Intervention de Michel Mercier

Réunion du 7 décembre 2016 à 14h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Michel MercierMichel Mercier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi de 1975 a créé un droit : la liberté pour les femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse si elles le souhaitent. Aujourd’hui, aucun d’entre nous ne remet en cause ce droit.

La commission des affaires sociales a joué son rôle en travaillant sur le texte que nous examinons. La commission des lois, quant à elle, a tenté d’émettre un avis fondé en droit.

Une fois le droit à l’IVG reconnu par la loi de 1975, c’est la question de son effectivité qui s’est bien sûr posée assez rapidement. En 1993, un délit d’entrave a pour la première fois été introduit dans notre droit pour lutter contre les actions visant à empêcher le recours à l’IVG pour les femmes qui avaient fait ce choix. Ce délit a été étendu en 2001, puis une nouvelle fois en 2014. Aujourd’hui, il fait l’objet d’un ensemble de dispositions juridiques.

Ce délit d’entrave présente une caractéristique, madame la ministre : les actions répréhensibles ainsi visées se déroulent toutes dans l’enceinte des établissements pratiquant des IVG. La raison en est que ce délit a été instauré en 1993 sur le modèle, faute de mieux, de celui qui est prévu dans le code du travail. Ce qu’on nous propose aujourd’hui, c’est bien autre chose : c’est de créer un délit général d’entrave à l’IVG, non plus seulement au sein des établissements qui pratiquent cette dernière.

La commission des lois a essentiellement travaillé sur le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, modifié hier soir par la commission des affaires sociales, version sur laquelle nous devons également nous exprimer. Le texte voté par nos collègues députés encourt deux critiques essentielles : il est à la fois inconstitutionnel et inconventionnel, ce qu’a d’ailleurs reconnu hier Mme la rapporteur devant la commission des affaires sociales, parlant d’un texte « inintelligible », pour reprendre le mot même qu’elle a employé. Je suis bien d’accord avec vous, ma chère collègue.

Ce texte est inconstitutionnel pour deux raisons : non seulement il contrevient aux principes généraux du droit pénal – principe de clarté et d’intelligibilité de la loi, principe de proportionnalité de la peine –, mais encore il porte gravement atteinte au droit d’expression.

À cet égard, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen garantit la liberté d’expression, qui constitue l’une des libertés les plus protégées dans notre système juridique. Pareillement, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit la liberté d’opinion et d’expression, et rappelle que toute opinion peut être exprimée même si elle choque et même si elle peut troubler. C’est là une liberté fondamentale, mère de toutes les autres libertés.

Par conséquent, le texte transmis par l’Assemblée nationale ne peut faire que l’objet d’un avis négatif de la part de la commission des lois pour les raisons que je viens d’indiquer, même si je reconnais que la commission des affaires sociales s’est astucieusement efforcée de trouver des solutions.

Madame la ministre, au cours des longs débats que nous avons eus ce matin en commission des lois, nous avons tous rappelé notre attachement à la loi de 1975. Nous sommes également convenus qu’il y avait sûrement un problème à régler, un problème grave et sérieux, mais qu’il fallait pour ce faire disposer d’un petit peu de temps. Aussi, nous ne pouvons que regretter les conditions dans lesquelles vous nous invitez à délibérer. §C’est vous qui avez engagé la procédure accélérée !

Nous avons pris connaissance de la position de la commission des affaires sociales ce matin, et la commission des lois a dû délibérer pour treize heures trente, ce qui est peut-être un peu rapide s’agissant d’une question aussi sérieuse, aussi profonde, sur laquelle beaucoup d’entre nous étaient probablement prêts à travailler pour trouver des solutions. De fait, nous n’avons pas pu aboutir.

Le texte adopté par la commission des affaires sociales, en maintenant ce délit d’entrave, porte nécessairement atteinte à la liberté d’expression ; c’est pourquoi la commission des lois a émis un avis défavorable.

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