Intervention de Françoise Gatel

Commission spéciale Egalité et citoyenneté — Réunion du 6 décembre 2016 à 21h05
Projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté — Examen du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel, rapporteur :

Je méditerai longtemps, sans doute, cet extrait.

Lors de la réunion de la commission mixte paritaire du 25 octobre, les désaccords entre l'Assemblée et le Sénat se sont révélés trop forts pour s'entendre sur un texte commun. J'avais été assez choquée par les propos du rapporteur général Razzy Hammadi qui a regretté « le temps perdu pour un résultat dont nous connaissions l'issue dès les premières heures du débat » et qui a pris prétexte de l'échec de la commission mixte paritaire pour exprimer la nécessité « d'envisager une réforme de la procédure parlementaire ». À mon avis, si réforme il devait y avoir, il faudrait d'abord supprimer la procédure accélérée utilisée si souvent par le Gouvernement - et encore sur le délit d'entrave à l'IVG -, qui empêche un examen approfondi des projets de loi et fait obstacle à la recherche d'un accord.

Il conviendrait aussi que la majorité gouvernementale ait l'honnêteté de reconnaître que, dès le départ, ce texte n'avait pas vocation à rechercher des solutions pérennes dans un esprit de consensus, mais à permettre à une gauche désarticulée et atomisée d'esquisser un signe de ralliement à quelques mois des élections présidentielles. Nous ne pouvons que regretter cette situation, alors que chacun d'entre nous partage l'objectif initial : refaire société dans un contexte, indiscutablement, de délitement du lien social.

Les apports du Sénat ont souvent été rayés d'un trait de plume, sur des arguments de principe qui nous semblent parfois bien éloignés du pragmatisme qui nous est cher. Dans ce contexte où la volonté de consensus est peu manifeste, il ne nous paraît pas utile de poursuivre le dialogue et nous proposerons sans doute l'adoption d'une motion tendant à opposer la question préalable.

Je vais toutefois, par acquit de conscience, vous présenter le texte adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, en commençant par les aspects positifs.

D'abord, malgré le Sénat-bashing caractéristique d'une certaine bien-pensance, le Sénat, au moins, débarrasse les projets de loi des nombreuses dispositions non législatives, des rapports plus ou moins utiles ou encore des mesures irréalistes votées dans le feu de l'enthousiasme par nos collègues du palais Bourbon mais qui complexifient et dégradent la loi.

Ainsi, l'Assemblée a suivi le Sénat en confirmant la suppression des articles instaurant une « ardente obligation pour la Nation d'offrir des missions de service civique », d'un rapport sur la faisabilité et l'opportunité d'un développement contraignant des offres de service civique dans les collectivités territoriales, d'un autre sur la possibilité de créer une allocation d'études et de formation pour l'autonomie des jeunes ou encore sur l'expérimentation du service civique obligatoire. Les députés ont également renoncé à instaurer un quota d'oeuvres en langues régionales parmi les oeuvres musicales diffusées par les stations de radio, qui venait bouleverser tout l'édifice de la récente loi sur la création. Il en va de même de l'instauration de quotas fondés sur l'âge dans la composition de chaque conseil économique, social et environnemental régional (CESER) ou de la réduction du seuil de mise en place des conseils de développement fixé récemment par la loi NOTRe. De même, l'Assemblée a renoncé à instaurer la portabilité du lundi de Pentecôte, qui n'avait plus de sens depuis l'adoption de la dernière loi « travail ».

Je regrette néanmoins que tous les articles de ce type - irréalistes, incongrus ou invraisemblables - n'aient pas disparu. La réserve et le service civiques faisaient dès le départ l'objet d'un relatif consensus entre nos deux assemblées et plusieurs dispositions adoptées par le Sénat ont été intégrées par l'Assemblée nationale, telles que l'obligation de formation des tuteurs ou le principe de non-substituabilité de la réserve civique à un emploi ou à un stage, auquel nous étions très attachés. Comme quoi, il arrive que l'Assemblée nationale soit sage...

Trois derniers points de satisfaction : l'accord auquel nous avions abouti avec le Gouvernement lors de la séance publique pour avancer sur la question importante de la mobilité internationale des apprentis ; le maintien de l'essentiel de la rédaction simplifiée de l'article 43 adoptée par le Sénat, qui instaure le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes ; enfin l'Assemblée s'est finalement rangée à l'avis du Gouvernement - et au nôtre - pour supprimer les disposition sur les langues régionales dans la formation professionnelle.

En revanche, il existe des points de sérieuse divergence.

L'Assemblée nationale a rétabli de nombreux articles introduits en première lecture et qui n'ont aucun lien, même indirect, avec le projet de loi initial. Il en est ainsi des dispositions qui reprennent celles de la proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation et dont les conséquences pour les collectivités territoriales seront lourdes.

En nouvelle lecture, des dispositions ont également été adoptées au mépris de la règle de l'entonnoir, par exemple aux articles 15 undecies - mise à disposition d'une permanence aux parlementaires par les communes -, 19 septies A - épargne pour le permis de conduire - et 56 ter - extension des dispositifs de délivrance des titres de séjour en cas de violences familiales - sur lequel le Gouvernement partageait la position du Sénat. Le rapport de notre commission détaillera nos doutes quant à constitutionnalité de certains de ces articles.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale n'a pas tenu compte des craintes réelles et fondées émises par le Sénat sur la remise en cause souterraine de l'âge de la majorité légale à 18 ans, sous prétexte de donner de nouveaux droits - non essentiels à la cohésion sociale, pas plus qu'à l'intégration des jeunes - aux mineurs de 16 ans voire moins, avec pour conséquence la suppression de dispositifs essentiels à la protection des mineurs. Ainsi, a été rétabli l'article autorisant un mineur de seize ans à être nommé directeur de publication d'un journal ou d'un support en ligne de communication, avec pour effet gravissime de rendre les jeunes mineurs pénalement et civilement responsables de propos tenus dans la publication, même s'ils ne les ont pas écrits eux-mêmes.

Je regrette également que l'Assemblée nationale ait rétabli la possibilité, pour des associations de jeunes financées quasi exclusivement par des fonds publics, de rémunérer pendant une durée qui peut atteindre six ans leurs dirigeants âgés de moins de trente ans au moment de leur élection. Il s'agit d'un vrai dévoiement de l'engagement associatif.

L'article 15 undecies va créer de nouvelles contraintes pour les communes, qui devront mettre à la disposition des parlementaires, à titre gratuit, « les moyens matériels leur permettant de rencontrer les citoyens ». Chers collègues, rien ne vous empêchera demain de demander à toute commune de votre circonscription de vous prêter un véhicule communal pour aller rencontrer vos électeurs. C'est tendre le bâton pour se faire battre, alors même que la démocratie représentative est de plus en plus contestée !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion