La commission des finances a été notifiée mardi dernier d'un projet de décret d'avance - ce qui est relativement classique en cette période de fin d'année - portant ouverture et annulation de crédits à hauteur de 1,7 milliard d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.
Conformément à l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), notre commission doit faire connaître son avis sur ce projet de décret au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de sa notification.
Le recours au décret d'avance constitue une exception au principe de l'autorisation parlementaire des crédits. C'est pourquoi il est strictement encadré par la loi organique relative aux lois de finances, qui définit quatre conditions de validité du recours au décret d'avance.
Ainsi, les annulations doivent être au moins égales aux ouvertures, afin de ne pas affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. Les montants de crédits ouverts ne doivent pas dépasser 1 % des crédits prévus en loi de finances initiale et les crédits annulés ne peuvent être supérieurs à 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours.
Ces trois premiers critères purement mathématiques sont respectés.
Cependant, une part substantielle des annulations est artificielle : en effet, alors que 672 millions d'euros sont annulés sur la mission « Défense », la réouverture des crédits est d'ores et déjà prévue par le projet de loi de finances rectificative en cours d'examen à l'Assemblée nationale. J'y reviendrai.
Le dernier critère, celui de l'urgence, est plus qualitatif. Je souscris à l'analyse de la Cour des comptes selon laquelle l'urgence signifie à la fois que l'ouverture des crédits doit être nécessaire et que le besoin budgétaire était imprévisible.
La vérification du caractère urgent des dépenses supplémentaires exige un examen détaillé des ouvertures.
Les ouvertures prévues par le présent projet de décret d'avance concernent douze missions et se répartissent en quatre grands ensembles : 831 millions d'euros, soit près de la moitié des ouvertures, visent à financer les opérations extérieures (Opex) et intérieures du ministère de la défense ; 700 millions d'euros, soit 40 % des ouvertures, concernent la masse salariale de l'État ; 105 millions d'euros sont ouverts au titre de divers dispositifs d'intervention, en particulier les bourses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur, le service civique et l'aide à la recherche du premier emploi, l'ARPE ; enfin, 100 millions d'euros, soit près de 6 % des ouvertures, sont liés au financement de l'hébergement d'urgence - un phénomène récurrent, comme le rapporteur spécial Philippe Dallier pourra nous le confirmer.
Presque tous ces postes de dépenses ont déjà fait l'objet d'ouvertures par décret d'avance en fin de gestion les années passées. Il est donc difficile de considérer que les besoins sont imprévisibles ! La sous-budgétisation des Opex ou de l'hébergement d'urgence est récurrente et dénoncée ab initio lors de l'examen de chaque projet de loi de finances de l'année.
En outre, les crédits ouverts par le présent projet de décret d'avance doivent être analysés en tenant compte du projet de loi de finances rectificative, en cours d'examen à l'Assemblée nationale.
Le présent projet de décret d'avance s'inscrit en effet au sein du schéma de fin de gestion pour 2016, c'est-à-dire de l'ajustement en fin d'exercice des crédits alloués afin d'éviter des impasses budgétaires tout en assurant le respect de la norme de dépenses.
Les ouvertures auxquelles procède le décret d'avance sont concentrées sur les besoins les plus urgents, pour lesquels les délais associés au vote du projet de loi de finances rectificative poseraient des problèmes : les
crédits de personnel et d'intervention en forment donc, comme chaque année, la plus large part, dans la mesure où le Gouvernement ne peut différer le paiement du traitement des fonctionnaires ou de certaines allocations.
Si l'ouverture de crédits par décret d'avance en fin d'année constitue une procédure somme toute classique, l'ampleur du schéma de fin de gestion pour 2016 mérite quant à elle d'être relevée. Ce sont ainsi 7 milliards d'euros en crédits de paiement qui doivent être ouverts, dont 1,7 milliard d'euros par décret d'avance et 5,3 milliards d'euros par le projet de loi de finances rectificative, auxquels il faut ajouter 539 millions d'euros de redéploiement des fonds issus du programme d'investissements d'avenir, ou PIA.
L'importance du schéma de fin de gestion pour 2016 confirme le constat fait en 2015 : les redéploiements en fin d'année sont de plus en plus importants, car le Gouvernement peine à tenir le cap qu'il s'est fixé en loi de finances initiale.
