Nous allons vous présenter, avec mes collègues Olivier Cadic et Guy Dominique Kennel, le compte rendu du déplacement de la Délégation aux entreprises en Suède et en Allemagne, sur le thème de la simplification des normes, qui s'est déroulé du 28 au 30 septembre 2016.
Lors de sa réunion en juillet dernier, le Bureau de la Délégation avait décidé de poursuivre le travail engagé par la Délégation sur le sujet de la simplification, sujet qui apparaît comme la première préoccupation des entreprises que nous rencontrons sur le terrain. La proposition de loi constitutionnelle instaurant le principe de compensation de toute nouvelle mesure législative par la suppression d'une mesure en vigueur de charge équivalente - « one in, one out » -, déposée en décembre 2015, n'a pas encore été inscrite à l'ordre du jour. Je ne crois pas qu'elle verra le jour au cours de cette session.
Nous avons pourtant la conviction qu'il faut changer de braquet en termes de simplification. Vous vous souvenez de l'étude de législation comparée que la Délégation a fait réaliser pour connaître la stratégie engagée en ce domaine dans plusieurs pays voisins. Nous en avons discuté avec le Conseil d'État lors d'une matinée d'étude que nous avons organisée en mai dernier et qui a nourri l'étude annuelle que le Conseil d'État vient de publier, sur la simplification et la qualité du droit. Puis, le bureau de la Délégation a décidé de compléter ce travail par des déplacements à l'étranger pour observer comment la simplification y est concrètement menée et en tirer d'éventuels enseignements pour la France.
C'est dans ce cadre que s'inscrit le premier déplacement que nous venons de faire, en Suède et en Allemagne, les trois derniers jours de septembre. Nos collègues Olivier Cadic et Guy-Dominique Kennel m'ont accompagnée et je les en remercie. Je voudrais commencer en rendant compte de notre première journée, passée à Stockholm. Mes deux collègues évoqueront ensuite nos escales à Berlin et Hambourg.
À Stockholm, nous avons pu rencontrer tous les acteurs engagés dans la politique de simplification : les acteurs institutionnels - Gouvernement, Parlement et organe dédié à la simplification - et les acteurs privés - représentants d'entreprises françaises et suédoises.
La Suède figure généralement au top des classements internationaux touchant à l'attractivité, au climat des affaires et à l'innovation. Dans le classement « Doing Business 2016 » de la Banque mondiale, elle occupe, par exemple, le 8ème rang sur les 189 pays étudiés. Pour favoriser un environnement des affaires attractif et maintenir le rang de la Suède dans ce type d'études comparatives internationales, les gouvernements suédois successifs ont tous mis la priorité, depuis près de dix ans, sur la réduction du fardeau administratif pesant sur les entreprises.
Nous avons pu échanger avec plusieurs députés de la Commission des affaires économiques du Parlement - devenu monocaméral il y a 50 ans -, dont Mme Nilsson, présidente de cette commission. Nous avons également rencontré M. Johansson, secrétaire d'État au ministère de l'Économie chargé des questions relatives au développement des entreprises. Ceci nous a permis de mesurer le consensus national autour de la question de la simplification et la détermination durable que manifestent les autorités à ce sujet.
Ceci s'inscrit dans un mouvement de réforme plus large, impulsé en Suède depuis les années 1990 au bénéfice des entreprises, consistant notamment à abaisser et simplifier l'impôt sur les sociétés, à supprimer les niches fiscales, ou encore à supprimer les droits de succession. Ainsi, un objectif de simplification a été fixé en 2006 : réduire de 25 % les charges administratives des entreprises d'ici 2012. 12 ministères et 50 agences nationales ont d'abord identifié, non pas l'ensemble des mesures existantes - leur nombre global reste inconnu -, mais les mesures qui entravaient le plus le développement des entreprises. Ce rapport collectif a été proposé au Gouvernement suédois en 2007-2008. Rejoignant les préconisations de l'OCDE, le Gouvernement s'est parallèlement engagé à « mieux légiférer », ce qui implique une politique de simplification transparente, fondée sur des paramètres mesurables. Ceci a conduit le Gouvernement à créer en 2008 le Conseil de la réglementation (Regelradet) qui a pour mission d'évaluer la qualité des études d'impact qui doivent accompagner toute mesure nouvelle envisagée par le Gouvernement.
La stratégie suédoise de simplification se focalise essentiellement autour de trois axes :
- réduire les délais de traitement des procédures administratives pour les entreprises ;
- alléger les charges administratives pour les entreprises ou, au moins, les stabiliser jusqu'en 2020 ;
- numériser les relations avec l'administration (via un guichet unique notamment).
La mise en oeuvre de cette politique repose sur deux piliers :
- d'une part, l'Agence des politiques de croissance (Tillväxtverket) qui relève du ministère de l'Économie, et qui compte 370 agents et dispose de 9 antennes dans le pays. Sa mission met en oeuvre la politique nationale de croissance et d'innovation et c'est à ce titre qu'elle promeut notamment la simplification des procédures pour les entreprises et l'amélioration de leurs interactions avec l'administration, en grande partie grâce à la numérisation ;
- d'autre part, le Conseil de la réglementation, Regelradet, chargé de contrôler la qualité des études d'impact que doit produire le Gouvernement dès qu'il envisage une nouvelle norme susceptible d'alourdir les charges administratives des entreprises. Il vérifie que ces études d'impact détaillent le but poursuivi, les solutions alternatives, la conformité avec le droit de l'Union européenne et le coût administratif prévisible. Un modèle de calculateur de coûts est mis en ligne à la disposition des administrations. On peut noter que les amendements ne sont pas soumis à étude d'impact.
