Si vous pensez que la France aurait un avantage sur les autres États membres, là encore, méfiez-vous ! Certains pays pourraient aller très loin dans l’allégement des normes, par exemple en matière environnementale. Or, nous, parce que nous sommes la France, nous aurions des difficultés à aller dans ce sens, quelle que soit la majorité, et à appliquer un verdissement différent.
J’aimerais alors que l’on rediscute de la compétition et de la concurrence entre les agricultures européennes ! Je sais ce qui se passe aujourd’hui dans les pays d’Europe centrale, en Ukraine, en Russie. Je sais quelles normes ils appliquent. Je sais ce que cela peut donner en termes de compétitivité, mais aussi de pollution. Un jour, ces pays seront rattrapés par les pollutions qu’ils sont eux-mêmes en train de générer.
Dans ces moments où il est toujours facile de dénoncer ce qui existe, que chacun prenne la mesure des conséquences qu’une telle décision pourra avoir. Je le dis d’ailleurs pour les prochains négociateurs de la prochaine politique agricole commune qui auraient l’intention de remettre en cause le verdissement.
Je me suis battu pour le verdissement. Que proposait alors l’Allemagne ? Elle demandait que l’on bascule le verdissement dans le deuxième pilier de la PAC et qu’on lui laisse la possibilité d’avoir un financement et un cofinancement sur le budget national. Or, avec les excédents budgétaires qu’elle dégage aujourd’hui, ses capacités de financement sont bien plus élevées que celles de notre pays. Que penser alors d’une telle configuration lorsque j’entends – et c’est logique –, dans un débat politique, que des candidats désignés à l’issue d’une large participation à une primaire proposent de baisser la dépense publique de 100 milliards d’euros ?
Certes, je le dis aux agriculteurs, il faut réduire et simplifier les normes, mais il faut également bien analyser les conséquences d’une telle simplification.
Permettez-moi maintenant de citer les travaux de Terra Inovia, l’Institut technique des producteurs d’oléagineux, de protéagineux, de chanvre et de leurs filières. Le 16 novembre, cet institut a publié une étude portant sur l’association du colza à une légumineuse : cette technique a permis d’augmenter les rendements de 10 % par hectare, de réduire de 20 % à 30 % les frais de désherbage, de diminuer l’utilisation de produits phytosanitaires, d’économiser 30 unités d’azote par hectare, et de supprimer un insecticide. Testée depuis cinq ans sur 160 sites, cette innovation sera bientôt étendue à 100 000 hectares en France dans les zones intermédiaires. Ce projet vient d’obtenir le premier certificat d’économie de produits phytosanitaires mis en place dans le cadre du plan Écophyto II.
M. Lenoir parlait de l’agriculture de précision. Pour ma part, j’évoquerai l’agronomie de précision, sujet dont vous ne voulez pas débattre. Le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a été contesté au Sénat.
Je suis totalement d’accord s’agissant de l’empilement des normes. Ces dernières sont aujourd'hui appliquées à des modèles dont il fallait corriger les externalités négatives, comme on dit en économie. Pour autant, il ne suffit pas, contrairement à ce que vous soutenez, mesdames, messieurs les sénateurs, de supprimer une ancienne norme chaque fois qu’on en crée une nouvelle. Comment procédera-t-on ? Faudra-t-il supprimer une norme portant sur le même sujet que celle qui est instaurée ?
La question du diméthoate a été évoquée. Pensez-vous réellement que le ministre de l’agriculture puisse remettre en cause la décision de l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de refuser la mise sur le marché de ce produit considéré comme étant cancérogène ? Le cas échéant, c’est à lui qu’on reprocherait d’avoir autorisé un produit dont il connaissait les risques pour la santé. Comment expliquerait-on ensuite aux consommateurs que le ministre de l’agriculture n’a pas voulu entendre parler de ces risques ? §Que chacun prenne ses responsabilités !
Je veux bien que l’on discute de ces sujets, que l’on dise que l’on n’en fait jamais assez, mais je vous demande également, quelles que soient vos opinions politiques ou la majorité à laquelle vous appartenez, mesdames, messieurs les sénateurs, d’être attentifs au débat dans la société. Vous verrez alors qu’il faut agir sur ces sujets avec précaution.
Cela étant, ce n’est pas moi qui ai fait inscrire le principe de précaution dans la Constitution, c’est Jacques Chirac. S’il l’a fait – vous connaissez comme moi son attachement à l’agriculture –, c’est qu’il pensait que ce principe était assez juste. Remettre en cause ce dernier, je vous l’assure, ne réglera pas tous les problèmes.
Oui, la France a besoin de garder une grande agriculture ! Oui, elle doit rester un leader, mais elle doit aussi combiner la performance dans les domaines économique, environnemental et social. C’était tout le débat dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Ce sera aussi le débat du futur. Chacun pourra contester et modifier la ligne que j’ai alors définie, mais je suis plus que jamais convaincu qu’elle correspond aujourd'hui à l’enjeu de demain. Il s’agit de préserver la place de la France demain dans le grand concert des nations agricoles.
Si nous parvenons à anticiper la mutation qui est en cours, à définir ce que doit être une agriculture à la fois compétitive et durable, alors nous gagnerons le pari de l’agriculture de demain. Nous permettrons à nos agriculteurs d’avoir des revenus, de dégager des marges et d’exercer leur métier sans être soumis de manière continuelle à des normes. Tel est l’enjeu de l’agroécologie.