Intervention de Stéphanie Riocreux

Commission des affaires sociales — Réunion du 6 décembre 2016 à 15h15
Proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Stéphanie RiocreuxStéphanie Riocreux, rapporteure :

La proposition de loi qui nous est soumise a été déposée le 23 novembre dernier à l'Assemblée nationale, qui l'a adoptée en première lecture le 1er décembre. Elle reprend un amendement gouvernemental déposé au Sénat le 27 septembre sur le projet de loi Égalité et citoyenneté, qui n'avait pu être discuté pour des raisons de procédure.

Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte. Le contexte pré-électoral a pu contribuer à tendre les débats dans les médias, puis à l'Assemblée nationale. La présente proposition de loi a pourtant un périmètre limité. Elle comporte un seul article. Son objet est de compléter, pour l'adapter à l'évolution de notre société, la disposition relative au délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), créé par la loi du 27 janvier 1993.

Afin de garantir aux femmes l'accès à ce droit fondamental, le cadre du délit d'entrave a évolué. Il a été renforcé par la loi du 4 juillet 2001, qui a ajouté la notion de pressions morales et psychologiques aux menaces et actes d'intimidation sanctionnés dès 1993 et en a alourdi la sanction. Il a été élargi par la loi du 4 août 2014, qui a sanctionné également les actions visant à empêcher l'accès à l'information au sein des structures pratiquant l'IVG. Ainsi, le délit d'entrave inscrit à l'article L. 2223-2 du code de la santé publique est défini comme le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher de pratiquer une IVG ou de s'informer sur celle-ci.

À ce titre, on distingue deux types d'entrave : d'une part l'entrave physique, c'est-à-dire le fait de perturber l'accès aux établissements habilités à pratiquer des IVG ou les conditions de travail des personnels médicaux et non-médicaux ; d'autre part l'entrave par pressions psychologiques, c'est-à-dire le fait d'exercer « des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non-médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues y subir ou s'informer sur une IVG ou de l'entourage de ces dernières ». Ce délit est assorti d'une peine maximale de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.

Ce que réprime le code de la santé publique, c'est bien le fait d'empêcher les femmes d'accéder à ce qui est reconnu par la loi comme un droit. Je me dois de rappeler qu'il s'agit d'un droit particulièrement encadré. Le texte soumis à notre examen n'a pas pour objet d'assouplir cet encadrement mais de garantir que l'accès à ce droit soit respecté. Il s'agit de trouver un point d'équilibre pour que la liberté de s'opposer à l'IVG n'entrave pas la liberté d'y recourir.

Depuis quelques années, une évolution des pratiques d'entraves par pressions psychologiques a été mise au jour. Aujourd'hui, ces pratiques prennent notamment la forme d'une désinformation par la voie d'Internet. Cette situation a été étudiée en particulier par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH). En 2013, sur saisine de la secrétaire d'État aux droits des femmes, le Conseil a dressé un état des lieux de l'accès à l'IVG sur le territoire, notamment de l'information dispensée sur Internet. Parmi les recommandations figurait la mise en place d'un site Internet institutionnel dédié ainsi que d'un numéro de téléphone national anonyme et gratuit. Ce fut chose faite en 2015 avec la création du site www.ivg.gouv.fr et la mise en service du numéro vert 0 800 08 11 11.

Certains sites Internet mettant en oeuvre une stratégie de référencement destinée à concurrencer les sites publics se donnent l'apparence de sites institutionnels neutres mais fournissent des informations partielles ou tronquées, donc de nature à induire en erreur les internautes. La présentation que ces sites font du recours à l'IVG est biaisée. Elle comporte parfois des contre-vérités scientifiques ; aucune mention n'y est faite des modalités pratiques d'exercice du droit. La volonté de dissuader les femmes de recourir à l'IVG n'est jamais clairement affichée. Il s'agit de tentatives de dissuasion insidieuses.