C'est la raison pour laquelle 831 millions d'euros de crédits doivent être ouverts au profit des opérations extérieures (Opex) et intérieures (Opint) du ministère de la défense. Sur ce total, 686 millions d'euros financeraient les Opex et 145 millions d'euros les Opint.
La répartition du coût des opérations extérieures est précisée dans le tableau qui figure sur le document vous ayant été distribué ; je pourrai y revenir, si vous le souhaitez.
La sous-budgétisation de ces opérations en loi de finances initiale est manifeste : au total, le besoin de financement des Opex en 2016 est plus de 2,5 fois supérieur aux crédits alloués en budgétisation initiale. Concernant les opérations intérieures, l'exécution devrait être 5,6 fois plus importante que la dotation votée en loi de finances initiale.
L'écart à la prévision en 2016 est le plus important constaté sur la mission depuis plus de quinze ans. L'insincérité de la budgétisation initiale nuit à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement et fragilise l'exécution budgétaire de la mission « Défense ».
Si la nécessité d'une ouverture rapide des crédits ne peut être contestée, l'imprévisibilité de la dépense ne paraît pas établie.
Le deuxième grand poste de dépense nécessitant des ouvertures concerne la masse salariale de l'État. Cette dernière a donné lieu à des ouvertures de crédits en fin de gestion chaque année depuis 2012. Près de 700 millions d'euros sont ouverts à ce titre, un dérapage inédit depuis le début du quinquennat et supérieur de 290 millions d'euros à la moyenne du dépassement constaté entre 2012 et 2016 sur ce poste.
Au total, six ministères, en dehors de celui de la défense, sont concernés. Le ministère de l'éducation nationale, pour la mission « Enseignement scolaire », représente plus de 86 % des ouvertures avec 602 millions d'euros. Ces besoins proviennent principalement d'une anticipation erronée du glissement vieillesse technicité (GVT), et de la hausse du point d'indice décidée en mars 2016 par le Gouvernement.
Là encore, l'imprévisibilité de ces dépenses peut être remise en question : une partie des besoins découle d'une décision prise par le Gouvernement et non d'un événement de force majeure. Ces ouvertures de crédits démontrent surtout l'incapacité du Gouvernement à maîtriser la masse salariale de l'État.
De façon désormais classique, des crédits sont aussi ouverts au profit de l'hébergement d'urgence, à hauteur de 100 millions d'euros - 55 millions d'euros sont également prévus par le projet de loi de finances rectificative et 84 millions d'euros avaient déjà été ajoutés par le précédent décret d'avance, que nous avions examiné en septembre dernier.
Au total, 239 millions d'euros devraient être ouverts en cours d'exercice au profit de l'hébergement d'urgence, soit un dépassement de plus de 15 % de la dotation allouée en loi de finances initiale. La budgétisation initiale pour 2017 est donc d'ores et déjà inférieure de 12,5 millions d'euros à l'exécution prévisionnelle pour 2016.
Le Gouvernement explique les besoins d'ouverture de crédits par la crise migratoire et les évacuations de campements parisiens. Le besoin complémentaire lié à la mise à l'abri des personnes évacuées des campements de Calais et Paris s'élève à 12,2 millions d'euros. Le complément, qui s'élève à 87,8 millions d'euros, concerne les autres dispositifs de droit commun.
Ces ouvertures ne sont pas une surprise. Nous avions déjà souligné, en septembre dernier, que les crédits prévus ne suffiraient sans doute pas à couvrir les besoins jusqu'à la fin de l'année.
Enfin, le reliquat des ouvertures, soit 118 millions d'euros, se répartit entre plusieurs dépenses d'intervention.
En autorisations d'engagement, les deux agrégats les plus importants sont l'aide à la recherche au premier emploi, l'ARPE, pour 30 millions d'euros et, pour un montant de 33 millions d'euros, la contribution française à ITER, un réacteur de recherche en fusion nucléaire, dont le financement associe une trentaine de pays.
Les bourses de l'enseignement scolaire et de l'enseignement supérieur nécessitent l'ouverture de 20 millions d'euros, 12 millions d'euros sont consacrés aux contrats de service civique et 10 millions d'euros à divers contentieux du ministère de l'intérieur.
