Intervention de Gérard Longuet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 décembre 2016 à 9h35
Heures supplémentaires dans le second degré — Contrôle budgétaire - communication

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire » :

Le contrôle budgétaire que j'ai réalisé part d'une interrogation : les heures supplémentaires dans le second degré de l'éducation nationale, qui représentent une dépense de plus d'un milliard d'euros chaque année, permettent-elles d'ajuster les moyens à la réalité des besoins d'enseignement ?

En effet, depuis 2007, deux politiques des effectifs différentes ont été mises en oeuvre. Je me suis donc demandé si la baisse des effectifs entre 2007 et 2012 s'était traduite par une augmentation des heures supplémentaires et, à l'inverse, si les 54 000 postes créés par l'actuel Gouvernement se sont accompagnés d'une diminution du volume des heures supplémentaires.

La réponse peut sembler simple, elle est en réalité très complexe. Les heures supplémentaires ont effectivement augmenté entre 2007 et 2012, mais elles ont continué de progresser depuis. Cette logique inflationniste pose deux problèmes : d'une part, celui du coût pour nos finances publiques et, d'autre part, elle montre que l'organisation du temps de travail des enseignants est mal adaptée aux exigences de l'année scolaire.

L'activité des enseignants est actuellement encadrée par un décret du 20 août 2014. Celui-ci a remplacé des textes remontant à 1950, c'est-à-dire à une époque où l'enseignement secondaire, qui conduit au baccalauréat, ne concernait que 5 % d'une génération, contre 75 % aujourd'hui.

Pendant soixante-quatre ans, cette base juridique n'a pas ou peu évolué alors que les effectifs ont été multipliés par quinze et que l'offre scolaire n'a jamais aussi riche, diversifiée et inventive.

Or le décret de 2014 ne remet pas fondamentalement en cause les dispositions du décret de 1950. Les obligations règlementaires de service des enseignants demeurent fixées sur une base hebdomadaire dans le cadre d'une année scolaire se répartissant, selon le code de l'éducation, en trente-six semaines.

Par ailleurs, les obligations règlementaires de service ne restituent pas la réalité des heures de face-à-face pédagogique effectivement réalisées. Le décret de 1950 prévoyait ainsi l'existence de décharges telles que l'heure de première chaire, l'heure de laboratoire ou de cabinet d'histoire et de géographie. Dans un rapport de 2013, la Cour des comptes estimait qu'entre 1985 et 2006, une fois déduites les différentes minorations de service, le nombre d'heures d'enseignement effectives passait de 18,9 heures à 17,3 heures, soit une baisse de 8,4 %. Cela n'est pas marginal et représente près de 40 000 emplois.

Or ces décharges ont été remplacées par des pondérations par le décret du 20 août 2014. Dans l'éducation nationale, les heures n'ont pas toutes soixante minutes. Par exemple, les heures d'enseignement effectuées dans l'éducation prioritaire sont décomptées à hauteur d'1,1 heure.

Le système actuel souffre donc d'importantes rigidités alors que l'année scolaire n'est pas un long fleuve tranquille. À titre d'exemple, dans les établissements centres d'examen, la fin d'année est amputée du fait de l'organisation des épreuves du brevet ou du baccalauréat. Or les heures de cours perdues ne peuvent pas être rattrapées en cours d'année du fait des plafonds horaires. De même, on constate que le taux de remplacement des absences de courte durée est très faible, de l'ordre 36 %, soit un gros tiers, alors que des capacités pourraient être mobilisées s'il y avait une forme d'annualisation du temps de travail.

Cette rigidité de l'offre est donc pénalisante pour les élèves.

Les chefs d'établissement sont, à cet égard, remarquables, puisqu'ils parviennent à « jongler » avec les moyens à leur disposition afin de prendre en compte les besoins de remplacement, les effectifs des classes, etc. De même, les enseignants sont parfois tenus de réaliser leur service sur deux ou trois établissements.

Au total, les heures supplémentaires constituent donc un facteur de souplesse absolument indispensable, plus qu'un moyen de compenser un manque d'effectifs.

Elles permettent en particulier de faire face aux rigidités du régime horaire des enseignants que je viens d'évoquer, mais aussi de l'offre scolaire. De ce point de vue, en tant qu'élus locaux, nous sommes responsables et complices de ce foisonnement de l'offre scolaire, qui nous éloigne de l'optimisation des moyens d'enseignement.

En moyenne, les enseignants ont effectué 1,5 heure supplémentaire année (HSA) par semaine. Ce niveau atteint en 2014 est le plus élevé depuis ces vingt dernières années. Le fait d'effectuer des heures supplémentaires est fortement corrélé à l'âge - les enseignants plus âgés font davantage d'heures supplémentaires que leurs collègues plus jeunes - à la catégorie d'appartenance - les agrégés en effectuent plus que les certifiés - et au niveau d'enseignement.

Les heures supplémentaires représentent donc un complément de revenu significatif pour les enseignants. La rémunération moyenne représentée par les heures supplémentaires varie entre 1 600 euros et 23 000 euros selon la catégorie d'appartenance. Elles permettent donc de compenser la faiblesse des rémunérations.

Les études réalisées par l'OCDE montrent que cette situation affecte notamment les jeunes enseignants. Dans le premier cycle du second degré, la rémunération moyenne des enseignants dont l'âge est compris entre 25 ans et 34 ans est inférieure de 2,42 % à la moyenne de l'OCDE, alors qu'elle ne lui est supérieure que d'un quart de point en fin de carrière. La situation est la même pour le second cycle du secondaire, les jeunes enseignants étant moins bien payés que leurs homologues de l'OCDE et ne rattrapant d'ailleurs pas totalement cet écart par la suite.

