Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 7 décembre 2016 à 10h00
Contrat d'objectifs et de moyens entre l'état et arte france pour la période 2017-2021 — Communication et examen de l'avis de la commission

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur :

Nous examinons aujourd'hui le projet de contrat d'objectifs et de moyens de la chaîne ARTE-France qui constitue la partie française de la chaîne franco-allemande ARTE.

L'audition de la présidente de la chaîne la semaine dernière et le débat qui a suivi ont montré de manière éclatante tout le crédit que la direction de la chaîne avait acquis auprès des responsables politiques et culturels.

Je reviendrai donc sur le détail de ce COM, mais vous aurez compris que mon avis n'a pas changé depuis la semaine dernière et que si l'on veut donner un intérêt à notre exercice de ce jour, il faut sans doute le chercher ailleurs que dans l'unique examen de tous les aspects de ce COM afin de nous intéresser - plus globalement - aux raisons qui expliquent le succès d'ARTE. Car ce succès n'était pas acquis et il faut se souvenir de ce qu'était cette chaîne il y a encore quelques années lorsque son audience était modeste et sa réputation assez ingrate.

Si nous sommes si enthousiastes aujourd'hui, c'est justement parce que cette chaîne a changé pour s'éloigner d'une vision peu accessible de la culture et engager un dialogue exigeant avec le plus grand nombre sans céder sur ses valeurs et son ambition européenne constamment réaffirmée.

Cette évolution éditoriale a permis l'augmentation de l'audience de + 50 % en France en cinq ans (2,2 % de parts d'audience contre 1,5 %) et de + 30 % en Allemagne.

Au-delà de ces chiffres, quelles leçons pourrions-nous en tirer pour le reste de notre audiovisuel public ?

Certes, les enjeux ne sont pas les mêmes puisque, notamment, les objectifs fixés à France Télévisions sont bien plus nombreux que ceux fixés à ARTE, mais pourquoi les recettes du succès de la chaîne franco-allemande ne pourraient-elles pas être mieux valorisées ?

Je vois, en particulier, cinq raisons au succès de la chaîne ARTE sur lesquelles je vous invite à méditer :

- une identité et un positionnement forts. Il me semble que l'identité du service public de l'audiovisuel n'est pas claire et que le contribuable ne voit pas assez la différence entre le service public et les chaînes privées.

Pourquoi, lorsque nous regardons ARTE, savons-nous tout de suite que nous ne sommes pas sur une chaîne privée ? Tout d'abord parce qu'il n'y a pas de publicité. C'est peut-être un détail pour certains mais l'absence de réclames - à l'exception de quelques parrainages - permet tout de suite d'accéder à un univers plus apaisé et propice à la découverte des programmes. L'absence de publicité réserve tout le temps disponible de notre cerveau humain à l'intelligence, à la découverte de l'autre et à la réflexion au lieu d'attiser les réflexes primaires de l'envie et de la frustration consumériste.

Les habillages de la chaîne sont également importants pour affirmer une identité fondée sur l'élégance et l'harmonie. Sur ARTE, tout est fait pour que le téléspectateur soit le sujet au lieu d'être un objet ;

- une programmation originale. La programmation d'ARTE est bien évidemment la caractéristique la plus importante de la chaîne. Comme je l'évoquais précédemment, celle-ci a beaucoup évolué au cours du précédent COM jusqu'à trouver un « juste équilibre ».

Je donnerai un satisfecit plus particulier aux programmes courts qui confèrent un ton particulier à une chaîne. L'émission quotidienne 28 minutes répond aux attentes des Français en termes de débats. ARTE Journal à 19h45 met l'accent sur l'international et privilégie les reportages sur le terrain (les reportages en Floride pendant l'élection américaine, par exemple, montraient bien la réalité du ressentiment des électeurs quand d'autres rédactions du service public privilégiaient un point de vue franco-français).

Preuve que l'humour revendiqué par Véronique Cayla n'est pas une plaisanterie, je citerai aussi l'excellente série Silex and the City qui, depuis trois ans, nous enthousiasme avec une vision décalée de nos grands et petits débats de société... ;

- une politique de production plus moderne. Comme nous l'a rappelé la présidente de la chaîne, ARTE n'est pas soumise au « carcan » de la réglementation sur la production audiovisuelle (improprement dénommée « décrets Tasca »). Ce qui n'empêche pas la chaîne de travailler quasiment exclusivement avec les producteurs indépendants mais en obtenant davantage de droits, notamment pour présenter les oeuvres en replay.

Or on sait que c'est l'absence de droits - notamment concernant les mandats de négociation pour les ventes à l'export - qui a longtemps incité les chaînes françaises à commander des formats franco-français quasiment impossibles à exporter et à l'ambition culturelle très limitée.

La philosophie d'ARTE est évidemment - là encore - très différente puisque la vocation européenne de la chaîne influence le ton et la forme de ses productions qui, par nature, s'adressent à un public plus vaste que le seul public français. La chaîne a su montrer qu'elle était en avance sur son temps.

