Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 22 novembre 2016 à 15h15
2006-2016 : un combat inachevé contre les violences conjugales — Débat sur les conclusions d'un rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Laurence Rossignol, ministre :

Une très large partie de ce budget est directement attribuée aux associations, qui mènent un travail tout à fait remarquable sur le terrain en prenant à bras-le-corps des situations complexes, délicates et bien souvent dangereuses, y compris pour les bénévoles. C’est pourquoi, dans le cadre du quatrième plan, douze associations ont bénéficié d’une convention pluriannuelle d’objectifs et de moyens pour près de 4 millions d’euros.

Le quatrième plan a permis de déployer des dispositifs de repérage, de protection et d’accompagnement sur l’ensemble du territoire. La dénonciation des violences a ainsi pu être mieux accompagnée.

Le 3919, numéro unique pour orienter les femmes victimes de toute violence, a été renforcé et rendu plus visible. Les intervenants et intervenantes du 3919 ont ainsi été en mesure de répondre à un véritable besoin, puisque ce sont plus de 50 000 femmes par an qui sont écoutées, contre seulement 25 000 avant le quatrième plan. Ce chiffre a donc doublé. Voilà un indicateur tangible de la libération de la parole des femmes sur les questions de violence.

De nouveaux lieux d’écoute de proximité ont également été ouverts. Le quatrième plan a permis de renforcer leur présence sur l’ensemble du terrain, puisque dix nouveaux départements ont pu être couverts. Nous disposons aujourd’hui de 327 lieux d’accueil dans la quasi-totalité des départements.

Toutefois, seulement 10 % des femmes victimes portent plainte. Or, comme le souligne votre rapport, la plainte permet de mobiliser tous les outils de protection et de sanction prévus par le droit pénal. C’est pourquoi le protocole « plainte » a été établi : il s’agit de réaffirmer le principe du dépôt de plainte et d’améliorer la réponse apportée à toute femme qui révèle une situation de violences auprès de la police ou de la gendarmerie. Désormais, quatre-vingt-dix ressorts de tribunaux de grande instance sont couverts et cinq supplémentaires le seront prochainement.

Pour que la victime puisse trouver, dès sa première visite en commissariat ou en brigade, les réponses utiles susceptibles de la rassurer sur l’hébergement, la prise en charge des enfants ou l’accompagnement judiciaire, social et sanitaire, 260 intervenants sociaux – soit une augmentation de plus de 40 % en trois ans – sont désormais présents dans les commissariats et brigades de gendarmerie, dans la quasi-totalité des départements.

De nouveaux dispositifs ont également été déployés pour mieux protéger les femmes victimes. Ainsi 1 550 nouvelles solutions d’hébergement d’urgence ont-elles d’ores et déjà été créées. Nous atteindrons donc l’objectif fixé par le Président de la République de 1 650 nouvelles places en 2017. Je le précise, 40 % d’entre elles sont situées dans des établissements spécialisés dans la prise en charge des femmes victimes de violences, tandis que 60 % sont situées dans le parc généraliste.

En outre, 1 737 ordonnances de protection ont été prononcées en 2015, soit une augmentation de 30 % par rapport à 2014. Même si de plus en plus de magistrats mobilisent cette ordonnance, sa mise en œuvre est très inégale selon les différents territoires, comme le souligne votre rapport.

Nous avons également généralisé le téléphone grave danger. Depuis septembre 2014, 530 TGD ont été déployés et attribués à plus de 600 femmes. Pour 89 % des alertes, il s’agissait d’une demande d’intervention. Dans 28 % des cas, l’alerte a conduit à l’interpellation de l’agresseur.

Par ailleurs, 160 espaces de rencontre existent désormais et permettent la continuité des relations entre l’enfant et son père, sans nouvelle mise en danger des enfants ou du parent victime.

Afin de responsabiliser les auteurs de violences au sein du couple, de prévenir la réitération des actes de violence, des stages de responsabilisation ont été expérimentés dans dix services pénitentiaires d’insertion et de probation. On dénombre quatre-vingt-quatre dispositifs dans cinquante-huit départements. Le décret qui permettra la généralisation de ce dispositif sur l’ensemble du territoire sera publié en janvier 2017.

Le bilan du quatrième plan le montre, les départements qui se sont lancés tôt dans l’expérimentation des différents dispositifs sont ceux qui se sont le mieux mobilisés. C’est par exemple le cas pour le téléphone grave danger : 89 TGD ont été déployés ces deux dernières années dans le Bas-Rhin ; 93 en Seine-Saint-Denis et 48 à Paris. Mais ces trois départements étaient précurseurs en la matière ! Quand on regarde la liste de la répartition des téléphones grave danger, on identifie précisément les départements dans lesquels ces téléphones ne constituent pas encore un outil dont les magistrats se sont suffisamment emparés.