Enfin, doit également être signalé le fonds de soutien pour le développement des activités périscolaires qui donne lieu à l'ouverture de 8,5 millions d'euros.
J'évoquerai rapidement les annulations de crédits permettant de gager les ouvertures. Elles portent sur la quasi-totalité des missions.
Le tableau figurant sur le document vous ayant été distribué ne présente que les missions qui sont contributrices nettes, c'est-à-dire celles pour lesquelles les annulations sont supérieures aux ouvertures.
En autorisations d'engagement, les annulations nettes les plus importantes portent sur les missions « Crédits non répartis », pour près de 230 millions d'euros, « Justice », pour 172 millions d'euros et « Engagements financiers de l'État », à hauteur de 133 millions d'euros.
En crédits de paiement, les missions les plus touchées sont les missions « Relations avec les collectivités territoriales » et « Outre-mer ».
Comme à l'accoutumée, une part très importante des annulations porte sur les crédits mis en réserve : c'est le cas de 72 % des annulations en autorisations d'engagement et de 95 % des crédits annulés en crédits de paiement.
Officiellement, la mise en réserve n'est pas ventilée par action ou par dispositif. Il n'est donc pas possible pour la représentation nationale de savoir sur quels dispositifs portent les annulations de crédits « gelés ». Le Parlement ne peut pas identifier les dispositifs touchés par les redéploiements.
Comme je l'indiquais en préambule, l'analyse des crédits annulés montre que l'équilibre entre ouvertures et annulations est artificiel : 290 millions d'euros en autorisation d'engagement et 672 millions d'euros en crédits de paiement sont annulés sur le programme 146 de la mission « Défense », alors que des crédits de même montant devraient être ouverts sur le même programme par le projet de loi de finances rectificative. C'est le sapeur Camember !
En d'autres termes, l'annulation de ces crédits n'est qu'une astuce comptable qui ne correspond aucunement à de réelles économies dans la mesure où les crédits annulés sont rouverts en loi de finances rectificative.
Certes, la préservation des moyens de la défense est nécessaire et je ne considère pas qu'une annulation de près de 700 millions d'euros sur la mission soit soutenable au regard des tensions budgétaires. Toutefois, ce jeu d'écriture témoigne de l'incapacité du Gouvernement à réaliser de réelles économies pour faire jouer la solidarité interministérielle.
Certes, un mouvement de même nature a déjà été mis en oeuvre dans le cadre du schéma de fin de gestion pour 2010. Cependant, dans ce cas, les montants en jeu étaient beaucoup moins significatifs : il ne s'agissait que de 231,4 millions d'euros, soit 17 % des autorisations d'engagement annulées et 20 % des crédits de paiement.
En outre, c'est la seconde fois cette année que nous examinons un décret d'avance financé par des « économies » qui n'en sont pas. En septembre, nous avions déjà relevé que l'annulation de près de 900 millions d'euros en autorisations d'engagement sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » ne constituait pas une économie réelle dans la mesure où les montants inscrits sur ce compte sont largement conventionnels.
Pour conclure, je ne conteste pas le caractère urgent des dépenses. Les crédits doivent être engagés rapidement. Toutefois, je ne suis pas convaincu de l'imprévisibilité de bon nombre des dépenses que ce projet de décret d'avance vise à financer. La grande majorité des postes de dépenses font l'objet d'ouvertures chaque année en fin de gestion.
Je pense notamment à la sous-budgétisation de l'hébergement d'urgence ou des opérations extérieures. Les ouvertures en cours de gestion ne sauraient se substituer à une budgétisation initiale sincère, lisible pour le Parlement comme pour les services gestionnaires. L'usage répété de la procédure du décret d'avance, ainsi que la mise en réserve toujours plus importante de crédits, réduisent la portée de l'autorisation parlementaire.
En outre, l'équilibre entre les ouvertures et les annulations est artificiel : 40 % des crédits annulés devraient être ouverts de nouveau par la loi de finances rectificative.
Le projet d'avis qui vous est soumis, et qui vous a été distribué, reprend l'ensemble des réserves que j'ai exprimées.
Je vous propose de rendre un avis défavorable sur ce projet de décret d'avance.