Cette priorité donnée aux oeuvres européennes n'exclut pas la diffusion d'oeuvres internationales ou américaines mais toujours avec parcimonie et avec le souci de la qualité ;

- un esprit pionnier dans le numérique. Depuis toujours ARTE a essayé de diversifier ses modes de distribution, notamment pour pallier le fait que la chaîne ne disposait pas d'un canal à temps complet. Cette contrainte a presque été une chance puisque le replay est apparu comme une opportunité au lieu d'être vécu comme une menace par le « linéaire ». ARTE a ainsi développé une multitude de plateformes thématiques, comme nous l'a rappelé sa présidente, et la chaîne profite de son régime propre en matière de droits audiovisuels pour proposer des films et des séries en replay, ce que ne font pas les chaînes hertziennes gratuites.

À noter également qu'ARTE reste très prudente face au développement des plateformes SVOD (Subscription Video On Demand). Tout au plus, la présidente a-t-elle évoqué la légitimité de la chaîne à proposer un projet sur le cinéma d'auteur en lien avec la partie allemande. Ce réalisme est aussi une marque de fabrique d'ARTE qui vise à se garder de toute aventure ;

- une conviction forte sur l'évolution des usages. Au-delà de cette politique novatrice en termes de supports, ce qui est frappant, c'est le fait qu'ARTE se projette dès aujourd'hui dans l'avenir en actant l'affaiblissement irrémédiable du linéaire. Pour Véronique Cayla, il est urgent de se préparer à ce que les oeuvres soient davantage consultées sur les réseaux sociaux, sur les applications et sur les sites plutôt que sur le canal linéaire. C'est la première fois que j'entends un dirigeant d'un grand média aussi lucide sur cette évolution. Tous les autres s'évertuent - à tort - à penser que la télévision comme la presse écrite continueront à demeurer les supports principaux de diffusion. Pour la présidente d'ARTE, le problème n'est pas de savoir si le linéaire va disparaître mais à quel moment.

Quelle est la raison de cette lucidité ? À mon sens, elle réside dans le fait qu'ARTE est plus qu'une chaîne de télévision, c'est d'abord une ambition. A contrario, les chaînes classiques se vivent d'abord comme des médias incontournables et ne ressentent pas vraiment le besoin de se remettre en cause ni de s'interroger sur les contenus qu'elles diffusent, au moins tant que l'audience est au rendez-vous. Voilà pourquoi ARTE est, à mon sens, un média d'avenir et les autres chaînes devraient attacher plus d'importance à leurs choix stratégiques.

Les neuf objectifs du nouveau COM tels qu'ils nous ont été présentés par la présidente d'ARTE s'inscrivent dans un prolongement logique de l'action menée depuis 2012 :

- le premier vise à augmenter les engagements dans la création de près de 10 % en 2017, ce qui, sur l'ensemble de la période, signifie un passage de 77 millions d'euros en 2016 à 90 millions d'euros à la fin de la période du COM ;

- le deuxième illustre l'axe stratégique du COM 2017-2021 : augmenter l'offre de programmes inédits, c'est-à-dire l'apport de programmes inédits d'ARTE-France à la chaîne ARTE, qui va croître de 15 % à l'horizon 2021 et de 7 % dès 2017 ;

- le troisième vise à disséminer le plus largement possible les programmes sur tous les supports et les territoires afin de multiplier par deux le nombre de vidéos vues ;

- le quatrième consiste à proposer au public un minimum de 85 % d'oeuvres européennes dans les oeuvres diffusées ;

- le cinquième prévoit qu'ARTE s'engage à affecter au minimum 3,5 % de ses ressources à la co-production d'oeuvres cinématographiques ;

- le sixième concerne la part d'audience en France : la chaîne devra veiller à conserver un niveau égal ou supérieur à 2,2 % de part de marché en France ;

- le septième vise à faire croître les recettes commerciales de 10 % dans la période du COM ;

- le huitième a pour objet de conserver des charges de structure inférieures à 2,4 % des ressources ;

- le neuvième ambitionne de conserver des charges de personnel inférieures à 7,7 % des ressources.

Nous ne pouvons, selon moi, que soutenir ces objectifs. Et cette stratégie claire est très légitimement encouragée par le Gouvernement, qui a prévu d'attribuer, en 2017, près de 10 millions d'euros (+ 3,8 %) supplémentaires à la chaîne et + 2,7 % en moyenne sur la durée du COM 2017-2021.

Il n'est pas si fréquent que j'accorde un satisfecit à un COM car ceux que j'ai été amené à étudier au nom de notre commission comportaient de nombreuses lacunes. Tel n'est pas le cas dans le présent document car la masse salariale reste maîtrisée et les frais de structure font l'objet d'économies, grâce à une politique d'appel d'offres systématique très efficace, claire et transparente.

Au final, il apparaît que le bilan du COM 2012-2016 comme la présentation du prochain COM 2017-2020 constituent une véritable ambition pour le service public de l'audiovisuel qui mérite notre soutien et nos encouragements. C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter sans réserve un avis favorable à ce projet de COM.

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