Comme en avait en effet décidé le Bureau de la Délégation sur la suggestion d'Olivier Cadic, notre déplacement s'est prolongé à Hambourg, deuxième plus grande ville d'Allemagne après Berlin. Avec la capitale politique, nous avons quitté le sujet de la simplification du droit, pour nous intéresser au dynamisme économique de cette ville d'Allemagne. Ceci nous a sauté aux yeux dès l'arrivée à la gare, qui, comparée à celle de Berlin, grouillait d'activité à une heure pourtant tardive.
Ville hanséatique au statut de Land, Hambourg est riche : le PIB par habitant y est le plus élevé de tous les Länder, et le coût de la vie y est pourtant plus abordable qu'à Münich ou Francfort. 2 % de la population allemande habitent Hambourg, mais la ville produit 4 % de la richesse produite en Allemagne.
Hambourg occupe une position stratégique entre mer du Nord et Europe centrale et entre les villes rhénanes et la Scandinavie, à laquelle elle sera reliée d'ici cinq ans par un tunnel via le Danemark. Son port en eaux profondes est accessible aux bateaux de haute mer : sa situation au fond de l'estuaire de l'Elbe, donc éloignée des mers, présente toutefois l'avantage de permettre son accès quels que soient les aléas de la météo. Le trafic de conteneurs y est en pleine croissance, desservi par un vaste hinterland. Ce port est maintenant le deuxième d'Europe, quasiment à égalité avec Rotterdam.
Le temps nous a manqué pour visiter le port, mais nous avons fait plusieurs rencontres intéressantes : nous avons pu échanger avec plusieurs entrepreneurs français installés à Hambourg. Cet échange a eu lieu dans les locaux de la toute nouvelle agence qu'ouvre à Hambourg le Crédit Mutuel-CIC, signe d'une implication nouvelle des Français sur place. Nous nous sommes ensuite rendus à la chambre de commerce de Hambourg. Nous avons eu la surprise de la découvrir adossée à l'hôtel de ville : cette imbrication architecturale exprime parfaitement la synergie que nous avons ressentie entre le Gouvernement de Hambourg et le milieu économique. Cette impression nous a été confirmée par M. Rolf Bösinger, adjoint du sénateur de la ville chargé de l'économie et des transports, avec lequel nous avons largement échangé à l'occasion du déjeuner. Je précise que le Sénat est le gouvernement de Hambourg, le maire de la ville M. Olaf Scholz étant le président du Sénat. Nous avons enfin pu visiter en fin de journée un espace de coworking, le Betahaus, qui contribue, depuis 2009, à l'éclosion des start-ups du numérique - notamment dans les jeux vidéo -, sur lesquelles la ville mise aussi. Deux conseillers consulaires de la circonscription d'Hambourg nous ont rejoints à ce moment-là.
De ces rencontres fructueuses, je retire essentiellement l'observation suivante : Hambourg gagnerait à être découverte par les entreprises françaises.
Tous nos interlocuteurs français sont unanimes : Hambourg est méconnue des Français et souffre d'un déficit d'image dans notre pays. Seuls 4 à 5 000 de nos concitoyens y résident. La communauté française en Allemagne compte plus de 160 000 personnes, mais elles sont surtout présentes dans le Bade Wurtemberg, frontalier avec la France, où les Français sont regroupés dans et autour des grands pôles industriels.
Quelques grands groupes français (Airbus, Air liquide, la Compagnie générale maritime) sont présents à Hambourg et font ainsi figurer la France au premier rang dans les échanges avec Hambourg. Mais cette situation est trompeuse et seules quelques dizaines d'entreprises françaises sont implantées à Hambourg (German Trade and invest, équivalent de notre Business France, en dénombre 185) : Airbus et l'aéronautique constituent 90 % des flux entre Hambourg et la France si bien que, sans l'aéronautique, la France rétrograde au sixième rang et la Chine prend la première place. Elle est suivie des États-Unis d'Amérique, du Royaume-Uni, des Émirats Arabes unis et des Pays-Bas.
Hambourg est en effet devenu le port et la porte de la Chine en Europe. La ville s'est dotée d'avantages décisifs : infrastructures logistiques et réseau multimodal (fer et route) vers l'intérieur de l'Europe continentale - 200 trains quittent Hambourg chaque jour -, digitalisation qui permet un fonctionnement en flux tendus, rénovation immobilière avec ville nouvelle sur le port - « Hafencity » de 150 hectares et 12 000 habitants - et construction de la Philharmonie sur l'Elbe. Autour du port, s'est développé un tissu de PME spécialisées dans des productions de niche à très haute valeur ajoutée. 500 à 600 hectares devraient encore être aménagés d'ici 2030 pour accueillir de nouvelles entreprises. Nos interlocuteurs français établissent un lien direct entre le développement d'Hambourg et le souci partagé par tous de l'intérêt économique : la logistique n'est pas assimilée par la population à des zones de nuisance, les syndicats ont une autre culture de dialogue, l'administration est, sinon plus simple, au moins plus prévisible : les entreprises peuvent s'appuyer sur quelques certitudes, éventuellement négociées en amont, et l'administration, parce qu'elle offre des services payants, travaille dans un esprit de service au client. Enfin, les aides ne sont pas des crédits d'impôt mais de vraies subventions, qui profitent donc aussi aux entreprises débutantes.
