Intervention de Chantal Jouanno

Réunion du 7 décembre 2016 à 14h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes avait vraiment à cœur de pouvoir exprimer son avis sur cette proposition de loi, parce que celle-ci touche à un sujet qui nous est cher, à savoir la défense de ce que l’on appelle les droits sexuels et reproductifs, dont l’interruption volontaire de grossesse fait partie.

C’est une question de fond, car la défense de ce droit est en réalité un prérequis de l’égalité. Contester le libre droit des femmes à disposer de leur corps, c’est fondamentalement contester le principe d’égalité entre les femmes et les hommes.

Nous avons d’ailleurs eu l’occasion, à de multiples reprises malheureusement, de réaffirmer notre attachement à ce droit face à la montée de contestations non seulement en France, mais surtout en Europe et au-delà. D’ailleurs, dans un rapport sur la laïcité adopté au mois de novembre dernier, nous appelions le Gouvernement à faire preuve de la plus grande vigilance dans les instances diplomatiques face à la remise en question de ce droit au nom du relativisme culturel.

Ce n’est donc pas un sujet mineur en droit et ce n’est pas un sujet mineur dans les faits. Je citerai juste un chiffre : dans un rapport publié en 2004, l’INED, l’Institut national d’études démographiques, indiquait que 40 % des femmes – 40 % ! – ont eu recours à une IVG au cours de leur vie. C’est par conséquent une question qui, potentiellement, concerne énormément de femmes dans notre pays.

Nous avions à cœur d’être saisis, parce que la volonté de lutter contre les sites visés a fait l’unanimité, non pas parce qu’ils expriment une opinion divergente, mais parce qu’ils reprennent tous les codes des sites officiels : un bandeau bleu-blanc-rouge, le renvoi vers un numéro vert. Sous couvert de donner une information neutre, ils délivrent en réalité une information orientée.

D’ailleurs, ce n’est pas un problème nouveau puisque le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dès 2013, avait rédigé un rapport très complet sur ce sujet – nous aurions donc pu en débattre bien plus tôt –, dans lequel il dénonçait l’existence de ces sites.

La délégation a estimé à l’unanimité qu’il fallait agir, prendre des dispositions législatives pour permettre au Gouvernement de lutter contre ces sites et, surtout, faire en sorte que les sites officiels retrouvent leur première place dans les moteurs de recherche.

Certains mettent en avant la liberté d’expression, mais ce n’est pas l’objet du débat puisque ce dont il est question en l’espèce, c’est le caractère volontairement trompeur de ces sites.

Par ailleurs, je voudrais rappeler cet arrêt rendu par la Cour de cassation en 1996 – nous l’avons mentionné dans notre rapport –, dans lequel la Cour indique que la liberté d’opinion et la liberté de manifester ses convictions peuvent « être restreintes par des mesures nécessaires à la protection de la santé ou des droits d’autrui ». Il existe donc bien des limitations possibles à cette liberté d’expression.

En revanche, la délégation a regretté les délais forts contraints d’examen de ce texte et a émis quelques doutes, même si elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments, sur les outils juridiques mis en œuvre dans la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Nous n’avons pas pu nous exprimer très clairement sur ce sujet.

Nous avons donc formulé deux recommandations à l’attention du Gouvernement : d’une part, faire en sorte que les sites d’information sur l’IVG affichent clairement leurs intentions, par exemple qu’ils indiquent très clairement qu’ils ont pour finalité de proposer aux femmes une autre solution que celle de mettre fin à leur grossesse ; d’autre part, poursuivre les efforts entrepris pour que les sites officiels soient mieux référencés sur les moteurs de recherche.

Pour conclure, et en m’exprimant davantage à titre personnel, je remercie la rapporteur, Mme Riocreux, qui a tenté de trouver une solution répondant aux différentes interrogations exprimées, solution qui, je l’espère, recueillera l’assentiment de notre assemblée. Nous ne devons faire preuve d’aucune naïveté face à l’émergence de ces opinions qui se font de plus en plus entendre dans certaines associations, dans certains partis politiques et même dans certains débats, opinions selon lesquelles, au nom de la liberté de croyance, il faudrait parvenir à des compromis avec des droits que nous considérons comme des droits fondamentaux.

Dans tous les cas, les arguments qui sont opposés, au nom de la liberté d’expression, au nom de l’inefficacité des lois, tendent finalement à minimiser ces droits et donnent à penser que l’égalité pourrait être relative.

Si, au sein de cette assemblée, nous voulons être les dignes héritiers de Simone Veil, nous devons être à la hauteur du débat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion