Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 7 décembre 2016 à 14h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Laurence Rossignol, ministre :

En réalité, ces militants cherchent à induire les femmes en erreur pour instiller le doute, et à les empêcher de prendre une décision de manière éclairée et en toute sérénité. Tout est pensé pour détourner les femmes des sites officiels sur lesquels elles peuvent pourtant trouver les informations dont elles ont réellement besoin, comme des renseignements sur les structures auxquelles elles doivent s’adresser, sur les délais dans lesquels l’intervention doit être réalisée, ou encore sur les méthodes entre lesquelles chacune doit pouvoir choisir ou s’adapter selon les délais.

L’opération de testing à laquelle s’est récemment livrée une élue Les Républicains a parfaitement mis au jour les ressorts de cette mécanique perverse et la véritable intention qui anime les « écoutants-militants » des numéros verts relayés sur les plateformes : tromper les femmes, les culpabiliser et les décourager d’avoir recours à l’avortement.

Cette duplicité constitue clairement une entrave au droit de chaque femme de disposer d’éléments objectifs et fiables pour faire un choix en conscience, conformément à une réglementation qui a été continuellement précisée pour garantir à toutes les femmes un égal accès à la contraception et à l’avortement.

Aujourd’hui, c’est donc à cette supercherie que nous avons la responsabilité de nous attaquer. Naturellement, les lobbies anti-IVG ne réclament plus l’abrogation de la loi Veil : ils savent bien que les Françaises et les Français y sont favorables dans leur immense majorité, et même légitimement attachés. Non, les tenants de cette idéologie rétrograde instrumentalisent la vulnérabilité des femmes confrontées à une grossesse non désirée pour les convaincre de renoncer elles-mêmes à mettre fin à celle-ci.

Ce militantisme de la Toile est d’autant plus toxique qu’il repose sur une parfaite maîtrise des codes de la communication numérique et sur une puissante mobilisation des activistes et de moyens. La stratégie de référencement des plateformes anti-choix sur les moteurs de recherche montre bien leur force de frappe. Malgré la vigilance du Gouvernement, le site ivg.net figure parmi les premiers résultats obtenus lorsque l’on entre les termes clés « IVG » ou « avortement », grâce à des campagnes régulières de référencement naturel et payant.

Bien sûr, le Gouvernement lutte avec constance et détermination contre cette nouvelle forme d’entrave, bien moins spectaculaire qu’il y a trente ans, mais d’autant plus dangereuse qu’elle ne dit pas son nom.

Toutes les mesures que nous avons prises depuis quatre ans s’inscrivent d’ailleurs dans la longue histoire des dispositions qui ont progressivement renforcé notre arsenal législatif, afin de garantir à toutes les femmes un égal accès à l’IVG, quels que soient leur situation, leur âge ou leur lieu de résidence.

En 1979, les dispositions de la loi de 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse ont été pérennisées et l’avortement a été dépénalisé. En 1982, les frais médicaux liés à l’IVG ont été remboursés. En 1993, un délit d’entrave a été créé. En 2001, le délai légal de grossesse a été allongé de dix à douze semaines et les conditions d’accès à la contraception et à l’avortement pour les mineures ont été assouplies.

Depuis 2012, le Gouvernement s’est encore davantage attaché à faciliter les démarches des femmes et à simplifier le parcours IVG – il est aujourd’hui pris en charge à 100 % – en supprimant la notion de détresse et le délai de réflexion d’une semaine préalable à l’intervention.

Le Gouvernement a par ailleurs largement accru l’offre de proximité, en donnant aux sages-femmes la possibilité de pratiquer des IVG médicamenteuses. De votre côté, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez discuté de la possibilité offerte aux centres de santé de pratiquer des IVG instrumentales.

Enfin, la loi du 4 août 2014 a élargi le champ d’application des dispositions prévues par la loi de 1993, en créant un délit d’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG.

Pour consolider ce dispositif et améliorer l’accès des femmes à l’information, conformément aux recommandations formulées par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, le Gouvernement a aussi créé de nouveaux outils.

À l’automne 2013, il a tout d’abord mis en ligne un site internet officiel ivg.gouv.fr. Ce site est régulièrement enrichi de nouveaux contenus pour que les femmes puissent disposer de l’information la plus complète et la plus précise possible. Nous veillons évidemment à ce qu’il soit directement et très facilement accessible sur les moteurs de recherche à partir des différents mots clés régulièrement utilisés.

Depuis un peu plus d’un an, les jeunes filles et les femmes qui souhaitent s’informer sur l’IVG peuvent aussi appeler le 0800 08 11 11. Ce numéro national, anonyme, gratuit et accessible six jours sur sept reçoit environ 2 000 appels par mois.

Et, pour la première fois, le Gouvernement a été à l’initiative d’une grande campagne d’information sur l’avortement, intitulée IVG, mon corps, mon choix, mon droit, qui a été largement relayée cette année.

Toutes ces mesures ont incontestablement contribué à consolider l’arsenal législatif, qui, depuis la loi Veil, garantit aux femmes le droit de mettre un terme à une grossesse non désirée.

C’est la même exigence que nous défendons aujourd’hui en vous proposant d’adapter le délit d’entrave à l’IVG à la réalité numérique.

Chacun le sait dans cette enceinte : un droit qui n’est plus contesté dans son principe peut toujours être menacé dans son effectivité. Un droit qui ne peut être librement exercé, un droit qui est donc purement formel, un droit abstrait, n’est pas réellement un droit.

Face à l’offensive numérique des militants anti-choix, dont l’audience continue de progresser sur internet – même si c’est exclusivement sur internet, reconnaissons-le –, il est par conséquent nécessaire de renforcer encore davantage notre législation. Il convient de préserver les femmes de cette désinformation parfaitement orchestrée pour dissimuler une véritable intention de les dissuader.

Je tiens à vous assurer que la présente proposition de loi ne vise pas d’autre objectif. En vous proposant d’adapter nos outils juridiques aux évolutions de la communication sur internet et les réseaux sociaux, nous ne poursuivons qu’une seule ambition : garantir à chaque femme la possibilité d’être informée au mieux pour exercer un droit inscrit dans nos lois.

Je ne doute pas que vous partagiez cette exigence et que vous soyez toutes et tous convaincus que le progrès technologique ne doit pas servir à mettre en danger ou à faire reculer les droits des femmes. C’est pourquoi je me félicite que nous puissions débattre aujourd’hui sereinement de la nécessité d’établir et de sanctionner ce délit d’entrave à l’IVG dans l’espace numérique, après l’occasion manquée qu’a représentée la discussion du projet de loi Égalité et citoyenneté.

Je suis même certaine, dans l’hypothèse où la Haute Assemblée s’accorderait à reconnaître la dimension toxique et délétère de cette nouvelle forme de propagande 2.0, que nous saurons trouver ensemble, à l’issue de l’examen de ce texte, le meilleur moyen de combattre celle-ci. Mesdames, messieurs les sénateurs, les femmes comptent sur vous, sur le Parlement, aujourd’hui sur le Sénat ! Soyons collectivement à la hauteur de cette attente !

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