La Chambre de commerce est au centre du dispositif de soutien aux entreprises. Son directeur de l'international, qui nous a reçus, a présenté les activités de services, de lobbying et de formation que mène la chambre pour ses 150 000 membres, à Hambourg même et dans ses bureaux en Russie, Chine, Inde ou à Dubaï. Elle est l'expert du commerce extérieur de la cité. Elle ne protège plus les marchands hambourgeois contre les pirates, mais son histoire lui donne une légitimité ancestrale. La chambre s'y réfère avec fierté en exposant d'ailleurs, dans le hall, l'énorme bouée en bois datant du dix-septième siècle, qu'on a retrouvée au fond du port et qui marquait, déjà à cette époque reculée, le chenal d'accès au port.
Si le trafic avec l'Europe reste le plus important à Hambourg, le commerce extérieur avec l'Asie va croissant depuis une dizaine d'années et pèse aujourd'hui près de la moitié des échanges avec l'Europe (en valeur). La Chine a retenu Hambourg comme point d'entrée en Europe. On compte ainsi 520 entreprises chinoises à Hambourg, donc bien plus que d'entreprises françaises. Et l'Asie du Sud-Est prend le relai, dans un contexte d'essoufflement de la croissance chinoise. La part de la Russie recule, résultat des sanctions et du choc pétrolier. La chambre place enfin beaucoup d'espoir dans l'Iran et l'Inde.
La chambre de commerce met en avant ses compétences de pilotage et de mise en réseau, qui ont contribué à l'émergence de clusters industriels dans plusieurs domaines : logistique, digital et médias, aéronautique, sciences de la vie et santé, chimie/pétrochimie, énergies renouvelables - ce dernier cluster étant très actif en raison de la proximité des parcs éoliens de Mer du Nord. D'ailleurs, Hambourg consomme depuis 2007 de l'électricité 100 % verte, renouvelable et locale.
Le négoce reste néanmoins au coeur des savoir-faire de la ville : comme le dit la Chambre de commerce, « nous sommes le hub du monde vers le monde ». Les quelque 3 000 entreprises de l'import-export offrent une gamme de services « pour ceux qui ont des produits mais ne savent pas les vendre ». Hambourg se distingue par sa capacité à prendre sur soi le risque commercial de toute nature (monétaire, transports, qualité, etc.), tant pour les grands distributeurs locaux, comme Metro ou Aldi, que pour des partenaires étrangers. Des entreprises chinoises s'installent dorénavant à Hambourg, précisément sur ce marché du négoce.
Dans ce contexte, la France fait pâle figure. Elle est pourtant un partenaire attendu. Hambourg, comme pont entre l'Europe et l'Asie, représente une mine d'opportunités pour nos PME : au lieu de disperser leurs efforts en Asie, elles gagneraient à nouer des contacts avec des clusters bien choisis de Hambourg et à jouer la carte de la Chine par ce biais. Hambourg peut servir ainsi d'instrument pour l'internationalisation des PME françaises. En matière agroalimentaire par exemple, notre réputation est exceptionnelle : nos PME devraient y conduire des opérations promotionnelles, mais non élitistes, pour viser un large public, comme le font les Italiens. Au 13ème siècle déjà, des négociants hambourgeois importaient les crus bordelais.
Cette visite à Hambourg offre donc de belles perspectives que nous devons faire connaître à nos entreprises. L'ouverture d'un bureau du CIC Crédit Mutuel à Hambourg le prouve bien. Et l'établissement à Hambourg du siège administratif du groupe Euler Hermes, n° 1 de l'assurance-crédit, est aussi un signe des temps. Nous avons perçu une volonté politique bien réelle de la part du gouvernement de Hambourg de renforcer ses liens avec la France : M. Bösinger nous a indiqué que M. Scholz, premier maire de Hambourg, était personnellement convaincu qu'il y avait une carte franco-allemande à jouer à Hambourg. Pourtant, Business France est à Düsseldorf, et la chambre de commerce et d'industrie française en Allemagne est à Sarrebruck. En fait, Hambourg est si proche de Berlin que notre présence diplomatique s'y est malheureusement réduite au fil des ans, et le nouveau Consul général qui nous a accueillis travaille quasiment seul. C'est regrettable. Toutefois, la coopération décentralisée progresse : déjà jumelée à Marseille, la ville a noué des relations avec Toulouse et Nantes. La France a intérêt à réorienter son commerce extérieur sur les PME. C'est donc sur l'ensemble de notre territoire que les PME tentées par l'export devraient être soutenues pour nouer des contacts d'affaires à Hambourg et s'ouvrir ainsi vers l'Asie. Je signale que se tiendra les 23 et 24 novembre à Hambourg un sommet : « China meets Europe ». Amenons nos entreprises à profiter de la puissance acquise par Hambourg !