Intervention de Roland Courteau

Réunion du 22 novembre 2016 à 15h15
2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales — Débat sur les conclusions d'un rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo de Roland CourteauRoland Courteau :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on aurait pu croire qu’en ce début de XXIe siècle les violences à l’égard des femmes ne seraient qu’un lointain et mauvais souvenir, c'est-à-dire un mal d’un autre âge… On aurait pu croire qu’à l’aube du troisième millénaire la question des inégalités entre les femmes et les hommes appartiendrait à un lointain passé. La réalité nous rappelle de façon implacable qu’il n’en est rien et que des lois et des plans de lutte sont toujours et encore nécessaires aujourd’hui.

Certes, depuis une dizaine d’années, les choses bougent. Plusieurs lois ont été adoptées, plusieurs plans ont été lancés. Depuis, les tabous sont tombés. Depuis, le voile du silence pour les victimes s’est déchiré. Depuis, les victimes sont mieux protégées, les auteurs plus sanctionnés et la lutte contre les violences au sein des couples est une politique publique à part entière. Nous ne pouvons que nous en réjouir, madame la ministre.

Indubitablement, nous avons avancé, même si, force est de le constater, la délégation aux droits des femmes a relevé des lacunes persistantes dans la prise en charge des victimes, de leurs problèmes et de leurs souffrances. Dès lors, et au-delà des nombreux points positifs apportés par la loi du 4 avril 2006 – pardonnez-moi de rappeler qu’elle est issue d’une proposition de loi déposée sur mon initiative –, la loi du 9 juillet 2010, la loi du 4 août 2014 et les différents plans triennaux, la délégation a souhaité insister sur quelques pistes d’amélioration. Je n’en citerai que quelques-unes.

Je pense plus particulièrement à l’application de l’ordonnance de protection, dont les résultats sont très variables d’un département à l’autre. Nous souhaitons notamment que la convocation de l’auteur des violences se fasse systématiquement par voie d’huissier pour éviter des délais trop longs.

Concernant le téléphone grave danger, qui a déjà sauvé de nombreuses vies, nous souhaitons une augmentation de l’attribution des boîtiers sur tout le territoire. Madame la ministre, j’aurai l’occasion de revenir en décembre sur un autre dispositif électronique prévu par l’article 6 de la loi de 2010, plus précisément dénommé « anti-rapprochement ».

Nous nous sommes également interrogés sur le possible retrait systématique de l’autorité parentale par le juge en cas de meurtre d’un parent par l’autre et demandons au garde des sceaux de diligenter une mission d’information sur ce point.

Nous avons fait un certain nombre de recommandations sur la nécessité de mailler le territoire en solutions d’hébergement sécurisées, adaptées, afin de favoriser le travail de reconstruction physique et psychologique des victimes. Cela passera également par l’accès à des logements pérennes.

Nous devons par ailleurs poursuivre les efforts pour prendre en compte le traitement des violences psychologiques et organiser la formation des professionnels.

Comme le souligne le Haut Conseil à l’égalité, gardons-nous d’oublier les situations de vulnérabilité. Je pense en particulier aux jeunes femmes, aux femmes réfugiées, aux femmes handicapées et, bien sûr, aux enfants. Plus de 70 % des femmes handicapées seraient victimes de violences, le seul fait d’être une femme handicapée multipliant les risques de violences conjugales.

Nous insistons en outre sur une meilleure prise en compte de la situation des enfants victimes à part entière des violences conjugales, et pas seulement témoins. Il y a urgence, pour ces enfants comme pour leurs mères, à renforcer la prise en charge des conséquences psychotraumatiques des violences conjugales, qui peuvent les handicaper à vie. Or force est de constater que le dispositif français présente quelques faiblesses. C’est pourquoi la délégation propose la mise en place dans un premier temps d’un centre de psychotraumatologie par département.

Même remarque concernant le suivi des auteurs de violences, ceux-là mêmes qui pensent que la masculinité se définit par la domination et les droits sur les femmes – et c’est un homme qui vous le dit au nom des hommes ici présents – : des stages de responsabilisation s’avèrent nécessaires, mais la création de centres d’accueil, comme le Cheval bleu, à L’ensemble, ou le Home des Rosati, à Arras, l’est plus encore. Certes, un grand nombre de ces demandes représentent des coûts importants, mais ceux-ci doivent être rapportés au coût global de ces violences, que l’on estime à plus de 3, 7 milliards d’euros.

Cela étant, si nous voulons à moyen terme contribuer à éradiquer ce fléau que constituent les violences à l’égard des femmes, une information consacrée à la transmission des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons, à la lutte contre les préjugés sexistes devra être dispensée à tous les stades de la scolarité. C’est une disposition que j’avais contribué à introduire dans la loi de juillet 2010 et qui m’a permis, en quelque dix ans, de rencontrer plus de 12 000 élèves de collèges et de lycées et de les sensibiliser sur ce sujet. En effet, l’égalité des filles et des garçons est la première dimension de l’égalité des chances que l’école doit garantir aux élèves.

Avec la délégation aux droits des femmes, nous avons mené un véritable travail sur l’appréhension et la déconstruction des stéréotypes sexistes, aussi bien dans le monde des jeux et jouets, avec Chantal Jouanno, que dans les manuels scolaires, qui ne sont pas tous forcément des vecteurs d’égalité entre les femmes et les hommes, tant s’en faut. C’est pourquoi vous comprendrez ma stupéfaction en entendant le pape nous indiquer que « les manuels scolaires propagent un sournois endoctrinement à la théorie du genre ». Chers collègues, on peut être pape et mal informé.

L’école publique doit enseigner qu’il ne faut pas hiérarchiser entre un sexe et un autre et qu’il faut lutter contre le sexisme et les violences faites aux femmes.

Puisque nous baignons, hélas, dans les stéréotypes sexistes, sans parfois même nous en rendre compte, nous n’en apprécions que davantage encore le plan d’actions et de mobilisation contre le sexisme que vous avez lancé récemment, madame la ministre. Nous attendons l’annonce par vos soins du cinquième plan interministériel, confiants que nous sommes de sa pertinence au regard des efforts réalisés par le Gouvernement ces dernières années.

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