De plus, plusieurs de ces sites comportent un renvoi vers un numéro vert. Le coeur du problème est bien là. Naviguer sur différents sites Internet à la recherche d'informations est une chose, l'internaute ne peut être a priori considéré comme étant réellement « captif », même si l'étude menée par le HCE nous indique qu'Internet est souvent la première source d'information en matière de santé, particulièrement pour les plus jeunes. Parmi les 15-30 ans, plus de 57 % de femmes et 40 % d'hommes utilisent Internet pour se renseigner sur des questions relatives à la santé ; 80 % des jeunes qui y ont recours jugent crédibles les informations recueillies, sans vérifier l'origine des sites ni la fiabilité de ceux qui les alimentent. La question de l'entrave se pose précisément lorsque l'internaute, alors qu'il cherchait des renseignements sur un site d'apparence neutre, se trouve en contact individuel avec un interlocuteur à propos duquel des témoignages mettent en lumière des tentatives de dissuasion. Pour les femmes, celles-ci peuvent entraîner, à travers une perte de temps et avec des méthodes proches du harcèlement, une perte de chance au sens médical du terme, étant donné les délais stricts dans lesquels l'IVG est possible.

Bien qu'ayant un périmètre limité, la rédaction initiale de la proposition de loi a soulevé le problème du respect de la liberté d'expression. En effet, la caractérisation du délit était particulièrement large. Il y était question de diffusion ou de transmission « par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales » d'une IVG.

L'Assemblée nationale a apporté plusieurs modifications, visant notamment à éviter ce problème de constitutionnalité, en proposant une nouvelle rédaction du texte. Toutefois, la version adoptée par les députés revient à considérer que les pressions psychologiques peuvent constituer une entrave physique, ce qui peut nuire à l'intelligibilité de la disposition.

À mon sens, pour atteindre le but visé à travers cette proposition de loi, très peu de changements sont, en fait, nécessaires par rapport au droit existant. La loi de 1993 a été conçue pour empêcher les actions « commando » menées à l'époque contre les centres pratiquant des IVG. Il nous revient d'adapter ces dispositions à l'évolution des modes de communication, en particulier à la recherche d'informations sur Internet. Je vous proposerai une rédaction plus recentrée : mon amendement tend simplement à compléter les dispositions relatives au délit d'entrave par pressions morales et psychologiques, en précisant que celles-ci peuvent avoir été exercées par tout moyen à l'encontre des personnes cherchant à s'informer sur une IVG.

J'entends ceux qui, notamment parmi les personnes que j'ai auditionnées, insistent sur le fait que l'accès à l'IVG reste d'abord une question de moyens. À cet égard, la dynamique des politiques de santé publique a permis des progrès très importants au cours de ces dernières années.

Les recommandations du Haut Conseil ont été pour la plupart mises en oeuvre, pour ce qui concerne la prévention et l'accès à l'information sur l'ensemble du territoire, ou la diffusion de l'information officielle sur Internet.

Le numéro vert national, dont la gestion a été confiée au Mouvement français du planning familial, permet de diffuser des informations objectives en s'appuyant sur l'ensemble des acteurs locaux au niveau régional afin de garantir aux personnes un parcours simplifié et fiable vers l'information et l'accès au droit.

Ces progrès, incontestablement, doivent être poursuivis pour améliorer le référencement des sites officiels sur les moteurs de recherche et pérenniser l'effort de communication au grand public.

Dans cette perspective, j'ai demandé à la Haute Autorité de santé (HAS), qui est en charge de ces questions, un bilan quant aux possibilités de recourir à la labellisation des sites Internet diffusant des informations en matière de santé. Il ressort de ce travail que l'impact d'une labellisation serait faible et particulièrement coûteuse compte tenu de la réalité des comportements de recherche sur Internet et de la facilité qu'ont les sites non labellisés à évoluer.

Le sujet qui nous occupe aujourd'hui porte sur un point juridique très précis, qui appelle de notre part une réponse législative.

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