Intervention de Corinne Bouchoux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 30 novembre 2016 à 9h30
Proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique deuxième lecture — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Corinne BouchouxCorinne Bouchoux, rapporteure :

Merci à tous ceux qui soutiennent cette proposition de loi au sein de notre commission. Il y a maintenant un an, nous avons ouvert un chemin vers une évolution majeure pour l'audiovisuel public et son entreprise la plus importante, France Télévisions, en adoptant le principe de la suppression des publicités autres que les messages de prévention dans les programmes de la télévision publique prioritairement destinés aux enfants de moins de 12 ans. Afin de sanctuariser ces programmes, la restriction s'applique quinze minutes avant et après leur diffusion. Elle s'applique aussi à tous les messages diffusés sur les sites Internet des diffuseurs publics.

Cette interdiction, que nous avons adoptée ensemble, est à la fois ciblée, complète et adaptée au service public de l'audiovisuel.

Notre interdiction est ciblée parce qu'elle concerne les enfants de moins de 12 ans. Les adolescents qui disposent d'un esprit critique et d'un jugement plus autonome ne sont pas visés. Notre proposition de loi se concentre sur le public le plus fragile, les enfants, qui ne sont pas capables de faire la différence entre le personnage dans le dessin animé et le même personnage qui apparaît quelques secondes plus tard pour vanter les mérites d'une boisson sucrée ou d'une barre chocolatée industrielle. Je rappelle à cet égard que l'Association nationale des industries alimentaires (Ania) a recommandé dès 2008 à ses membres de ne pas recourir aux messages publicitaires destinés aux enfants de moins de 12 ans. Il existe donc déjà un consensus sur ce sujet.

Notre interdiction est complète parce qu'elle vise à la fois le linéaire, le délinéaire et le numérique. Le service public deviendra un espace de confiance pour les parents, ce qui devrait constituer un avantage comparatif et compétitif essentiel. La proposition de loi renforce l'identité et la spécificité du service public.

Notre interdiction, enfin, est adaptée puisqu'elle ne concerne pas les chaînes privées, soumises à une autorégulation sous le contrôle du CSA. Je vous renvoie à l'annexe de notre dernier rapport rappelant la charte signée, à date d'effet de janvier 2014. Nous attendons de façon imminente le rapport pour l'année en cours. D'ailleurs, c'est le CSA qui s'était porté volontaire pour assurer ce rôle d'autorégulation. Je tiens à démentir les rumeurs agitées par certains lobbies : cette proposition de loi n'interdit pas la publicité sur les chaînes privées pour la simple raison qu'une une telle interdiction ferait disparaître les programmes jeunesse de ces chaînes, puisqu'ils sont financés par la publicité, ou bien nous obligerait à leur attribuer une part de contribution à l'audiovisuel public puisqu'elles s'apparenteraient alors à des chaînes de service public. Une telle interdiction n'est, de surcroît, tout simplement pas possible compte tenu de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.

Revenons sur la philosophie de cette proposition de loi, afin de dissiper les craintes. Notre idée n'est pas de condamner la publicité ni de stigmatiser certains produits. Je reconnais volontiers que la consommation d'une barre chocolatée de temps en temps ou d'un verre de boisson gazeuse ne constituent pas une menace pour la santé dès lors que les parents sont attentifs à éviter que cela tourne à l'habitude.

Le problème est que, dans de nombreuses familles, la télévision est devenue une baby-sitter. Les enfants sont laissés devant des heures durant sans surveillance, attisant la convoitise de grands industriels qui peuvent leur inculquer des réflexes alimentaires nocifs ou les formater pour acheter leurs produits. Mme Chantal Jannet, membre de l'Union nationale des associations familiales (Unaf), avait très justement déclaré l'année dernière, devant moi, que la publicité a pour but de structurer l'enfant, dès trois ans, afin d'en faire un futur client.

N'oublions pas, non plus, quelles entreprises font de la publicité à la télévision : ce sont les grandes multinationales. Nos PME et nos artisans sont, au contraire, victimes du rouleau compresseur des techniques du grand marketing.

Dans ces conditions, l'objectif de la proposition de loi est de proposer aux familles un espace sanctuarisé, un espace de confiance où l'on saura que les enfants sont protégés face aux stratégies des industriels qui - comme les fabricants de tabac - ne font aucun sentiment et ne reculent devant rien pour vendre leurs produits.

J'attire à ce sujet votre attention sur un article du journal Les Échos de la semaine dernière qui explique qu'un géant mondial de la confiserie fait assembler les jouets de ses sucreries par des enfants de moins de six ans en Roumanie. On ne peut pas accepter de telles pratiques.

Le seul but de ces entreprises est de vendre le maximum de produits avec le minimum de contraintes, en maximisant leur marge, par exemple en modifiant la composition des produits alimentaires afin d'en abaisser le coût. Voilà la réalité à laquelle nous devons faire face en tant que législateur.

