Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 7 décembre 2016 à 14h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

« L’avortement ne représente plus un enjeu politique en France […] la loi est acceptée par une large majorité ». Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, qui peut encore contester cette évidence, que Simone Veil rappelait vingt ans après l’adoption de la loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse ?

Le droit reconnu aux femmes grâce à cette loi fait aujourd’hui largement consensus, ce qui ne signifie pas pour autant unanimité. Il a été clairement réaffirmé lors de l’adoption à une large majorité d’une résolution, soutenue sur tous les bancs de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, le 26 novembre 2014, quarante ans jour pour jour après le discours historique de la ministre, qui ouvrait courageusement la voie à la reconnaissance pleine et entière de la liberté des femmes à disposer de leur corps.

Au travers de cette résolution, vos collègues députés de la majorité et de l’opposition ont réaffirmé l’importance du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse – l’IVG – pour toutes les femmes en France, en Europe et dans le monde. Ils ont rappelé que « le droit universel des femmes à disposer librement de leur corps est une condition indispensable pour la construction de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et d’une société de progrès » et affirmé « la nécessité de garantir l’accès des femmes à une information de qualité, à une contraception adaptée et à l’avortement sûr et légal ».

La proposition de loi qui est en discussion ce jour n’a pas d’autre objet que de donner une traduction concrète à ces principes. Ses auteurs n’ont pas d’autre ambition que de rendre effectif l’engagement de notre pays à garantir à toutes les femmes le droit fondamental de choisir librement le moment de leur maternité.

Ce n’est donc pas le débat sur l’IVG que nous vous incitons à rouvrir. En vous proposant d’adopter ce texte visant à étendre le délit d’entrave institué par la loi de 1993, nous cherchons simplement à lever une contradiction. Il n’est en effet pas concevable de défendre le droit à l’avortement sans s’attacher à faire disparaître tout ce qui peut faire obstacle à son libre exercice.

Permettez-moi d’ajouter qu’il n’est pas davantage question en l’espèce de remettre en cause la liberté d’opinion, la liberté d’expression ou la liberté d’information. Le présent texte n’y porte nullement atteinte et n’entend aucunement les restreindre.

Les opposantes et opposants à l’avortement ont l’entière liberté d’affirmer leurs convictions anti-IVG, quel que soit le support de leur expression, à condition de le faire en toute honnêteté. En effet, la liberté d’expression ne peut se confondre avec la manipulation des esprits. La liberté d’opinion n’est pas un droit au mensonge.

Ce qui est visé en l’occurrence, ce sont les fausses informations diffusées sur les plateformes numériques et par le biais de numéros verts administrés par des lobbies anti-IVG. Derrière l’anonymat garanti par le monde virtuel, ces groupuscules sont bien les héritiers des commandos qui, dans les années quatre-vingt, s’attachaient aux grilles des centres d’orthogénie ou aux tables d’opération pour empêcher les femmes d’y accéder. Malgré un arsenal juridique continuellement renforcé pour prévenir et sanctionner toute forme d’entrave à l’IVG, les adversaires du contrôle des naissances n’ont jamais cessé de livrer bataille pour restreindre l’accès à ce droit fondamental.

Trente ans après, la bataille a simplement changé de terrain et de méthode. Les militants anti-choix la mènent aujourd’hui largement sur internet, lequel constitue souvent la première source d’information et d’orientation pour les femmes confrontées à une grossesse non désirée.

Vous le savez, la Toile est aujourd’hui la première source d’information en matière de santé pour les jeunes âgés de quinze à trente ans. Dans son rapport relatif à l’accès à l’IVG paru en 2013, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes rappelait ces chiffres issus du baromètre santé de 2010 : dans cette tranche d’âge, 40 % des hommes et 57 % des femmes utilisent internet pour s’informer sur leur santé ; un tiers de ces personnes reconnaissent que la consultation des sites spécialisés a modifié leur manière de se soigner et 80 % des plus jeunes estiment crédibles les renseignements qu’ils y recueillent.

Dès lors, la fiabilité et la qualité des informations que ces sites dispensent constituent un enjeu majeur de santé publique. Il n’est donc ni acceptable ni tolérable que les groupuscules anti-IVG se livrent impunément à une nouvelle forme de propagande sur internet, sans dire clairement qui ils sont et ce qu’ils font !

Chacun est évidemment libre d’exprimer son hostilité à l’avortement, je tiens à le répéter. En revanche, copier l’apparence neutre des sites institutionnels, adapter les contenus et les visuels au public visé, orienter le choix des femmes ne relève pas de la liberté d’expression !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion