Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est après une réflexion menée à la suite d’un grand nombre d’auditions et de réunions que notre groupe de travail sur les normes en matière agricole a rendu son rapport, puis présenté cette proposition de résolution. Je salue l’initiative des auteurs de ce texte, Daniel Dubois et Gérard Bailly, qui nous permettent aujourd’hui de nous exprimer sur le sujet.
La norme, dans ses fondements, a une vocation clairement positive, pour une meilleure information des consommateurs, mais aussi pour une amélioration de la qualité des produits. Nous ne contestons pas la démarche, mais il faut revoir son niveau, sa méthode d’élaboration et son évaluation.
Le constat qui est fait aujourd’hui est clair : la prolifération normative pèse lourdement sur la compétitivité de nos exploitations agricoles. Or force est de constater qu’en France les exemples de normes inappropriées ou disproportionnées ne manquent pas. Le rapport révèle aussi que le monde agricole se trouve au carrefour de nombreuses disciplines, ce qui explique cette complexité.
Parlons d’abord des tracasseries administratives, parfois sans fin. Un exemple pourrait être celui des difficultés liées à l’accueil de jeunes stagiaires ou apprentis. En septembre dernier, j’ai vu débouler dans ma permanence un agriculteur excédé, venant me dire qu’il avait toujours accueilli des apprentis et des stagiaires, mais que, cette année, après la visite d’inspecteurs du travail, il renonçait à passer des contrats d’apprentissage.
Dans un autre ordre d’idées, l’instauration d’initiatives simples, comme celle dite « un fruit à la récré », se trouve freinée inutilement. L’expérience menée dans ma commune a révélé un réel fardeau de contraintes administratives qui explique que la France ne consomme qu’un quart de l’enveloppe européenne attribuée à cette action.
Il existe également un bon nombre de problèmes liés au principe de précaution. En effet, restreindre, voire interdire des pratiques agricoles et l’utilisation de certaines substances pour traiter les cultures met en péril les productions. Ainsi, la filière noisette de Lot-et-Garonne est actuellement en grande difficulté à cause de l’interdiction d’un produit de traitement contre un insecte ravageur, prononcée sans que l’on dispose de solutions de substitution ; ce n’est pas un cas isolé. Nous créons de ce fait une distorsion de concurrence par rapport aux productions étrangères, sans pour autant interdire l’importation des produits étrangers traités avec des substances prohibées en France. Cela n’a pas de sens.
Il y a clairement un effet pervers : nous imposons des normes que nous ne mettons absolument pas en valeur et qui mettent en danger nos exploitations. Il est urgent de valoriser notre réglementation dans un cadre commercial. Sinon, nous continuerons à créer des contraintes pour ceux qui, finalement, sont les plus performants, sans profit. Notre approche et notre méthode de travail sur la surtransposition des directives et sur l’interprétation de certains règlements sont à revoir.
Les agriculteurs, qui sont avant tout des chefs d’entreprise, se voient aujourd’hui noyés par un excès de réglementation et par des contrôles en tout genre. Cela peut être supporté par les plus grosses structures, mais sûrement pas par les petites exploitations.
Pour comprendre cela, il faut s’arrêter sur les faiblesses de notre méthodologie d’élaboration des normes en agriculture au niveau tant européen que national.
Dans la mesure où presque 90 % des normes sont produites par Bruxelles, nous pouvons légitimement nous demander à quel niveau les agriculteurs participent à la prise de décision. Il me semble pourtant évident que leurs retours de terrain sont essentiels et qu’il y a un important chantier d’adaptation à mener selon les différentes cultures et régions.
Au niveau national, l’agriculture est un domaine d’activité à la croisée d’un grand nombre de secteurs. Qu’elles soient sanitaires, sociales, économiques ou environnementales, ces réglementations imposent un carcan rigide qui ne tient pas compte des particularités et de la diversité des activités agricoles.
Il existe un travers tout à fait français, celui de travailler en tunnel. Chaque ministère demeure cantonné dans sa mission, sans jamais harmoniser les choses. Je vous ai interrogé un jour, monsieur le ministre, sur votre méthode pour déterminer les normes nitrates. Selon vous, l’IRSTEA et l’INRA avaient mission de travailler sur le sujet. Je me suis ensuite rendu compte que, dans le même temps, le ministère de l’environnement avait publié sur son site des normes en la matière : à la fois le projet de décret et le projet d’arrêté afférent. Je vous ai fait part de mon étonnement, et vous m’avez indiqué que cette démarche avait été accomplie dans la précipitation, à la suite de pressions de la Commission européenne. Cette norme continue du reste d’être appliquée ; sera-t-elle évaluée ?
Dans le domaine de l’eau, sur lequel je m’investis tout particulièrement, je remarque que ces deux ministères travaillent dans des sens différents. Ainsi, dans un rapport publié en décembre dernier, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux préconise de faire des réserves d’eau et de les financer à plus de 70 %, à l’inverse de ce que préconise le ministère de l’environnement.
La proposition de résolution insiste sur la nécessité de « faire évoluer les règles en matière d’utilisation et de stockage de l’eau ». Elle me semble, à ce titre, tout à fait pertinente.
La reconstitution des nappes phréatiques ou encore la création de réserves d’eau en période d’abondance permettraient de répondre aux pics de sécheresse qui vont se multiplier du fait de l’accentuation du changement climatique. Elles contribueraient également au maintien du bon état écologique des cours d’eau et garantiraient les productions. Je reste néanmoins optimiste, puisque j’ai pu entendre dernièrement Mme la secrétaire d’État chargée de la biodiversité déclarer que « la création de plans d’eau est une des options pour améliorer la disponibilité estivale de la ressource en eau ».
Mon dernier point concerne le travail que nous devons encore mener sur l’évaluation des normes afin de limiter les problèmes d’interprétation, mais aussi pour stabiliser l’évolution dans le temps de notre réglementation.
La proposition de développer les études d’impact a priori et a posteriori et de systématiser une analyse des effets de la norme dans un délai de trois à cinq ans après son entrée en vigueur pourrait permettre de réguler la prolifération des mesures parfois trop lourdes ou inutiles. Je pense ainsi aux éleveurs, qui sont obligés d’investir sur des périodes importantes. Dans un délai très proche, ils se voient souvent contraints à de nouvelles adaptations, alors qu’ils n’ont pas pu amortir économiquement leurs premiers investissements. Ce n’est pas tenable.
Il faut également s’attacher davantage aux résultats qu’aux moyens et donc, en ce sens, faire confiance à nos agriculteurs dans leurs pratiques, notamment en allégeant les normes applicables aux plans d’épandage, qui sont plus dépendants de la météo que de la réglementation.
Je reste convaincu que les agriculteurs et les consommateurs ont des intérêts liés. Tous partagent l’objectif de disposer d’une alimentation suffisante, de qualité et à coûts accessibles.
Agir sur l’élaboration des normes, favoriser la participation des agriculteurs dans les prises de décision et instaurer la souplesse nécessaire à la spécificité de leurs activités : voilà le défi que nous devons relever pour sauvegarder nos exploitations françaises et notre indépendance alimentaire.