Nous examinons aujourd'hui le projet de contrat d'objectifs et de moyens (COM) de France Médias Monde.
Ce document de programmation pluriannuelle intervient à un moment particulier par rapport à l'histoire de l'entreprise. Le précédent COM - conclu pour la période 2013-2015 - constituait une première étape, marquée par le rapprochement des différentes entités, qui a abouti, en particulier, à la signature de l'accord professionnel du 31 décembre 2015. Le nouveau COM, qui poursuit peu ou prou les mêmes objectifs, doit permettre de tracer une ambition commune à l'ensemble du groupe et favoriser les synergies dans un contexte marqué par des moyens budgétaires limités et donc des arbitrages nécessairement difficiles.
Comme l'a fait notre collègue Jean-Pierre Leleux à l'occasion de la présentation de sa communication sur le projet de COM de France Télévisions - mais peut-être avec des conclusions différentes... - je vous propose de vous présenter les éléments factuels de ce projet avant de lister les points particulièrement satisfaisants et ceux qui le sont peut-être moins.
Avant cela, je crois utile d'insister sur la spécificité de notre audiovisuel extérieur qui constitue - je crois pouvoir le dire - un outil irremplaçable. Le projet de contrat d'objectifs et de moyens que nous allons examiner s'inscrit à maints égards dans le prolongement du précédent, dont les résultats sont tout à fait significatifs et positifs. Ils sont le fruit du travail des équipes rassemblées autour de Marie-Christine Saragosse qui se démènent sur tous les continents pour faire vivre une présence et des valeurs françaises. On peut dire que ces résultats sont probablement ce qu'on peut obtenir de mieux compte tenu des moyens qui sont aujourd'hui consacrés à l'audiovisuel extérieur. Et c'est là que je souhaite en venir. Dans le monde troublé que nous connaissons, on constate que de nombreuses nations ont fait de l'audiovisuel extérieur une priorité et un enjeu géopolitique majeur, c'est le cas de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne mais c'est aussi le cas de la Russie, de la Chine, de certains pays du Golfe.
Mon regret principal est que notre pays n'ait pas encore pris ce chemin, se contentant d'essayer de maintenir ses positions avec le souci de maîtriser les moyens budgétaires consacrés à cette action. Je crois qu'un nouveau consensus est nécessaire qui donnerait un caractère de priorité politique à l'audiovisuel extérieur et qui permettrait à France Médias Monde de déployer véritablement ses savoir-faire. Ce peut être un enjeu des prochaines échéances démocratiques et je pense que chacun d'entre nous - dans nos familles politiques respectives - nous pouvons faire progresser cette idée.
J'en reviens maintenant à la présentation des données essentielles de ce COM.
Concernant le niveau des moyens et les grands choix tout d'abord. Les moyens se situent entre les scénarios 2 et 3 qu'avait conçus France Médias Monde dans le cadre de la négociation avec l'Etat, sachant que seul le 3ème scénario permettait le lancement de France 24 en espagnol. Je rappelle que, sur la période 2015-2020, le groupe devrait bénéficier de 23,1 millions d'euros de ressources publiques supplémentaires soit des crédits en hausse de +9,5%. Le COM n'entrant en application qu'en 2017, il me semblait logique de ne pas tenir compte de 2015 mais, même dans ce cas, l'enveloppe est sensiblement plus importante que lors du précédent COM. La présidente de France Médias Monde a évoqué devant nous une augmentation de 1,9% par an des recettes publiques contre 0,85% dans le précédent COM.
La part de la CAP allouée à l'entreprise, qui s'élevait à 244 millions d'euros en 2016, devrait progresser régulièrement pour atteindre 265,1 millions d'euros en 2020. Le plan d'affaires de FMM prévoit également une hausse sensible des ressources propres (+15,3%) et notamment de la publicité (+1,3 million d'euros).
Parmi les autres chiffres importants, on peut mentionner une baisse prévue de 4,2% des dépenses de structures sur la période 2015-2020 qui illustre l'intérêt du regroupement des fonctions support. Le montant de ces charges devrait ainsi se maintenir à un peu plus de 42 millions d'euros sur la période du nouveau COM.
Les frais de diffusion constituent un poste de dépense structurellement orienté à la hausse du fait notamment du passage à la HD. Les frais de distribution devraient ainsi augmenter de 13 % sur la période du COM pour atteindre 29,7 millions d'euros en 2020.
Les programmes connaissent une hausse contenue de leur coût sur la période du COM. Les programmes de RFI devraient augmenter de 5,9% à 53,9 millions d'euros, ceux de France 24 de 5 % à 57,8 millions d'euros et ceux de MCD de 6,8 % à 7,7 millions d'euros.
