Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsqu’elle est trop tatillonne ou déconnectée des réalités locales, l’application des normes à l’agriculture est une véritable source de difficultés pour les exploitants.
Lors du débat récemment tenu, sur l’initiative de notre groupe, sur l’avenir de la filière élevage, vous avez, monsieur le ministre, évoqué le « handicap » que constitue l’inflation des normes. Cette « overdose normative », comme l’ont qualifiée les auteurs du rapport d’information sur les normes agricoles, s’est accrue de façon considérable avec le développement d’exigences croissantes en matière sanitaire et environnementale.
Bien entendu, ce n’est pas le principe des règles qui est contesté. Celles-ci se sont d’ailleurs révélées indispensables par le passé. Au cours du siècle dernier, le droit rural s’est développé pour permettre à notre agriculture de faire sa mutation économique dans un cadre relativement protecteur pour les exploitants. Cette réglementation n’a pas empêché la diminution du nombre des exploitations, mais elle a permis à la France de rester une grande nation agricole. Le statut du fermage, le contrôle des structures et, bien entendu, les SAFER ont joué un rôle important.
Il ne s’agit pas non plus d’ignorer l’impératif de lutte contre les pollutions, ou celui de la protection de la qualité des eaux ou de la biodiversité. Néanmoins, l’agriculture se trouve toujours en première ligne pour répondre à ces défis, comme si l’on oubliait sa vocation première, celle de nourrir les hommes, ainsi que son rôle économique, notamment par le biais des exportations, essentiel à la vitalité de nombreux territoires.
Plus que tout autre secteur, l’agriculture cumule les contraintes : aléas climatiques, aléas sanitaires, hélas très présents cette année, et aléas de marché, avec les fluctuations de cours. Dans ces conditions, n’ajoutons pas du mal au mal. Sans rejeter en bloc les normes, sachons raison garder, car leur excès peut affaiblir la compétitivité ou brider le développement de l’agriculture. Cela surcharge et exaspère nos agriculteurs !
L’impact des réglementations n’est pas objectivement quantifiable, mais il y a des évidences et quelques principes à garder à l’esprit lorsque l’on produit une norme.
La majorité des exploitations sont petites et n’ont donc pas les moyens humains de digérer chaque jour une réglementation croissante et changeante. On dit que 15 % du temps des agriculteurs serait consacré à la gestion administrative ; c’est beaucoup trop ! Le contrôle effectué dans le domaine agricole par l’État, souvent par le biais des directions départementales des territoires, devrait d’ailleurs mieux tenir compte de cette difficulté, même si des efforts ont été faits dans les dernières années. Il faut une approche plus pédagogique, plus préventive et, donc, moins axée sur la sanction. Je vous donne acte en tout cas, monsieur le ministre, de vos directives en ce sens.
Il faut bien évidemment engager une véritable démarche d’allégement qui ne consiste pas seulement à faciliter l’application de la règle. L’État a mis en œuvre un certain nombre d’outils pour aider aux démarches administratives, notamment à travers la dématérialisation. Mais simplifier, ce n’est pas encore alléger. Je suis opposé à la prolifération des conseils ; néanmoins, il faudrait instituer, sur le modèle du Conseil national d’évaluation des normes, consacré aux collectivités locales, une structure qui apure le flux des normes applicables à l’agriculture.
Enfin, et surtout, il faut mieux mesurer au préalable l’impact des normes sur l’activité agricole. En effet, les exemples de mesures aberrantes, voire incapacitantes sont nombreux.
Le code rural s’est fondé sur le principe d’une dérogation au droit commun visant à tenir compte de la spécificité de l’agriculture. Or des dispositifs inadaptés, quoique généralement louables, comme le compte pénibilité ou la complémentaire santé, pour ne citer que les plus récents, contrarient cette tradition.
Puisque 50 % à 60 % des nouvelles normes sont d’origine communautaire, c’est bien sûr aussi à ce niveau qu’il faut agir. La directive Nitrates, même si elle est utile, pertinente et indispensable, contient des prescriptions parfois complètement inapplicables.
Le régime des installations classées est également un sujet de préoccupation. J’en veux pour preuve, monsieur le ministre, que vous êtes personnellement intervenu, plusieurs fois depuis 2013, pour modifier ces seuils, ce qui signifie que nous allions bien au-delà des exigences communautaires.
On pourrait multiplier les exemples, notamment dans le domaine du bien-être animal, certes indispensable, mais pour lequel on doit appliquer des normes qui soient viables et de bon sens. Tout cela devrait conduire, d’une part, à associer encore davantage les agriculteurs à la production des règles, en particulier lorsque celles-ci émanent d’autres ministères que celui de l’agriculture, et, d’autre part, à favoriser les expérimentations.
Monsieur le ministre, nous reconnaissons les efforts que vous avez accomplis ces dernières années, y compris à l’échelon européen, pour progresser sur la question des normes. Il faut néanmoins engager à présent une démarche encore plus volontaire afin que nos agriculteurs ne se trouvent pas découragés. On leur demande beaucoup ; ils font face à de nombreux aléas ; ils supportent une charge de travail très importante ; ils s’inscrivent dans la démarche agroenvironnementale qu’avec le gouvernement auquel vous appartenez vous avez souhaitée ; ils acceptent les démarches de sécurité et de qualité ; enfin, ils répondent aux besoins alimentaires des Français, mieux encore que par le passé.
En contrepartie de leur responsabilité et de leur efficacité, ils méritent un véritable aggiornamento : un plan de simplification et d’allégement. En effet, que ce soit du point de vue économique, du point de vue de l’aménagement du territoire ou de celui de la balance commerciale, ils répondent présents dans les rangs du bataillon économique solide et porteur de l’avenir de la France.