Intervention de Olivier Cadic

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 13 octobre 2016 à 8h30
Compte rendu par mme élisabeth lamure mm. olivier cadic et guy-dominique kennel du déplacement de la délégation en suède et en allemagne sur le thème de la simplification des normes du 28 au 30 septembre 2016

Photo de Olivier CadicOlivier Cadic :

La journée que nous avons passée à Berlin nous a vivement intéressés. Nous avons eu des échanges avec tous les acteurs concernés par la simplification : Parlement, ministère de l'économie, équivalent allemand de l'INSEE, monde des affaires, syndicats, et enfin, Conseil de contrôle des normes.

Grâce à tous ces contacts, nous avons pu mesurer l'efficacité allemande sur le sujet de la simplification du droit. Tout a vraiment commencé il y a onze ans, avec l'inscription de la simplification dans l'accord de coalition, à l'initiative du Parlement. Le gouvernement fédéral avait déjà tenté auparavant de simplifier, mais sans succès : ainsi, il y a trente ans, avait été mise en place la procédure des questions bleues. Se référant à Montesquieu, le Conseil des ministres allemand avait effectivement décidé, en 1984, de passer tout projet de loi au crible de dix questions, telles que : « Faut-il vraiment faire quelque chose ? Faut-il faire une loi ? »... Mais le nombre de lois n'a cessé d'augmenter.

C'est en 2005 que fut créé un service à la Chancellerie chargé de vérifier la qualité des projets de loi. On a alors calculé la valeur cumulée des charges bureaucratiques au niveau fédéral : elle a été estimée à 50 milliards d'euros. L'Allemagne s'est alors fixé comme objectif de réduire ces coûts de 25 %, comme l'a fait la Suède : l'Allemagne, elle, y est parvenue quatre ans plus tard. Si bien que la politique de simplification a permis de dégager 14 milliards d'euros d'économie au terme de la législature. Ce chiffre ne peut laisser indifférent.

Quel est donc le secret de ce succès allemand ?

Tout d'abord, de l'avis unanime, l'efficacité actuelle de la politique de simplification tient d'abord à la création en 2006 du Conseil de contrôle des normes (Normenkontrollrat ou NKR). Cette création est passée par une loi, et non par une décision gouvernementale comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. Cet organe indépendant, placé auprès de la Chancellerie, est composé de dix membres ; chacun est le référent d'un à quatre ministères pour discuter de l'impact des projets de loi. Ses membres sont nommés pour cinq ans par le Gouvernement, après approbation du Bundestag ; le président est CDU, le vice-président SPD. Un secrétariat de 15 personnes assure son fonctionnement.

Nous avons été reçus par le président du NKR, M. Johannes Ludewig, ainsi que par deux autres de ses membres. Le charisme et le dynamisme de M. Ludewig, ancien président de la DeutscheBahn et ancien Secrétaire d'Etat chargé de coordonner la transition de l'Allemagne de l'Est, donc fin connaisseur du monde politique comme du monde économique, donnent un poids politique au NKR qui se pose comme une instance crédible de dialogue avec le Gouvernement. L'existence d'un ministre d'État auprès de la Chancelière, Helge Braun, chargé de coordonner la réduction de la bureaucratie, témoigne de l'importance du sujet pour la chancelière : M. Braun supervise la réalisation du programme de simplification par chaque ministère.

Comme son homologue suédois, le Regelradet, le NKR évalue la qualité de l'étude d'impact fourni par le Gouvernement avec chaque projet de loi, et recourt pour cela au modèle des coûts standards importé des Pays-Bas, qui permet d'objectiver et de chiffrer les frais de la bureaucratie : mais il va plus loin que le Regelradet. En effet, le NKR discute de l'évaluation des coûts avec le référent désigné dans chaque ministère, en amont de la présentation du texte en conseil des ministres. Même s'il ne nie pas les résistances rencontrées, le NKR a conscience qu'une mécanique d'évaluation systématique des coûts bureaucratiques de chaque projet de loi a été enclenchée, l'un de ses membres a parlé d'un véritable « changement de culture ». Cette discussion ne se fait pas dans un esprit d'affrontement mais de collaboration. Ces chiffres font ensuite l'objet de débats en Conseil des ministres et chaque ministre doit alors se justifier de la charge bureaucratique qui résulterait de son projet de loi.