Les dépenses consacrées au numérique connaissent une hausse de + 23% sur la période du COM tandis que les moyens consacrés aux frais de marketing progresseront encore davantage à + 32,6 % afin de renforcer la notoriété des marques.
Enfin il convient d'observer que la masse salariale connaîtra une hausse de 7,7 % sur la période du COM qui s'explique par les conséquences de l'accord professionnel du 31 décembre 2015 qui engage une harmonisation sociale entre les personnels des différentes entités et les recrutements opérés notamment pour conduire le projet de déclinaison de France 24 en espagnol.
Concernant l'organisation même de l'entreprise, Marie-Christine Saragosse nous a confirmé que le Gouvernement avait souhaité maintenir des rédactions distinctes dans chacun des médias dans le prolongement du choix fait en 2012 à un moment où la priorité était de mettre un terme aux différents conflits sociaux.
J'en viens maintenant aux points qui me semblent particulièrement satisfaisants dans ce projet de contrat d'objectifs et de moyens.
Première satisfaction : c'est le lancement prévu en septembre prochain de l'antenne de France 24 en espagnol en Amérique latine, qui était particulièrement attendue. C'est le principal projet du COM pour un coût de 7,3 millions d'euros par an en année pleine. Vous vous souvenez sans doute que l'année dernière j'avais expressément demandé au Gouvernement de donner les moyens à France Médias Monde de mettre en oeuvre ce projet. Voilà qui est fait et qui suffit à donner une dimension particulière à ce COM. Ce projet est toutefois lancé « à l'économie », puisque seulement 6 heures de programmes quotidiens sont prévues aux heures de plus grande écoute et que la plus grande part de la rédaction située à Bogota sera constituée de journalistes locaux recrutés par une filiale de droit colombien. Mais c'est un premier pas et on ne peut que saluer l'implication prévue de la rédaction hispanophone de RFI qui illustre la transversalité du groupe ;
Le deuxième point de satisfaction concerne la participation de France 24 à la chaîne Franceinfo. Comme l'a expliqué la présidente de France Média Monde, lors de son audition, cette participation est importante en quantité de programmes comme en qualité. Elle motive beaucoup les personnels de la chaîne et constitue un facteur de différenciation important pour la nouvelle chaîne publique. À nos yeux, il s'agit là également d'un exemple concret de mutualisation des moyens ;
Le troisième point de satisfaction concerne la préservation d'un réseau qui compte peu d'équivalent dans le monde. Ce sont en effet 120 millions de personnes qui sont chaque semaine au contact des programmes de France Médias Monde et il est important de souligner que les programmes diffusés comme la ligne éditoriale veillent à défendre les valeurs qui sont attachées à notre culture politique comme l'indépendance de l'information, la laïcité, l'ouverture au monde... Comme l'a expliqué Marie-Christine Saragosse, les antennes de France Médias Monde proposent souvent un regard différent sur l'actualité et la conduite du monde. Elles représentent dans certains pays une des seules alternatives aux médias officiels et donc une fenêtre ouverte sur l'extérieur ;
La priorité donnée au numérique dans ce projet de COM constitue également une satisfaction. Le groupe continuera à privilégier la diffusion de ses contenus sur des plateformes tierces pour toucher de nouveaux publics et sa présence sur les réseaux sociaux, qui lui permet déjà de rassembler 50 millions d'abonnés, restera une priorité. Le partenariat avec la plateforme américaine Mashable sera poursuivi ;
Une autre satisfaction concerne l'engagement de France Médias Monde en faveur de l'éducation populaire et des grandes causes. Le site RFI Savoirs permet ainsi, en particulier, de faciliter l'apprentissage du français et l'accès à la connaissance. Le portail destiné aux migrants, qui est en voie d'élaboration, devrait s'inscrire dans la même logique ;
Un mot enfin sur l'entreprise elle-même et ses collaborateurs. C'est aussi un point fort de ce COM de pouvoir s'appuyer sur l'accord professionnel du 31 décembre 2015 qui permet de faire converger les conditions de travail et de rémunérations des différents personnels. Le groupe France Médias Monde a été créé au cours du précédent COM, il doit maintenant construire une culture commune et ce sont notamment les jeunes collaborateurs qui auront à accomplir cette mission en multipliant les collaborations entre les médias du groupe et les innovations.
Madame la présidente, mes chers collègues, après ces nombreux points satisfaisants, voici le moment d'aborder les sources d'insatisfactions. Certaines ne relèvent pas nécessairement de l'entreprise ou pourraient trouver des réponses dans le cours de la mise en oeuvre de ce COM, d'autres nécessiteraient de faire évoluer notre regard sur l'audiovisuel extérieur.