Où en sommes-nous aujourd'hui de cette proposition de loi qui a beaucoup fait parler d'elle ? L'Assemblée nationale a examiné le texte le 14 janvier 2016 et a adopté conforme l'article 2 relatif à l'interdiction de la publicité dans les émissions jeunesse de France Télévisions. Elle a également modifié la rédaction de l'article 1er relatif à l'autorégulation.

L'État et le groupe France Télévisions ont tiré toutes les conséquences de cette adoption conforme dans le projet de contrat d'objectifs et de moyens du groupe public puisque celui-ci intègre une baisse des recettes de publicité de 20 millions d'euros qui correspond au manque à gagner pour la publicité dans les émissions destinées à la jeunesse. Je note que cette perte de recettes est au moins partiellement compensée par la réforme du parrainage et le dynamisme des recettes de la publicité numérique - la presse estime l'effet de rattrapage à 30 millions d'euros.

Je tiens à saluer le travail de notre collègue députée Michèle Bonneton, rapporteure de la proposition de loi au nom de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Son rapport, comme le mien, est sans ambiguïté sur les effets nocifs de la publicité télévisée autour des programmes destinés à la jeunesse et l'insuffisance des dispositifs actuels d'encadrement. La seule réserve de l'Assemblée nationale concernait les ressources de France Télévisions. Les incertitudes sur ce point ont été levées par le Gouvernement, qui y a répondu dans le cadre de la programmation budgétaire.

Nous pouvons donc considérer que le principal obstacle soulevé - à juste titre - par nos collègues socialistes lors de la discussion au Sénat a reçu une réponse positive de la part du Gouvernement. Sur le fond, nous n'étions pas en désaccord. Je rappelle à cet égard que la seule réserve formulée par le CSA était également de nature budgétaire.

La deuxième lecture se présente aujourd'hui de manière très différente. L'article 2 ayant été adopté conforme à l'Assemblée nationale, il ne reste plus qu'à examiner l'article 1er qui a été modifié par les députés afin de préciser que les messages publicitaires diffusés par les services de télévision dans les programmes destinés à la jeunesse sont réglementés par un décret en Conseil d'État. À titre personnel, je ne juge pas cet ajout nécessaire ; j'estime que l'autorégulation sous le contrôle du CSA doit être poursuivie. Par ailleurs, il existe déjà un décret en Conseil d'État du 27 mars 1992 qui règlemente les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat. Dans mon esprit, le plus simple serait de considérer que le décret mentionné par l'article 1er est en réalité celui de 1992.

J'observe d'ailleurs que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale ne permet pas d'aller plus loin que le droit existant car elle ne mentionne ni la possibilité d'une limitation nouvelle ni celle d'une interdiction de la publicité. De telles contraintes imposées aux diffuseurs relèveraient expressément de la loi et ne sauraient être laissées à l'appréciation d'un décret, fût-il en Conseil d'État.

La modification ainsi introduite n'a en réalité aucune portée réelle. C'est pourquoi je vous proposerai de ne pas y revenir, afin d'éviter de poursuivre la navette, ce qui, compte tenu du calendrier parlementaire et de la suspension de nos travaux en séance à venir, reviendrait à enterrer cette proposition de loi.

Je suppose que vous avez reçu le message de l'Unaf, qui rappelle que l'objectif de supprimer la publicité dans le cadre des programmes destinés à la jeunesse recueille un large assentiment des familles et considère qu'en valorisant les messages pour la santé et le développement des enfants, la proposition de loi agit tant sur la protection de l'enfant que sur la prévention, soutient le texte tel qu'il nous est soumis aujourd'hui.

L'an dernier, 71 % des Français soutenaient ce texte. Selon un sondage réalisé par l'Ifop en septembre dernier, cette proportion est aujourd'hui de 87 %.

Le rapport publié par le bureau européen de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) le 4 novembre dernier, intitulé La lutte contre le marketing des aliments pour enfants dans un monde numérique : perspectives transdisciplinaires, dénonce le marketing numérique très agressif des industriels et insiste sur les risques particuliers de la publicité en ligne pour les enfants, ce qui rend encore plus nécessaire la sanctuarisation de sites publics dépourvus de publicité à destination des enfants, comme le prévoit la proposition de loi.

En conclusion, je vous propose d'adopter ce texte sans modification afin d'envoyer un message clair aux familles, pour assurer la protection des enfants, ainsi qu'aux chaînes publiques, pour qu'elles continuent à renforcer la spécificité de leur programmation et à donner tout leur sens aux principes du service public qui les animent et que nous partageons tous.

Cette proposition de loi suscite désormais un large consensus, notamment parce que le Gouvernement a tiré toutes les conséquences du travail parlementaire. Un vote le plus large possible de notre commission renforcerait l'image du Sénat comme force de proposition et d'action au service de nos concitoyens, notamment les plus jeunes, comme cela a été le cas autour la proposition de loi de M. Jean-Léonce Dupont sur la sélection des étudiants en fin de L3, il y a quelques semaines.

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