La directive sur les services de médias audiovisuels, dite SMA est un texte important. Anciennement nommée directive « Télévision sans frontières », elle est emblématique des combats que la France porte à Bruxelles depuis de nombreuses années au nom de la diversité culturelle.
Ce texte organise depuis 1989 un marché unique des services de médias audiovisuels. D'abord limité aux chaînes de télévision, il s'est ensuite élargi aux services non-linéaires, principalement les services de vidéo à la demande. Pour ce faire, il propose une harmonisation minimale des politiques de l'audiovisuel des États membres, sur le principe de la libre prestation de services dans le marché intérieur. En raison de la nature spécifique des programmes et contenus audiovisuels qui ne peuvent être réduits à la seule dimension économique, la directive comporte depuis l'origine un certain nombre d'objectifs d'intérêt général relatifs au pluralisme des médias, à la promotion de la diversité culturelle ou à la protection des consommateurs, notamment des mineurs.
La dernière révision du texte date de 2007, soit presque dix ans. Une éternité, serais-je tenté de dire, au regard des bouleversements que le secteur audiovisuel connaît sous l'effet de la révolution numérique. Alors que les services de vidéo à la demande en étaient à leurs balbutiements en 2007, nous parlons aujourd'hui de télévision connectée, de convergence des médias... Les analystes ne se perdent plus en conjectures sur une éventuelle disparition de la télévision linéaire classique mais plutôt sur la date à laquelle cette disparition interviendra. De nouveaux acteurs sont apparus, souvent d'origine extra-européenne, qui redistribuent les cartes du jeu concurrentiel et deviennent une menace pour la pérennité du modèle européen.
Il devenait donc urgent d'adapter la législation européenne à la transformation du paysage médiatique. La Commission européenne s'est saisie de la problématique dès 2013 en engageant une phase de consultation et d'évaluation qui a abouti à la proposition de révision de la directive SMA de mai 2016 qui retient notre attention aujourd'hui.
Plus qu'une révolution, la Commission européenne propose une évolution du dispositif de la directive. Procédant par petites touches, intervenant là où des problèmes ont été identifiés, la Commission a pour objectif de rééquilibrer les règles du jeu entre les chaînes de télévision et les nouveaux acteurs de l'audiovisuel, et de réduire les distorsions de concurrence liées aux asymétries de régulation entre États membres.
Pour cela, elle suggère d'élargir le champ d'application de la directive aux plateformes de partage de vidéos, dans le but de les responsabiliser dans le cadre de la protection des mineurs et des consommateurs. Elle s'engage à renforcer le soutien à la création d'oeuvres audiovisuelles européennes, à travers, d'une part, l'obligation faite aux SVoD de proposer au moins 20 % de contenus européens à leurs utilisateurs, et, d'autre part, une dérogation partielle au principe du pays d'origine. Cette dérogation autorisera les États ciblés par un SVoD établi dans un autre État membre à demander le versement d'une contribution à la production d'oeuvres européennes, ce que j'appellerais du point de vue français la contribution Netflix... La Commission souhaite également l'assouplissement des règles applicables aux télévisions en matière de publicité commerciale, pour les aider à faire face au déclin de leur marché publicitaire et à la concurrence des acteurs du net. Enfin, elle préconise la reconnaissance et le renforcement du rôle des autorités de régulation de l'audiovisuel au niveau national, et à l'échelle européenne, avec l'institution d'un groupe des régulateurs européens pour les services de médias audiovisuels, baptisé ERGA selon l'acronyme anglais.
Je salue ces avancées positives. Cette proposition répond à plusieurs demandes françaises, en particulier en ce qui concerne le soutien à la création. On peut cependant regretter que la Commission européenne ne porte pas plus avant la logique de rééquilibrage et d'harmonisation des conditions de concurrence entre les différents acteurs du secteur audiovisuel.
Je constate notamment que la Commission européenne, qui affiche pourtant la volonté de clarifier et simplifier les règles, continue de raisonner de manière cloisonnée et de prévoir des règles différenciées pour les télévisions, qui sont les plus encadrées, les SVoD et les plateformes vidéo. Je suis pour ma part favorable à la solution proposée par les rapporteurs du Parlement européen, à laquelle souscrivent également Colette Mélot et André Gattolin, de définir des règles de base communes applicables à tous les services. Ces règles regrouperaient la lutte contre l'incitation à la violence ou à la haine, et contre la discrimination, la protection des mineurs face aux contenus préjudiciables, la publicité commerciale, la protection des oeuvres cinématographiques et la chronologie des médias, les droits d'information aux destinataires d'un service, les exigences en matière de co-régulation, autorégulation et codes déontologiques.
La définition des plateformes de partage de vidéos est par ailleurs trop restrictive. La Commission européenne ne vise que les plateformes qui « stockent » en quantité importante des vidéos d'utilisateurs, sur le modèle de YouTube et Dailymotion. Or, de nombreuses plateformes, à commencer par celles des médias sociaux, fondent une part non négligeable de leur activité sur la diffusion, la recommandation ou la reprise de vidéos d'utilisateurs, sans les stocker. Si l'on souhaite protéger les mineurs et empêcher la propagation de discours de haine, c'est la diffusion qu'il faut viser ! C'est pourquoi en accord avec les auteurs de la proposition de résolution, je souhaiterais que la définition relative aux plateformes soient étendue aux plateformes qui « mettent à disposition » des vidéos.