Parallèlement, ont été adoptées, en 2006, 2007 et 2008, trois lois successives pour alléger les charges des PME dans trois domaines : finances, agriculture et économie. Le conseiller du groupe SPD du Bundestag que nous avons rencontré, M. Wolfgang Müller, très renseigné sur notre sujet, a attribué l'initiative de ces lois au Parlement, et plus spécialement à la commission de l'économie du Bundestag, déterminée à faire ainsi pression sur les ministères pour améliorer la compétitivité.

De même, le ministère de l'économie, dont nous avons rencontré des représentants, nous a présenté deux lois récentes qu'il avait portées, l'une adoptée l'an dernier, l'autre en cours d'adoption, pour réduire la bureaucratie au bénéfice des entreprises : il s'agit principalement de simplifier des procédures, dans les domaines fiscal, social et environnemental et de réduire certaines obligations statistiques, notamment pour les TPE. Le ministère nous a aussi présenté les progrès de la facturation électronique qui sera prochainement mise en place : l'innovation consiste en un format électronique nouveau permettant un traitement automatisé des données structurées figurant sur la facture. Il s'est félicité de la coopération franco-allemande sur ce dossier qui devrait permettre l'adoption d'un standard commun, l'an prochain, lequel devrait s'imposer ensuite au niveau européen.

Ainsi, la politique de simplification en Allemagne passe par des initiatives spéciales (lois de simplification) mais elle est aussi devenue une mission constante et un processus, s'appuyant sur le NKR.

Deuxième clef de l'efficacité de la politique allemande de simplification : la mobilisation de tous les acteurs. Ainsi, Destatis, équivalent allemand de l'INSEE, est mobilisé pour calculer au mieux les coûts d'un projet. Il le fait sur la base du modèle des coûts standards, ce qui signifie qu'il ne calcule pas les coûts indirects ni les bénéfices. Il a aussi pour mission de vérifier, deux ans après, que cette première évaluation, ex ante, était juste. Enfin, tous les projets de loi qui engendrent des coûts bureaucratiques de plus d'un million d'euros font l'objet d'une évaluation ex post, entre trois en cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi. Ceci doit créer un cercle vertueux : planifier, faire, évaluer et tenir compte de l'évaluation avant de replanifier.

Destatis est en lien avec le référent « débureaucratisation » de chaque ministère et avec le NKR, au moment de leur dialogue en amont du projet de loi. Il est intéressant de noter que le Parlement a envisagé de se doter de capacités autonomes de calcul des coûts mais y a renoncé, faute de moyens.

Les entreprises elles-mêmes collaborent : l'association allemande des chambres de commerce et d'industrie, que nous avons rencontrée, contribue ainsi à identifier les possibilités de réduction de la bureaucratie. Les entreprises répondent aussi aux sondages réguliers mis en place depuis deux ans pour connaître leur expérience administrative dans diverses situations.

Même la fédération allemande des syndicats DGB, inquiète que la simplification diminue les droits des travailleurs et entame leur protection au risque de créer de nouveaux coûts pour l'assurance maladie, a reconnu que ses craintes ne s'étaient pas vérifiées : elle reste réservée à l'égard de cette vision purement comptable, mais Mme Barbara Adamowsky a admis que l'allègement bureaucratique s'était fait sans diminution des droits des travailleurs. Néanmoins les syndicats restent vigilants : ils estiment nécessaire d'ajuster la bureaucratie aux besoins, et sont donc sceptiques à l'idée de la réduire systématiquement.

