Nous jugeons donc important d'encourager la simplification des mécanismes d'exonération et d'abattement. Et peut-être pourrions-nous moderniser et favoriser de manière plus efficace les formes de transmissions qui permettent de sauvegarder les entreprises et l'emploi, comme celle aux salariés ? Si le succès des reprises internes est réel, il n'est en aucun cas facilité par l'obligation d'information préalable des salariés définie par la loi dite « Hamon » du 31 juillet 2014 puis rectifiée par la loi « Macron » du 6 août 2015. Cette mesure fait l'unanimité contre elle : elle ne sert à rien ! L'information des salariés, avec ces textes, est devenue soit dangereuse soit inutile :
- dangereuse car elle peut entraîner l'échec d'un projet de reprise, alors même que nous devons tout faire pour faciliter les transmissions sereines et favorables au développement des entreprises. Il est aisé de comprendre qu'une annonce à l'ensemble des salariés peut créer un phénomène de panique au sein d'une entreprise et remettre en cause une vente pourtant bien préparée ! Et deux mois, c'est évidemment très insuffisant pour permettre à des salariés de se mobiliser pour présenter un projet de reprise d'entreprise.
- inutile puisque désormais le non-respect de cette obligation d'information n'entraîne fort heureusement plus l'annulation de la cession mais une pénalité sous forme d'amende civile ne pouvant excéder 2 % de la vente. Notre collègue députée, Fanny Dombre-Coste, que nous avons rencontrée à l'Assemblée Nationale, a travaillé sur ce texte et a elle-même reconnu que désormais il est usuel de contourner la loi en intégrant la pénalité de 2 % dans le prix de vente.
Tous nos collègues sénatrices et sénateurs chefs d'entreprise savent bien que le dirigeant prépare bien en amont, souvent des années avant la transmission, un projet de reprise par ses salariés. Dès lors que la transmission familiale est écartée, c'est bien souvent la piste envisagée tout de suite après. Je crois pouvoir vous annoncer d'ores et déjà que nous proposerons donc une mesure de simplification -et de bon sens !- avec la suppression de ces dispositions issues de la loi Hamon.
Notre troisième piste de réflexion concerne que la question du temps, des délais, qui est cruciale dans la transmission d'entreprise. Mon collègue Claude Nougein vient d'évoquer la complexité des dispositions fiscales, mais on ne peut faire l'économie d'une analyse des cycles de décision, et de l'impact du facteur temps.
Tout d'abord, le temps est primordial pour réussir une transmission d'entreprise. Cela se prépare cinq à dix ans en amont, comme nous l'ont confirmé les personnes auditionnées. Mais malheureusement de nombreux chefs d'entreprise n'anticipent pas suffisamment cette étape clé. Les raisons sont multiples, et vont de l'obstacle technique (connaissance des procédures de transmission et de l'optimisation fiscale, comme l'a indiqué notre collègue Claude Nougein à l'instant) à l'obstacle psychologique. Un dirigeant, notamment celui qui a fondé son entreprise, aura du mal à envisager la transmission et aura tendance à repousser au maximum cette étape qui peut être mal vécue après une vie professionnelle intense. Pourtant, les avis vont tous dans le même sens : à partir de 60 ans, un dirigeant qui ne prépare pas la transmission de son entreprise aura tendance à opter pour une gestion sans risque, sans investissement, qui lentement dégrade sa valorisation et ses performances économiques ! La situation devient alors vite difficile et augmente encore davantage les difficultés de reprise. Au-delà de la communication sur le sujet, nous réfléchissons à des mesures fiscales plus incitatives. Aujourd'hui le code général des impôts prévoit un abattement de 50 % des droits liquidés en cas de donation avant 70 ans. Nous pourrions par exemple prévoir un nouveau seuil à 65 ans avec un abattement de 60 %, qui diminuerait ensuite à 40 % entre 65 et 70 ans. Cette diminution du seuil serait une incitation supplémentaire en faveur de cessions plus rapides et moins tardives.
Nous avons aussi entendu une demande qui viserait à rendre déductible le coût d'une étude de diagnostic de transmission, lorsqu'elle est réalisée avant un certain âge : 60 ans par exemple. Aujourd'hui les plus grosses entreprises peuvent prendre en charge un tel type de dépense, mais les petits chefs d'entreprises nous disent ne pas pouvoir les intégrer dans les charges, et aimeraient pouvoir déduire une telle étude de leur impôt sur le revenu, s'ils y sont assujettis. Nous allons donc vérifier les dispositions existantes pour nous prononcer sur ce sujet.
