Intervention de Françoise Gatel

Réunion du 7 décembre 2016 à 14h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà tout juste quarante-deux ans, Mme Simone Veil, ministre de la santé centriste, défendait courageusement la loi sur l’IVG. Elle parlait alors de son « profond sentiment d’humilité […] devant l’ampleur des résonances que [ce texte suscitait] au plus intime de chacun des Français et des Françaises ».

Face à de nombreuses actions physiquement violentes des commandos anti-IVG, le législateur a créé un délit pénal spécifique d’entrave à l’avortement volontaire, l’assujettissant à des peines sévères pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement.

Aujourd’hui, je l’affirme clairement, il ne s’agit pas de revenir sur la loi IVG.

Madame la ministre, j’ai tant à vous dire que je n’ai pu vous dire lorsque le Sénat fut amené à rejeter l’amendement gouvernemental relatif au délit d’entrave numérique à l’IVG, déposé de manière soudaine et inattendue dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté !

À cette occasion, certains membres de la majorité gouvernementale s’indignèrent violemment et déclarèrent, de manière péremptoire, que cette décision du Sénat aurait découlé du poids de lobbies ou de l’expression d’une pensée dissimulée. Je le dis en cet instant, les sénateurs centristes ne sont soumis ni aux lobbies ni à la pensée unique ! La loi est la loi : elle doit être scrupuleusement respectée !

En outre, voir, au mois de septembre, le Sénat accusé d’attitude liberticide à propos d’amendements qui tendaient, enfin, à traiter les abus d’expression numérique et, au mois de novembre, le Gouvernement contrevenir à ces mêmes principes est pour le moins surréaliste et ironique.

Je veux rappeler que les amendements sénatoriaux sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, amendements dits « corbeaux numériques », avaient été initialement déposés devant la commission spéciale chargée d’examiner le texte par trois éminents collègues de la commission des lois : François Pillet, du groupe Les Républicains, Thani Mohamed Soilihi et Alain Richard, du groupe socialiste et républicain.

Votre présente préoccupation, madame la ministre, confirme avec force et pertinence la justesse de ces amendements, que vous n’avez pas soutenus.

Il existe aujourd’hui un vrai sujet d’expression sur internet, tout particulièrement en matière de santé, sujet qu’il est difficile d’occulter. Alors, madame la ministre, pourquoi refuser un débat général et en solliciter un en urgence sur la seule question de l’IVG ?

Il me faut également évoquer la bizarrerie et l’incongruité de recourir à la procédure d’urgence, peu compatible avec la rigueur du travail législatif. Nous en avons une fois de plus la preuve avec l’écriture improvisée de ce texte et la succession de tentatives de sécurisation juridique.

Hier, en commission des affaires sociales, une éminente collègue socialiste nous indiquait que l’intention de la majorité gouvernementale était surtout de donner un signe. Mais un signe à qui ? Un signe pour quoi ? Et un signe seulement ?

Le législateur n’est pas un lanceur d’alerte. Il n’est pas là pour donner des signes : il écrit la loi et garantit son applicabilité.

Pourquoi ce calendrier, alors que dès 2013, comme l’ont rappelé certains orateurs, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes émettait des préconisations ?

Pourquoi créer seulement en 2015 un numéro vert, alors que ce même Haut Conseil rappelait encore une fois, dès 2013, les circulaires des années 2000 réclamant la création de plateformes téléphoniques régionales et de lieux d’information et d’accueil ?

Le silence absolu, dans le présent texte, sur la volonté concrète du Gouvernement d’améliorer l’information et la prévention est également troublant.

Doit-on rappeler que l’IVG n’est pas un moyen de contraception ? Il faut le dire, si le recours à l’IVG est un droit, qu’il convient de respecter, nul ne peut oser affirmer qu’il s’agit d’un droit banal et anodin.

Comment ne pas s’étonner, madame la ministre, de votre indignation au sujet du référencement de certains sites qui seraient plus accessibles que les sites officiels ? S’ils sont plus performants, c’est que la communication officielle, a contrario, n’est ni adaptée ni efficace.

Comment peut-on croire que faire taire des communications contestables constituerait une réponse satisfaisante au regard du besoin d’information des femmes ?

Cette proposition de loi n’est pas une réponse. Elle n’est qu’un signal à ceux qui aiment le symbole et les gages, et ne s’adresse certainement pas aux plus faibles, aux femmes en détresse confrontées à une décision grave.

Si le Gouvernement fait preuve d’insuffisance en matière d’information et d’accompagnement, il est toutefois vrai qu’une question demeure, que nous ne fuyons absolument pas. Mais ne nous y trompons pas ! La question est de savoir non pas s’il est condamnable de tenir des propos défavorables à l’IVG sur des sites internet, mais si le fait de tenir des propos trompeurs visant à induire manifestement une femme en erreur sur les conséquences et la nature d’une IVG est répréhensible.

On ne peut assimiler une entrave violente, physique ou psychologique à l’accès à un centre et l’expression d’une opinion, aussi fausse fût-elle, sur un site librement consultable et consulté. La liberté d’expression est le socle de la démocratie et elle est aussi faite pour ceux dont nous ne partageons pas l’avis.

Enfin, la proposition de délit pénal se heurte au droit français et européen, comme l’a brillamment rappelé Michel Mercier. Elle est en contradiction avec la directive traitant des services de la société de l’information, avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’agissant de ses dispositions relatives à la liberté d’expression, ainsi qu’avec le contrôle de proportionnalité entre le but recherché et les moyens employés.

Mais si le principe de la liberté d’expression doit être garanti, obtenir des informations médicalement fiables sur l’IVG doit l’être tout autant, et parce que la dissuasion ne tient pas forcément à la pénalisation, je proposerai un amendement tendant à recourir à une condamnation civile très encadrée.

En conclusion, madame la ministre, je veux vous redire mon profond regret de voir que l’on recourt à la procédure d’urgence sur un texte relevant de la conscience, non du calendrier électoral ! Ce sujet ne saurait être mis au service de fins politiques !

Ce texte, j’en suis convaincue, est un signal illusoire, un gage politique masquant totalement l’insuffisance en matière d’information et l’imprécision sur le plan juridique.

Ramener le Parlement à avoir un rôle de lanceur d’alerte, c’est commettre une double faute : c’est laisser croire que, parce qu’on l’aurait nommé, on aurait résolu le problème – cela relève de la tromperie et de l’illusion –, mais aussi renier la nécessité de règles précieuses, respectueuses de la liberté d’opinion, dans une démocratie qui, sans règles, dériverait vers le totalitarisme.

Dire est utile, mais faire et pouvoir faire est essentiel à la crédibilité politique.

Je veux l’affirmer très clairement, madame la ministre, des sénateurs, soucieux de la question posée, vous adressent une proposition plus sécurisée et proportionnée, ce qui me permet d’envisager que les milieux autorisés renonceront à toute police de pensée, à toute tentative de nous caricaturer, de nous diaboliser par des propos moralisateurs et péremptoires. Le Sénat aura été force de propositions et, surtout, pourvoyeur de solutions.

Mes chers collègues, il n’y a ni « bien-pensance » ni « mal-pensance » ; il n’y a que conscience. Le sujet en appelant au plus intime de nos convictions, les sénateurs centristes s’exprimeront en conscience sur cette problématique.

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