Les plateformes de partage de vidéos servent malheureusement trop souvent de vecteur de communication pour des messages à caractère haineux et faisant l'apologie du terrorisme. À la suite des attentats qui ont durement touché notre pays, je souhaiterais par conséquent qu'au-delà de la notion d'incitation à la haine et à la violence une référence explicite à l'apologie du terrorisme soit incluse dans la directive.
En matière de diversité culturelle, la proposition de directive pêche également par manque d'ambition. Exiger un minimum de 20 % d'oeuvres européennes dans les catalogues de SVoD est insuffisant. C'est bien sûr un progrès car ces services n'ont actuellement pas d'obligation chiffrée. Cependant, les télévisions sont contraintes depuis des années de diffuser 50 % d'oeuvres européennes ; d'après plusieurs études, les SVoD en Europe, dont un service paneuropéen comme Netflix, proposent déjà près de 30 % de contenus européens. Dans ces conditions, la proposition de nos collègues Colette Mélot et André Gattolin de fixer un quota minimum de 40 % d'oeuvres européennes pour les SVoD me semble équilibrée et plus conforme à l'objectif de rétablir des conditions de concurrence équitable entre services linéaires et SVoD.
De même, dans la mesure où l'on souhaite favoriser une concurrence loyale entre fournisseurs de SVoD, je suggère que les services établis à l'étranger soient soumis aux règles du pays qu'ils visent en matière de quotas d'oeuvres européennes ainsi que de protection des mineurs. En d'autres termes, la dérogation au principe du pays d'origine prévue par la Commission européenne devrait être étendue et ne pas se limiter à la contribution au financement des oeuvres audiovisuelles européennes.
Sur les règles applicables aux télévisions en matière de publicité, je considère que le raisonnement de la Commission européenne est intéressant. Alors que les télévisions subissent de plein fouet la concurrence des acteurs du net sur le marché publicitaire, la proposition de directive accorde aux chaînes davantage de liberté pour qu'elles disposent au mieux de leurs espaces publicitaires et en tirent un meilleur revenu. C'est le sens de la proposition - que je soutiens - qui supprime la limite de 20 % de publicité par heure d'antenne (soit 12 minutes) pour y substituer une limite générale de 20 % entre 7 heures et 23 heures. Je crois toutefois, à l'instar de nos collègues de la commission des affaires européennes, que la plage de 7 heures à 10 heures correspondant aux programmes consacrés à la jeunesse ne devrait pas être concernée et qu'il convient de conserver le plafond actuel de 12 minutes par heure.
La Commission européenne propose aussi d'autoriser une troisième coupure publicitaire par heure de programme (toutes les 20 minutes) et d'admettre le recours au placement de produits dans les programmes, sauf exception. Ces mesures destinées à redynamiser le marché publicitaire des télévisions me semblent plus contestables. La troisième coupure publicitaire est un risque de dérive vers une télévision à l'américaine et nous ne pouvons pas être favorables à une mesure qui porterait ainsi atteinte à l'intégrité des oeuvres diffusées. Nous devons soutenir les auteurs sur ce point. Quant au placement de produits, je préconise le maintien du régime actuel d'une interdiction de principe, sauf exception, qui ne ferme pas la porte à cette pratique mais l'encadre strictement. Là encore, des dérives seraient à craindre et il convient d'éviter pour les téléspectateurs la confusion entre information et publicité.
Quant aux autorités de régulation de l'audiovisuel, la proposition de directive pose le principe de leur indépendance à l'égard des gouvernements et de l'industrie afin qu'elles agissent au mieux de l'intérêt des téléspectateurs. C'est un signal important à l'heure où certains régulateurs, en Grèce, en Pologne, en Hongrie, ou dernièrement en Croatie, connaissent des difficultés. La Commission définit toutefois une liste des critères de l'indépendance trop détaillée pour prendre en compte les différences d'organisation du secteur audiovisuel au sein des États membres. L'Allemagne y entrevoit de nombreuses difficultés en ce qui la concerne. Comme nos collègues de la commission des affaires européennes, je pense qu'il faut laisser aux États membres une marge de manoeuvre suffisante, conformément au principe de subsidiarité.
Je vous proposerai un amendement en ce sens à l'alinéa 44 de la proposition de résolution de la commission des affaires européennes.
Enfin, je tiens à remercier Colette Mélot et André Gattolin qui ont bien voulu m'associer à l'ensemble de leurs auditions. Nos travaux et nos échanges se sont déroulés dans un excellent esprit de collaboration et d'enrichissement mutuel et la proposition de résolution que nous examinons est le fruit d'une réflexion commune.
La Commission européenne a présenté un texte qui a ses mérites, car il constitue par bien des aspects un progrès par rapport à la législation actuelle. Il donne cependant le sentiment d'une révision a minima. La proposition de résolution donne au contraire des lignes directrices abouties et cohérentes pour répondre au défi de la transformation du secteur audiovisuel et établir une concurrence équitable entre ses acteurs.
Je vous proposerai par conséquent d'adopter la proposition de la commission des affaires européennes, après modification par l'amendement à l'alinéa 44 que je vais vous soumettre.