Le facteur temps joue également dans les arbitrages financiers des cédants. Le crédit vendeur permet théoriquement de donner à la fois les moyens financiers et le temps nécessaire au repreneur pour reprendre efficacement l'entreprise. Toutefois, le système restait jusqu'à présent sous utilisé car il ne prévoyait aucun dispositif d'accompagnement fiscal. La modification du code général des impôts, prévue par l'article 97 de la loi de finances rectificative pour 2015, devrait favoriser le recours à ce type de financement en permettant un étalement de la plus value imposable sur la durée du crédit vendeur, mais cet avantage fiscal semble avoir été restreint aux seules TPE. Nous pourrions suggérer un élargissement du dispositif à l'ensemble des PME et ETI.
Le facteur temps joue aussi pour l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Comme nous l'a rappelé la Direction générale des impôts dans une note relative aux effets de la transmission d'entreprise sur l'ISF, l'assiette de cet impôt s'apprécie au regard de la situation patrimoniale du contribuable constatée au 1er janvier de l'année. Par conséquent, si le produit de cession de l'entreprise est réinvesti avant cette date, par exemple dans des titres de PME exonérés, les liquidités seront en pratique non imposées. Mais de nombreux témoignages entendus en audition plaident pour des délais de réflexion plus longs ! Un dirigeant qui a vendu son entreprise, qui était en quelque sorte son « bébé », ne pourra pas se décider en quelques mois pour réinvestir le produit de sa vente dans un nouveau projet ! Il faut plus de temps, il faut permettre à celui qui n'utilise pas le montant reçu lors de la transmission de trouver les projets ou entreprises qu'il souhaitera soutenir dans cette nouvelle étape de sa vie. C'est la raison pour laquelle l'esprit du mécanisme de compte entrepreneur investisseur nous paraît une très bonne option. En permettant un report d'imposition des plus-values, il favorise l'investissement et donc le financement de la reprise des entreprises. Ce projet de compte devrait être intégré dans le projet de loi de finances rectificative de décembre qui sera présenté vendredi en conseil des ministres. Nous serons attentifs à ce qui sera proposé, car ce dispositif sera précieux, même au-delà de la question de la « survie » ou non de l'ISF en 2017...
Au-delà de la question du temps, nous confirmons ce que Fanny Dombre-Coste a évoqué dans son rapport de juillet 2015 : il faut mieux accompagner et mieux informer. Il est navrant de constater une telle méconnaissance des dispositifs existants, et les réseaux comme le réseau « Transmettre et Reprendre » doivent renforcer leur coordination. Les CCI et chambres des métiers ont un grand rôle à jouer, notamment dans les territoires les plus ruraux où les ordres professionnels sont moins susceptibles d'être présents pour aider.
Enfin, la valorisation de la reprise d'entreprise doit devenir un objectif de nos politiques publiques : la reprise est aujourd'hui négligée chez les jeunes générations qui ne considèrent que la création d'entreprise. Pourtant, la survie des entreprises reprises est bien plus grande que celle des entreprises créées. Non seulement les universités et écoles doivent oeuvrer pour changer les mentalités de nos acteurs économiques, mais les ordres professionnels doivent poursuivre leurs efforts pour mieux sensibiliser leurs membres à la transmission d'entreprise.
A la suite du rapport de notre collègue députée, plusieurs chantiers ont été mis en oeuvre et c'est une bonne chose. Nous sommes d'ailleurs en pleine semaine de la transmission/reprise d'entreprise, qui se déroule du 14 au 21 novembre. Les préfets de région se sont vu confier une mission de mise en place de réseaux, et ils auront beaucoup à faire tant l'information et l'accompagnement semblent aujourd'hui insuffisants. Enfin un groupe de travail animé par la Direction générale des entreprises a été constitué afin de développer la formation à la reprise d'entreprise.
Voilà, mes chers collègues, un résumé des premiers constats que nous pouvons dresser et que nous allons enrichir en poursuivant nos auditions. Nous avons encore beaucoup de pistes à creuser sur ces sujets particulièrement intéressants. Nous vous remercions.