femmes. La désignation d’un rapporteur par groupe est le gage d’une réelle prise en compte de cette problématique par le Sénat, et je la salue vivement.

« Un combat inachevé » : le choix du titre du rapport de la délégation est évocateur. Depuis une quinzaine d’années, nous avons voté des lois – quatre grandes lois – et le Gouvernement a mis en œuvre quatre plans interministériels pour lutter contre ces violences. Les services concernés sont mobilisés, compétents, dévoués. Pourtant, comme le rappelait Chantal Jouanno, aujourd’hui encore, en France, une femme meurt en moyenne tous les trois jours victime de violences conjugales. Et c’est sans compter les nombreuses victimes de troubles psychologiques qui découlent d’années de haine et de violence !

Qu’est-il encore possible de faire pour lutter contre ce fléau ?

Lors des nombreuses auditions de la délégation, plusieurs intervenants ont appelé à une pause législative. Le rapport ne propose donc pas de nouvelle loi, mais plutôt une amélioration des procédures et des outils existants avec le cadre législatif en place. Je le souligne, car nous avons malheureusement trop souvent la tentation de recourir à la loi pour traiter toutes les questions auxquelles nous sommes confrontés.

Les procédures et outils que sont l’ordonnance de protection, le téléphone grave danger, ou TGD, et les mesures d’accompagnement existent et se développent. À ce titre, je voudrais revenir sur l’exemple du département de la Seine-Saint-Denis.

En tant qu’élue centriste, je suis particulièrement sensible aux expérimentations menées au sein des collectivités locales. Les outils que les structures locales développent sont le fruit d’un travail de terrain, d’une réflexion entre plusieurs acteurs, d’une véritable coordination visant l’efficacité concrète.

Ainsi, dans le cadre de l’observatoire départemental des violences envers les femmes, l’ensemble des acteurs concernés a mis en œuvre plusieurs expérimentations : la mise en place du dispositif de protection pour les femmes victimes de violences, le TGD, que je mentionnais à l’instant ; la montée en puissance des ordonnances de protection ; la prise en charge de la mesure d’accompagnement protégé des enfants ; la prise en charge des enfants mineurs orphelins lorsqu’un des parents a été tué par son conjoint.

L’ensemble de ces dispositifs fait l’objet d’une convention entre les acteurs, notamment l’observatoire départemental, le procureur de la République, le tribunal de grande instance, la direction de la sécurité de proximité, la direction centrale de la sécurité publique, des associations, la région, la préfecture.

Si ces mesures concernent avant tout la prise en charge de situations d’urgence, le département expérimente également la prise en charge des victimes sur le long terme via des consultations de psychotraumatologie. Je veux ici redonner les chiffres mentionnés dans le rapport : en 2014, 567 personnes, dont 444 femmes, 97 enfants et 26 hommes, ont pu bénéficier de cette prise en charge. Nous devons nous inspirer de ces initiatives et ne pas sous-estimer le mal-être résultant de violences antérieures ainsi que les troubles psychologiques qui en découlent.

La deuxième étape consiste à renforcer la cohérence judiciaire. À ce titre, les résultats variables de l’application de l’ordonnance de protection d’un département à l’autre démontrent la nécessité d’une formation de tous les acteurs en même temps.

La réponse judiciaire, pénale, est extrêmement importante, mais elle n’est pas à elle seule suffisante.

Je suis particulièrement sensible à la question de l’emprise à laquelle ont été confrontées les victimes de violences conjugales. Ces violences laissent très souvent des séquelles qui empêchent d’aller de l’avant et conduisent à ce qu’on appelle l’engrenage des violences, par lequel les victimes deviennent à leur tour auteurs. Cela peut être évité par une prise en charge psychologique sur le long terme. À ce titre, la prise en charge de l’enfant est essentielle. Quels que soient le degré et le niveau de violence, l’enfant est toujours victime.

Les conséquences des violences conjugales peuvent également être perpétuées par l’attitude de l’ex-conjoint s’agissant de la pension alimentaire. Permettez-moi de souligner à ce sujet la création d’une agence de recouvrement des pensions alimentaires dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, que nous venons d’adopter en première lecture.

J’ai été saisie, à l’occasion de l’examen de ce texte, d’une demande que je tenais à porter à votre connaissance s’agissant de la pension de réversion. Conformément au droit en vigueur, la pension de réversion est égale à 50 % de celle du fonctionnaire et elle est attribuée quels que soient l’âge et le montant des ressources du bénéficiaire. Ainsi, un conjoint violent, même condamné, peut bénéficier d’une pension de réversion. Peut-être pourrions-nous nous interroger sur une évolution possible des conditions d’attribution d’une pension de réversion au regard de condamnations pénales pour violences conjugales.

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