Intervention de Françoise Gatel

Commission spéciale Egalité et citoyenneté — Réunion du 6 décembre 2016 à 21h05
Projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté — Examen du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel, rapporteur :

Quand on parle de moyens matériels sans les définir, cela peut viser un véhicule, mais aussi un ordinateur ou que sais-je encore...

Concernant la fonction publique, nous avons certains points d'accord avec l'Assemblée nationale mais il y a deux divergences majeures. D'abord, l'article 36 bis B organise un fichage des candidats aux concours administratifs et donc un nouveau méga-fichier, qui recensera les origines socioprofessionnelles, familiales et même géographiques. Il sera difficile d'expliquer aux maires que nous allégeons les normes tout en ajoutant des novations à l'intérêt discutable, y compris sur le plan des libertés... Puis, l'article 36 bis C impose aux collectivités territoriales de recruter au moins 20 % de leurs agents de catégorie C au travers des contrats de parcours d'accès aux carrières territoriales, hospitalières et d'État (Pacte). L'État fixe ainsi une injonction aux collectivités, contraire au principe de libre administration. Quid si les communes ne peuvent pas s'y plier ?

Concernant les dispositions qui modifient la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, chacun se souvient des cris d'orfraie que le Sénat a suscités par ses propositions pertinentes. Quoi qu'il en soit, l'Assemblée n'a pas estimé nécessaire d'analyser les modifications apportées par le Sénat, dont certaines étaient pourtant acceptées par le Gouvernement. Je suis choquée par le fait que la position du Sénat soit caricaturée comme liberticide sur la question : c'est bien le Gouvernement qui est responsable des plus profonds bouleversements apportées à la loi du 29 juillet 1881 et c'est bien l'Assemblée nationale qui les a acceptées, sans tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Il est savoureux de constater que, quelques semaines après avoir accusé le Sénat de s'attaquer à la liberté d'expression, au sujet d'un amendement de M. Pillet, cosigné avec M. Richard d'après un rapport qu'il avait rédigé avec M. Mohamed Soilihi, c'est l'Assemblée nationale qui semble désormais vouloir la restreindre avec la proposition de loi que nous examinerons demain sur le délit d'entrave numérique à l'IVG, et en dehors du cadre de la loi de 1881. Quelle ironie !

S'agissant de la lutte contre les discriminations, l'Assemblée nationale souhaite déjà revenir sur la loi sur la Justice du XXIème siècle, qui a été promulguée il y a moins d'un mois. Un fonds de soutien à l'action de groupe est par exemple créé, alors que le Sénat s'y est toujours opposé, même sous la précédente majorité.

Outre qu'elle a multiplié de manière désordonnée le nombre de critères de discrimination, l'Assemblée a rétabli des circonstances aggravantes générales, des délits, qui portent notamment une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et qui sont contraires aux principes constitutionnels de légalité des délits et des peines, et de nécessité des peines.

L'Assemblée nationale a rétabli le rôle de chef de file de la région en matière de politique de la jeunesse ainsi que de coordination des politiques d'information. C'est revenir sur la loi NOTRe, tant vantée.

Sur l'éducation, nous avions construit un texte sécurisé, qui instaurait un contrôle annuel obligatoire, afin d'éviter les dérives possibles de la liberté d'enseignement. L'Assemblée n'a conservé de notre travail que quelques modifications d'ordre rédactionnel. Outre les dispositions sans portée normative ou de nature manifestement réglementaire qu'elle a rétablies, trois sujets majeurs de divergence demeurent : sur l'article 14 bis, relatif au contrôle de l'instruction en famille, les députés ne nous ont pas suivis. Sur l'article 14 decies, relatif aux conditions d'ouverture des établissements privés d'enseignement scolaire, je rappelle que le ministère de l'éducation nationale souhaitait pouvoir procéder par ordonnance et instaurer un régime d'autorisation. Nous avions proposé un dispositif sécurisé de déclaration préalable. Je maintiens les réserves que j'avais exprimées quant au bien-fondé et à l'efficacité d'un régime d'autorisation - sans parler de sa conformité à la Constitution. Enfin, les députés ont réintroduit un droit d'accès à la restauration scolaire pour les élèves du premier degré, alors que la décentralisation est à la mode.

Sur ce dernier point, je regrette que la position du Sénat ait été violemment caricaturée par le Gouvernement et sa majorité à l'Assemblée. En décembre 2015 comme en octobre dernier, le Sénat ne s'est pas opposé à ce que la restauration scolaire revête un caractère obligatoire, comme dans le second degré ; bien au contraire, j'ai invité le Gouvernement à le proposer au lieu de transférer aux communes de nouvelles charges financières. De toute évidence, la crispation des députés et du Gouvernement sur ce sujet, comme sur l'ensemble de ce projet de loi, traduit leur préférence, poussée au fétichisme, pour les mesures d'affichage, au détriment de véritables solutions.

Bref, la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale confirme le rejet, par les députés, de ce que nous avons tenté de mettre en oeuvre : un dialogue constructif entre assemblées pour rapprocher nos positions. Nous en prenons acte, avec regret et incompréhension, au vu de l'objectif initial de ce texte, que nous partageons, et qui est de construire une République dans la cohésion sociale.

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