Finalement, nos échanges à Berlin montrent que le travail de simplification n'est remis en question par aucun parti politique, y compris Die Linke, à l'extrême gauche.

Et tous les acteurs concernés sont réunis autour de la table pour chaque grand projet de simplification. L'Allemagne étudie aussi la possibilité, pour évaluer les textes en vigueur, d'associer les entreprises ou citoyens concernés.

Après avoir dégagé une économie de 14 milliards sur les coûts administratifs, l'Allemagne envisage maintenant une réduction des charges de 2 milliards d'euros. Une coopération avec les CCI a été lancée pour identifier les secteurs où réduire encore la bureaucratie. Le gisement d'économies sur les coûts administratifs s'épuise naturellement : au fil du temps, les simplifications ont tendance à concerner plutôt des questions de détail avec des effets limités. Si bien qu'un nouvel élan a été donné à la politique de simplification l'an dernier : l'Allemagne a élargi le périmètre des charges auquel elle entend s'attaquer.

Dans son viseur, il n'y a plus seulement les coûts strictement bureaucratiques, mais il y aussi, désormais, les coûts de mise en conformité avec la législation. C'est-à-dire non seulement la paperasserie mais aussi ce que l'entreprise devra débourser pour respecter la loi : par exemple, dans le cas de la loi sur le salaire horaire minimum, on calcule non seulement le coût bureaucratique - à savoir la nécessité de décompter maintenant les heures de travail-, mais aussi le coût de mise en conformité pour les entreprises qui se voient obligées de payer chaque heure travaillée parfois plus cher, c'est-à-dire au salaire minimum.

L'objectif de réduction des coûts englobe donc, maintenant, non seulement les coûts strictement administratifs mais aussi ces coûts de mise en conformité, qui ont tendance à s'accroître. Ce document du NKR montre l'augmentation de ces charges de réalisation depuis cinq ans.

C'est dans ce nouveau contexte que l'Allemagne a importé du Royaume-Uni le principe du « one in, one out » : entré en vigueur au 1er juillet 2015, ce principe oblige chaque ministère, quand il crée de nouvelles charges, à en supprimer dans la même proportion. La mise en oeuvre de ce principe, qui est contrôlée par le NKR, a déjà permis, en un an, de dégager un milliard d'économies pour les entreprises.

La politique de simplification allemande connaît toutefois des limites.

D'abord, on pourra objecter qu'on recrée une nouvelle bureaucratie pour lutter contre elle. Il apparaît en fait que les économies nettes dégagées sont d'une telle ampleur que cela justifie la création de nouvelles instances finalement peu coûteuses (le budget du NKR est d'un million d'euros ; ses membres, remplissant leur fonction à titre honorifique, ne perçoivent qu'une indemnité). Pour ce prix, on peut considérer que le NKR a discipliné la politique, pour reprendre les mots de la représentante de la fédération syndicale DGB : en effet, les faits et chiffres fondent maintenant la décision politique. Selon les mots de M. Naundorf, bras droit du ministre Braun à la Chancellerie, qui a publié un article à ce sujet dans la Revue française d'administration publique, « nous ne voulons pas remplacer la politique par les mathématiques mais nous voulons rendre la politique plus efficace grâce aux mathématiques ».

Deuxième limite à la simplification : en Allemagne, pas plus qu'en Suède, les entreprises ne perçoivent la baisse des coûts de la bureaucratie. Sans doute n'en ont-elles jamais assez. Elles sont pourtant fondées à déplorer la responsabilité croissante que l'État leur fait porter, par exemple à l'égard du travail au noir ou des atteintes à l'environnement commis par leurs sous-traitants, ou, pour ce qui est des banques, à l'égard des informations à recueillir sur leurs clients depuis la crise financière. Les entreprises réclament aussi, au-delà de la simplification, une plus grande intelligibilité du droit, citant notamment le code allemand des impôts qu'elles considèrent illisible. Nous ne sommes pas les seuls !