Un des points qui ne me semblent pas satisfaisants concerne le peu de cas qu'il est fait de la valorisation des médias de FMM sur le territoire national. France 24 bénéficiera certes de sa participation à la chaîne Franceinfo mais RFI et MCD ne se voient proposer aucune perspective dans ce projet de COM tout comme la version arabe de France 24. On peut comprendre la position des services du ministère de la culture et de la communication qui - conformément à la loi - estiment impossible de privilégier les antennes de France Médias Monde par rapport aux autres médias, notamment privés, qui demandent des fréquences. À mon sens, ce raisonnement ne répond pas à la situation de notre pays, qui justifie de promouvoir des médias de qualité et une information indépendante - y compris en arabe - pour répondre au défi de l'islamisme radical. Il manque un choix politique, aujourd'hui, sur ce point. Je souhaite au moins que des expérimentations puissent être faites sur certains territoires et que des technologies nouvelles comme la RNT puissent, à terme, ouvrir des perspectives nouvelles ;
Une deuxième limite de ce COM concerne le fait que le développement en Afrique à travers les langues vernaculaires risque de ne plus progresser en raison de l'insuffisance des moyens. La forte croissance démographique de l'Afrique comme son développement en font pourtant un territoire prioritaire pour FMM. Le 3ème scénario envisagé par le groupe public chiffrait à 25,3 millions d'euros les moyens nécessaires pour financer à la fois le développement en Amérique latine et en Afrique. On ne peut que regretter que cette enveloppe n'ait pas pu être mobilisée ;
3) Mon troisième regret porte sur l'absence de prise en compte du nouveau contexte créé par le Brexit pour définir les priorités de France Médias Monde. La sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne remet en question la place prédominante de l'anglais dans les institutions de l'Union et constitue une opportunité pour la francophonie. On aurait pu espérer que le projet de COM qui nous est présenté - avec un an de retard - tienne compte de ces enjeux, en prévoyant des moyens nouveaux et ambitieux pour renforcer la présence de France 24 et RFI dans des pays comme la Pologne - pays avec lequel nos relations sont devenues compliquées, la Belgique, siège des institutions européennes - ou la Grèce qui rencontre des difficultés avec ses médias. Il n'en est rien, ce qui illustre à mon sens un manque de vision géopolitique et de réactivité dans la gouvernance de l'audiovisuel extérieur. Je propose de sensibiliser le Gouvernement à cette question afin, si les moyens le permettent, de prendre des initiatives au cours de l'application du COM ;
4) Mon quatrième regret concerne la priorité à donner à la francophonie qui - à mon sens - devrait être réaffirmée dans ce projet de COM. Je comprends que la direction de France Médias Monde préfère privilégier l'audience dans certains pays en favorisant son antenne en anglais, mais ce ne peut être un argument suffisant pour les pouvoirs publics. Je souhaite en particulier que FMM reconsidère son projet de diffuser son antenne en anglais sur le futur canal de France 24 en espagnol en dehors des 6 heures quotidiennes qui seront diffusées dans la langue de Cervantès. Il ne me semble pas souhaitable que le français soit totalement absent de cette antenne - au bénéfice de l'anglais - sauf à prendre le risque de délaisser la vocation même de l'audiovisuel extérieur de la France. Je propose que nous sensibilisions la direction de France Médias Monde à ce sujet.
Mes chers collègues, la présentation que je viens de vous faire du projet de COM de France Médias Monde reconnaît les avancées réelles et les moyens importants qui sont prévus mais elle ne fait pas l'impasse sur les difficultés et les marges d'amélioration. Je crois pouvoir dire que ces dernières ne dépendent, pour l'essentiel, ni de l'entreprise ni de la Ministre de la culture et de la communication qui - à l'évidence - a obtenu des arbitrages favorables.
Si nous voulions aller plus loin, nous sentons bien qu'il faudrait une impulsion politique supérieure appuyée sur un consensus transpartisan. Je crois, madame la présidente, que notre commission peut jouer un rôle pour porter cette aspiration et favoriser l'acceptabilité sociale de cette ambition.
En attendant, nous pouvons, je crois, reconnaître que les résultats du précédent COM comme les priorités de ce nouveau contrat constituent un socle de qualité qui permet tous les espoirs. Je vous propose donc que nous donnions un avis favorable à ce COM 2016-2020 tout en faisant part au Gouvernement et à l'entreprise de nos souhaits d'amélioration.