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2017, j'ai rappelé que la mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations », qui se traduira par un coût de l'ordre de 787 millions d'euros, bénéficiera essentiellement à la fin de carrière. Cela permettra de rattraper l'écart constaté s'agissant de la fin de carrière dans le second cycle du secondaire, mais n'aura aucun effet en matière d'attractivité du métier d'enseignant.

Les heures supplémentaires - dont les enveloppes sont d'ailleurs notifiées assez tardivement aux chefs d'établissement - permettent donc à ces derniers d'ajuster, dans la mesure du possible, les moyens d'enseignement aux besoins, et aux enseignants de bénéficier de compléments de rémunération significatifs. Les enseignants appréciaient d'ailleurs les allègements de fiscalité décidés à l'été 2007.

Au total, la question centrale est donc bien celle du temps de travail. Or on constate que le temps de travail statutaire des enseignants français est inférieur en moyenne à celui des autres pays de l'OCDE. Le temps de travail effectif total des enseignants est pour sa part, dans une large mesure, méconnu.

Le décret du 20 août 2014 a reconnu l'ensemble des missions des enseignants - préparation des cours, correction des copies, travail collectif dans l'établissement entre enseignants et avec les parents d'élèves - au-delà du face-à-face pédagogique. Il s'agit d'une évolution bienvenue et correspond mieux à la réalité du métier.

Les enseignants considèrent que leur profession nécessite une certaine marge d'autonomie. Je n'irais pas jusqu'à dire que l'enseignant exerce une profession libérale, mais, dans sa classe et en dehors, il considère qu'un peu de liberté ne nuit pas.

Ma première proposition consiste à améliorer la connaissance de l'ensemble des moyens d'enseignement et de leurs déterminants, en particulier à travers les documents budgétaires, dont je propose qu'ils retracent de manière synthétique, au niveau de la mission, l'ensemble des moyens d'enseignements et justifient les évolutions proposées. Il conviendrait en outre de mieux appréhender, le cas échéant à partir de mesures statistiques, le temps de travail qui ne relève pas du face-à-face pédagogique. Tant que ce sujet ne sera pas traité, nous n'aurons qu'une vision partielle du travail de l'enseignant français.

Le deuxième axe est plus complexe. Il consiste à annualiser le temps de travail des enseignants. Il pourrait être envisagé de « forfaitiser » le volume maximum d'heures pouvant être effectuées au-delà des obligations de service. Chaque heure d'enseignement serait pondérée par un coefficient 2, afin de prendre en compte le temps consacré à la préparation des cours et à la correction des copies. Le chef d'établissement aurait alors à sa disposition un volume d'heures dans lequel il pourrait « puiser » pour gérer avec plus de souplesse les besoins qui apparaissent en cours d'année. Cela suppose que le chef d'établissement puisse rationaliser l'offre scolaire, avec le soutien du rectorat et à partir de consignes ministérielles, en augmentant la taille moyenne des classes, qui est très faible, notamment dans le secondaire et, en particulier, dans l'enseignement professionnel et technologique. Cette situation aboutit à un renchérissement du secondaire français par rapport à des pays comparables tels que l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Le troisième axe consiste à se poser la question de l'augmentation des obligations règlementaires de service. Le code de l'éducation répartit l'année scolaire en trente-six semaines, ce qui est peu. Cela correspond à 180 jours, auxquels il faut retirer les fêtes religieuses, qui dans notre République laïque sont sacrées, religieusement respectées et parfois enrichies de « ponts ». Pour aligner le temps d'enseignement sur celui de pays comparables, il conviendrait d'augmenter les obligations de service des enseignants de deux heures par semaine, pour arriver à un plafond de 720 heures pour les certifiés et de 612 heures pour les agrégés.

S'agissant de la différence de temps de travail entre les agrégés et les certifiés, il me semble qu'il conviendrait de rapprocher leurs obligations de service. Si l'égalitarisme n'est pas ma culture, je m'interroge cependant sur la légitimité des écarts existants. Si, dans les classes préparatoires aux grandes écoles, les agrégés, comme les certifiés, assument des enseignements de haut niveau, qui sont plus mobilisateurs en temps, et doivent donc bénéficier d'un régime horaire spécifique, il me semble que la diversité des horaires devrait dépendre des missions plutôt que des concours d'origine. Imagine-t-on que les administrateurs civils soient assujettis à des horaires différents selon qu'ils sont issus de l'école nationale d'administration ou de la promotion interne ? La réponse est évidemment négative. Il en va de même pour les officiers issus de Saint-Cyr et ceux issus du rang.

Il me semble également nécessaire de réserver le bénéfice de la pondération aux seuls enseignants assurant au moins six heures de cours dans une discipline obligatoire au baccalauréat ou faisant l'objet d'une épreuve obligatoire suivie par anticipation à la fin de la première.

J'ajoute enfin que nous n'échapperons pas, à plus long terme, à une réflexion sur les rémunérations, notamment en début de carrière. Le retard est important s'agissant du premier cycle, il est également significatif dans le secondaire. Nous ne rendrons ces métiers attractifs que si nous nous attaquons à la question de la rémunération. Le budget pour 2017 prévoit un effort dans le premier degré, qui est cependant dilué par la mise en oeuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations ». Il me semble important de s'intéresser aussi au secondaire et notamment au début de carrière.

Il y a là une matière de nature à stimuler le prochain directeur du cabinet du prochain ministre de l'éducation nationale, qui acceptera de prendre le risque de ne pas être populaire.

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