Entre 2009 et 2014, le Conseil a analysé plus de 1 000 études d'impact ; il a émis des avis positifs sur 38 % d'entre elles. Les avis du Conseil ne sont pas contraignants, mais nos interlocuteurs estiment qu'ils ont un effet positif sur l'allègement des charges administratives pour les entreprises. L'Agence pour la croissance prodigue désormais des formations aux administrations pour améliorer la qualité des études d'impact qu'elles soumettent au Conseil. Depuis 2015, ce Conseil de la réglementation est devenu une direction générale autonome au sein de l'Agence pour la croissance, ce qui lui permet de bénéficier de moyens plus importants.
Quels résultats la Suède obtient-elle en matière de simplification ? L'objectif de 25 % de réduction des coûts administratifs n'a pas été atteint en 2012, mais la Suède a réussi, selon le patronat, à faire économiser aux entreprises 750 millions d'euros de coûts administratifs par an entre 2006 et 2012. Ainsi, les données sont transmises par les entreprises une seule fois à l'administration des impôts qui a créé une base utilisable par toutes les administrations. En outre, l'ensemble des administrations partagent un portail commun d'information en ligne, où les informations sont présentées de manière analogue et comparable. Ce sont déjà des premiers succès, qu'il faut sans doute imputer à deux éléments :
- d'abord, la priorité accordée au « mieux légiférer » au bénéfice des entreprises est partagée par tous les acteurs publics, aussi bien au Gouvernement qu'au Parlement. La prise de décision publique en Suède est assise sur des discussions en amont, qui conduisent ensuite à un consensus permettant une mise en oeuvre déterminée et persévérante ;
- ensuite, a été mise en place une structure administrative unique et indépendante dédiée à la politique de simplification. Au lieu d'aborder la simplification dossier par dossier, elle donne une impulsion d'ensemble à cette politique, que ce soit en matière de délai de traitement des dossiers ou de guichet unique pour les entreprises. Ce sont les administrations fiscales et statistiques qui doivent se coordonner entre elles et s'adapter à ce guichet unique, et non les entreprises. Il en est de même d'ailleurs pour le prélèvement de l'impôt à la source, que pratique déjà la Suède : les entreprises, qui collectent le montant des prélèvements obligatoires sur les salaires et le reversent en un bloc, ne se chargent pas de répartir les prélèvements entre les diverses administrations fiscales ou sociales. La complexité est prise en charge par la sphère publique et non reportée sur les entreprises.
D'indéniables progrès sont constatés. Ils font d'ailleurs l'objet d'un chapitre spécifique dans le cadre du projet de loi de finances suédois. Néanmoins, on peut identifier trois limites à la politique de simplification menée en Suède.
D'abord, nous avons pu toucher du doigt, lors de notre déjeuner à la résidence de l'Ambassade, un sujet délicat : la difficile conciliation entre la numérisation, qui rend accessibles les données personnelles aux différents acteurs publics voire privés (notamment, les banques), et la protection de ces données personnelles. Ce n'est pas un sujet en Suède, où la transparence est admise par tous ; mais c'en est certainement un pour la France.
Nous avons ensuite constaté la persistance de lourdeurs administratives à l'échelon local. La Suède semble peiner à réduire le fardeau administratif local : les règles et normes nécessaires à l'obtention de diverses formes d'autorisations pour les entreprises sont très hétérogènes à travers le pays qui compte 290 communes et 21 régions. Pour y remédier, le Gouvernement vient de mettre en place une collaboration avec la Fédération des collectivités territoriales. Là encore, priorité est donnée au numérique qui est à la fois un moyen d'accélérer le temps de traitement des demandes mais aussi d'uniformiser les règles applicables sur tout le territoire. Une expérimentation est en cours pour simplifier les relations avec les professionnels de la restauration, qui ont besoin d'autorisations relevant à la fois de l'État et des communes. Si cette approche s'avérait concluante, elle pourrait être élargie à d'autres secteurs.
Enfin, nous avons pu ressentir l'insatisfaction persistante des entreprises : les échanges avec M. Berggren, de la Confédération suédoise des entreprises, et M. Femrell, Directeur général de l'office de l'industrie et du commerce pour l'amélioration du cadre réglementaire, nous ont permis de mesurer l'importance que les entreprises suédoises accordent à la simplification administrative, mais aussi de réaliser leur insatisfaction. 70 % des entrepreneurs suédois considèrent que le fardeau administratif ne diminue pas, en dépit des efforts de l'État. Ceci rejoint une étude de la Cour des comptes suédoise de 2012 qui critiquait le fait que la politique de simplification était trop axée sur le volet strictement administratif (à savoir les coûts résultant des règles comptables et du droit des sociétés), et pas assez sur les vrais obstacles à la croissance : pour les entreprises, les procédures en matière de fiscalité, le code du travail et les règles en matière de construction et d'environnement restent en effet les plus importants obstacles à leur développement. Le patronat suédois dénonce aussi la surtransposition des règles européennes. Enfin, il place beaucoup d'espoir dans le projet de traité transatlantique qui, en promouvant des normes communes aux deux rives de l'Atlantique, pourrait faciliter la vie des entreprises. Surtout, il propose de donner au Conseil de la réglementation un droit de veto sur un texte envisagé par le Gouvernement, quand l'étude d'impact qui l'accompagne n'est pas de bonne qualité. Il suggère aussi de confier à un organe indépendant le soin de réexaminer régulièrement les règles en vigueur, au regard de l'objectif visé initialement, pour s'assurer qu'elles y répondent toujours.
Si la Suède donne un avant-goût des bénéfices d'une politique nationale de simplification, l'Allemagne, où nous nous sommes rendus le lendemain, nous a semblé encore plus avancée en ce domaine. Je laisse Olivier Cadic vous en parler.