Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 7 décembre 2016 à 14h30
Extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise est le fruit d’un parcours législatif tumultueux, au cours duquel sa rédaction aura changé plusieurs fois.

En effet, le Gouvernement, par l’intermédiaire du groupe socialiste, écologiste et républicain à l’Assemblée nationale, a fait précipitamment déposer ce texte relatif à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, et ce après un rejet au Sénat de la disposition dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.

La rédaction initiale – première version – créait une troisième catégorie d’entrave à l’IVG, caractérisée par la diffusion par tout moyen, notamment par internet, d’allégations, d’indications ou de présentations faussées au sujet de l’IVG, et de nature à induire intentionnellement en erreur une femme, dans un but dissuasif, ou à exercer des pressions psychologiques sur celle-ci.

Résolument attentatoire à la liberté d’expression, ce texte n’était en réalité ni fait ni à faire !

Créant un délit d’opinion, il était manifestement contraire à la Constitution, ainsi qu’à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ses dispositions, imprécises et vagues, se heurtaient à plusieurs grands principes de notre droit, comme le principe de légalité des incriminations et le principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a, par la suite, modifié le texte.

La rédaction de cette commission – deuxième version – assimilait aux pressions, menaces et intimidations la mise à disposition d’informations fausses ou de nature à induire en erreur au sujet de l’IVG et de ses conséquences, dans un but dissuasif.

Là encore, on comprend la difficulté à qualifier de pression psychologique, de menace, d’intimidation le fait de mettre à disposition sur internet des informations fausses ou de nature à induire en erreur au sujet de l’IVG.

De plus, par la notion de fausseté des informations, les auteurs plaçaient les tribunaux dans une situation délicate, en leur demandant de prendre position sur des questions d’ordre scientifique.

Cette rédaction n’a donc pas permis à l’Assemblée nationale de remédier aux importants défauts du texte initial.

La commission des affaires sociales du Sénat, sur votre proposition, madame le rapporteur, a changé radicalement la rédaction de l’article unique de la proposition de loi, et ce pour la troisième fois.

Désormais – troisième version, plus light, pourrait-on dire –, le délit d’entrave sera constitué par le fait d’exercer des pressions morales et psychologiques, par tout moyen, à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur l’IVG.

Toutefois, cette énième version vide en partie le texte de sa substance et nous n’en voyons plus l’intérêt !

Bien plus, la rédaction changeante nous révèle que les auteurs et soutiens de cette proposition de loi ont conscience des problèmes soulevés par celle-ci, et peinent à concilier leurs objectifs avec le respect des libertés.

En réalité, le débat relatif à cette proposition de loi n’a strictement rien à voir avec l’interruption volontaire de grossesse : il concerne uniquement la liberté d’expression.

Qui plus est, le Gouvernement, par cette démarche législative, semble vouloir pallier ses propres manquements, en tentant d’introduire dans notre droit un dispositif bancal.

En effet, il existe de toute évidence d’autres moyens, outre la création d’un nouveau délit, pour favoriser l’accès des femmes à une information de qualité au sujet de l’interruption volontaire de grossesse, étant précisé que nous partageons le constat de la nécessité de cette information.

Ainsi, le Gouvernement pourrait agir afin d’améliorer le référencement des sites officiels d’information au sein des moteurs de recherche sur internet.

Je n’oublie pas les autres mesures qui pourraient être menées sur le terrain, où l’on voit l’État se désengager et, notamment, demander aux collectivités territoriales d’assurer financièrement le soutien à de nombreuses associations.

Premier point, notre assemblée n’a pas vocation à pallier l’insuffisance du Gouvernement.

Second point, notre assemblée n’a pas non plus vocation à s’engager dans une démarche qui serait purement symbolique et aurait pour seule finalité d’envoyer un signal à certains sites internet – ce n’est pas notre rôle.

Mes chers collègues, le Sénat a pour vocation d’être un législateur efficace et prudent, toujours soucieux de préserver un équilibre entre la sauvegarde de la liberté d’expression et la nécessaire répression de ses abus.

Notre rôle de législateur consiste donc, non pas à communiquer, ce que la majorité gouvernementale s’est employée à faire à longueur de textes depuis 2012 au travers d’articles inutiles, mais à agir avec sagacité et sens de l’intérêt général.

Le texte qui nous est soumis ne nous permet pas de procéder de la sorte. C’est pourquoi mon groupe le rejettera à une très large majorité.

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