La politique de simplification allemande rencontre en outre une limite fondamentale : l'autonomie des Länder et des communes. Comme en Suède, cela freine le déploiement de l'administration électronique : il est difficile de mettre en réseau les différents échelons, par exemple pour proposer un guichet unique pour les entreprises. Les collectivités territoriales ont généralement des systèmes informatiques différents et on ne peut les contraindre à en changer. Certains Länder avancent toutefois sur le chemin de la simplification : ainsi, la Saxe et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie se sont chacune dotées d'un équivalent du NKR. Le NKR nous faisait observer que les Länder étaient toutefois réticents à l'égard d'une transparence des coûts car ils veulent éviter le benchmarking.

Une autre limite importante, que nous avions repérée à Stockholm, tient au fait que 50 % de la législation allemande vient de Bruxelles. En ce domaine, l'Allemagne fait figure de pionnière : elle est en train de modifier sa procédure de participation à l'élaboration du droit européen. Les études d'impact produites par la Commission européenne n'étant pas détaillées pays par pays, le NKR a entrepris d'évaluer les coûts pour l'Allemagne de tout projet de texte européen dont l'impact sur l'ensemble des États membres dépasse 35 millions d'euros. Le président du NKR a d'ailleurs regretté que les études d'impact européennes ne soient pas plus poussées et qu'elles soient produites par un comité dont l'indépendance à l'égard de la Commission européenne lui semble incertaine. Nous en reparlerons à Bruxelles bientôt. L'Allemagne envisage donc d'installer une forme de NKR indépendant de la Commission européenne : il s'agit d'évaluer ainsi les charges en amont de l'adoption des textes européens et de les minimiser au cours de leur élaboration.

Enfin, la dernière limite de la politique de simplification est quasi-philosophique : certains s'insurgent contre une appréhension de l'action politique par le seul prisme des coûts. Je crois, pour ma part, que cela ne signifie pas que la réduction des coûts soit le seul objectif de l'action publique. L'Allemagne elle-même en a apporté la preuve : en se dotant d'un salaire minimum, elle a accru les coûts bureaucratiques (déclarations du temps de travail) et les coûts de réalisation (augmentation du salaire horaire). Mais elle l'a fait en toute conscience : ce projet politique a été considéré comme justifiant cette hausse des coûts, assumée et débattue en toute transparence en amont de la décision.

Après cette journée à Berlin, je suis définitivement convaincu que nous n'arriverons à rien en France en matière de simplification, si nous continuons à vider la mer avec une petite cuiller. Nous prenons le problème à l'envers, espérant régler la complexité par des petites mesures. Pour entrer dans une gestion sérieuse de la qualité de la loi, il faut mettre en place des procédures robustes et définir des objectifs clairs, reposant sur des données fiables, avec l'appui de l'institut national de statistique. Il semble qu'un organe indépendant chargé de conseiller le Gouvernement soit un outil nécessaire : instaurer un dialogue de long terme avec les ministères est visiblement la bonne méthode pour les faire évoluer et éviter de les braquer. Revenir sur une législation qu'on a soi-même rédigée n'est pas évident.

Le NKR nous a explicitement lancé un appel pour que Paris crée un organe équivalent : il estime que l'attitude de la France sur les sujets de simplification est décisive, tant notre pays est à l'articulation de l'Europe du Nord et de celle du Sud. Il nous faut aussi trouver le moyen de faire en sorte que chaque ministère teste les nouvelles mesures envisagées avec tous les acteurs concernés, avant de déposer un projet de loi. De même nous devrions développer les évaluations des mesures adoptées, pour vérifier que l'objectif visé a été atteint.

Tout ceci serait nouveau pour notre pays, mais urgent. Je pense que nos prochains déplacements à Bruxelles et aux Pays-Bas nous permettront de mûrir encore notre réflexion sur ces sujets essentiels.

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