La formation des professionnels, qui constitue un axe important du quatrième plan, sera également un volet essentiel du cinquième plan. Elle est primordiale, car en permettant aux professionnels de s’approprier les dispositifs existants, que nous élaborons au Parlement et que vous votez, nous nous assurons que ces derniers sont véritablement mobilisés. Elle permet d’améliorer le repérage, l’accompagnement et la protection des victimes.

Au terme du quatrième plan, ce sont plus de 300 000 professionnels qui auront été formés par la MIPROF. Dans les services d’urgence, nous avons formé des référents. Issus de 483 établissements de soins, ils sont au nombre de 575. Nous développons progressivement un formidable réseau de travailleurs sociaux, magistrats ou professionnels de santé, qui ne sont pas des spécialistes exclusivement dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes, mais sont formés, alors qu’ils exercent des disciplines diverses, à intégrer dans l’exercice de leur métier le repérage et l’accompagnement des femmes victimes de violences.

Malgré ces efforts, le phénomène des violences faites aux femmes reste massif. Faut-il pour autant se résigner, considérer l’action publique comme vaine et les violences comme une fatalité ? C’est, à mon sens, tout le contraire ! Il convient à la fois de mesurer les progrès réalisés et d’observer le maintien des violences à un haut niveau. Nous sommes face à une culture de la violence envers les femmes. Cela ne se résout pas uniquement par des lois et des dispositifs.

Nous disposons aujourd’hui d’outils concrets qui font leurs preuves lorsqu’ils sont mobilisés. Notre enjeu, désormais, est de tout mettre en œuvre pour permettre aux femmes d’accéder à leurs droits.

Plutôt qu’un combat « inachevé », je dirai que la lutte contre les violences faites aux femmes est un combat qui doit continuer d’être mené sans relâche. Un jour, je l’espère, celui ou celle qui sera à ma place ou à la vôtre, madame la présidente de la délégation, pourra dire que le combat est achevé. Malheureusement, cet horizon n’est pas encore accessible.

Pour le moment, nous avons la conviction qu’il ne faut jamais relâcher la lutte contre les violences faites aux femmes. Plusieurs de vos recommandations rejoignent les orientations du cinquième plan, notamment en ce qui concerne la formation des professionnels et la meilleure prise en charge des enfants victimes de violences conjugales.

Je révélerai au conseil des ministres qui se tiendra demain le contenu de ce cinquième plan. Je peux d’ores et déjà vous dire que nous consoliderons les dispositifs qui ont fait leurs preuves dans le cadre du quatrième plan, et cela grâce à une augmentation du budget alloué, qui a été multiplié par deux par rapport à 2014.

Afin de faciliter davantage la révélation des violences, le 3919 et le dispositif des intervenants sociaux dans les commissariats et brigades de gendarmerie seront consolidés, la formation des professionnels – médecins, policiers, gendarmes et, c’est nouveau, sapeurs-pompiers – qui constituent le premier recours des femmes victimes de violences sera systématisée.

Afin de mettre les victimes à l’abri, parfois dans l’urgence, les lieux d’écoute de proximité seront renforcés grâce à une plus grande amplitude horaire. L’offre d’hébergement d’urgence sera amplifiée pour parvenir à 2 000 places dédiées aux femmes victimes de violences et les dispositifs de protection dans l’urgence seront davantage et mieux mobilisés.

Afin de permettre la reconnaissance des violences subies et la condamnation des conjoints violents, les autorités judiciaires seront systématiquement informées des faits déclarés, le constat de preuve sera facilité et les professionnels de justice seront formés.

Afin d’accompagner les victimes vers une réelle autonomie, une offre de soins psychotraumatiques sera développée. Là encore, nous avons un effort de formation à mener, car nous ne disposons pas des ressources humaines nécessaires pour répondre aux besoins. Ce sera incontestablement l’un des sujets centraux de la lutte contre les violences faites aux femmes.

Vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, évoqué la question du viol conjugal. Pour révéler les violences, encore faut-il les identifier comme telles ! Nous lancerons demain une campagne sur les réseaux sociaux visant à déconstruire les stéréotypes associés aux violences. Pour la première fois, nous évoquerons dans une campagne officielle de communication publique le viol conjugal. Le slogan est le suivant : « Même si c’est sa femme, si elle ne veut pas, c’est un viol. »

Les enfants témoins de violences sont des victimes. Assister aux violences commises par le père sur la mère a des conséquences sur les enfants : en tant que témoins, ils deviennent des victimes. Un mari violent n’est pas un bon père, contrairement à ce qu’on entend encore parfois dans un certain nombre de professions.

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