Intervention de Hélène Geoffroy

Réunion du 7 décembre 2016 à 14h30
Généralisation des contrats de ressources — Rejet d'une proposition de résolution

Hélène Geoffroy :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner la proposition de résolution sur les contrats de ressources présentée par M. Hervé Poher et plusieurs de ses collègues du groupe écologiste.

Je souhaite rappeler en préambule quelques éléments de contexte.

Je veux préciser tout d’abord – mais vous l’avez tous rappelé – que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation » et que son usage appartient à tous. Lors du débat sur l’eau qui s’est tenu le 19 octobre dernier, nous avions d’ailleurs insisté sur la nécessité de protéger cette ressource.

L’article L. 210-1 du code de l’environnement rattache ainsi l’eau au régime juridique de la chose commune, au sens du code civil. Une collectivité ne saurait être a priori propriétaire des eaux pour la seule raison qu’elles se trouvent sous ou sur son territoire.

La loi donne néanmoins la possibilité aux collectivités organisatrices des services d’eau de mobiliser des ressources en eau et d’en assurer la protection en application d’actes de déclaration d’utilité publique, qui constituent le lien juridique entre le prélèvement autorisé, les mesures de protection et la définition des bénéficiaires de l’adduction d’eau.

Mme Jouve a évoqué le problème de la dégradation des champs captants. Je rappelle que la Conférence environnementale de 2014 a retenu le principe de 1 000 captages prioritaires, lequel s’est traduit dans les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux adoptés fin 2015. Des travaux sont en cours ; le processus est donc bien en place.

La protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine s’appuie sur des dispositifs réglementaires et volontaires.

Les périmètres de protection des captages, les PPC, sont établis autour des sites de captages d’eau destinée à la consommation humaine. L’objectif est de réduire les risques de pollutions ponctuelles et accidentelles de la ressource. Ils ont été rendus obligatoires pour tous les ouvrages de prélèvement d’eau d’alimentation depuis la loi sur l’eau de 1992.

Depuis la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, la prise en compte des problématiques de pollutions diffuses s’est traduite par un dispositif visant à mettre en place des mesures de protection sur tout ou partie de l’aire d’alimentation du captage. Si ces démarches sont prévues par le SDAGE et nécessaires pour l’atteinte du bon état des masses d’eau, elles ne sont pas une obligation légale pour les collectivités.

Les collectivités se sont organisées depuis des décennies pour mutualiser les actions de mobilisation de la ressource et de sa préservation, notamment lorsque la ressource était rare ou difficile à mobiliser. Mme Didier et M. Raynal ont rappelé que différentes organisations existaient, notamment dans les collectivités qui s’étaient portées volontaires. Elles ont, par exemple, constitué des syndicats de production d’eau, qui mutualisent entre tous les bénéficiaires cette production – et incidemment la protection de la ressource qu’elle implique – et les coûts de ces opérations.

Vous avez cité, monsieur Poher, des cas concrets – et évoqué de façon vibrante votre action locale ! Vous le savez, lorsque les altérations de la qualité des ressources conduisent à la fermeture d’un captage, compte tenu du dépassement des normes en vigueur, une collectivité se voit dans l’obligation de se reporter vers des solutions de transfert d’eau et de vente d’eau entre services.

Par la vente d’eau, une collectivité productrice, qui a investi dans la protection de la ressource, peut mettre à contribution les nouveaux bénéficiaires de cette ressource, y compris pour les mesures de protection afférentes. Les coûts seront alors répartis sur l’ensemble des usagers.

Vous l’avez fort bien dit, ces situations ne peuvent conduire à ce qu’une collectivité en retire un profit au détriment d’une autre collectivité. En effet, si la possibilité de ventes d’eau entre services doit être appréciée au regard des textes déclarant les ressources concernées d’utilité publique, il convient également de considérer le droit de la concurrence et les dispositions relatives à la fourniture de biens essentiels.

C’est notamment en application de ces dernières dispositions que, dans un arrêt du 29 juin 1998, la cour d’appel de Paris, se prononçant sur une décision du Conseil de la concurrence, a enjoint au maître d’ouvrage d’une unité de production d’eau potable de communiquer aux tiers qui en feraient la demande un prix de production de l’eau potable en gros qui soit établi de manière transparente, objective et excluant tout coût étranger à la production. Il s’agit en effet de ressources essentielles qui n’ont pas d’alternatives substituables en coûts et dans des délais raisonnables.

Vous avez tous parlé, mesdames, messieurs les sénateurs, de la transparence du coût de production de l’eau potable. Celui-ci dépend, bien entendu, des conditions locales, de la qualité de l’eau prélevée et des traitements nécessaires pour respecter les normes sanitaires en vigueur.

Toutefois, compte tenu de la diversité des ressources pouvant être mobilisées, les coûts de production d’eau potable et de protection de la ressource sont très hétérogènes. Pour atténuer cet effet, de nombreux mécanismes existent.

Je ne reviendrai pas sur le sujet des agences de l’eau, qui vient d’être évoqué par M. Pointereau, car nous avions pu constater, le 19 octobre dernier, nos divergences quant à l’analyse de leur situation. Quoi qu’il en soit, les soutiens financiers, notamment ceux de ces agences, aident les collectivités dans leurs investissements et contribuent à limiter les écarts de coûts restant à la charge des usagers.

Vous l’avez rappelé, monsieur Raynal, dans certains cas des syndicats départementaux ont été constitués en fédérant les collectivités qui ont la compétence eau potable, afin de mutualiser les ressources disponibles, d’unir les efforts pour leur protection et d’assurer la péréquation du prix de l’eau.

Pour autant, des collectivités peuvent prélever de l’eau dans des territoires distincts des zones de distribution d’eau potable. C’est souvent le cas des agglomérations de taille importante, comme celle de Dunkerque, capable de prélever de l’eau à 40 ou à 50 kilomètres.

Les territoires où l’eau est prélevée peuvent se sentir restreints dans leur capacité de développement et avoir l’impression qu’ils réalisent des investissements pour le bénéfice d’un autre territoire, de taille plus importante. Il faut néanmoins rappeler que les coûts liés à la déclaration d’utilité publique ou aux mesures de protection des captages sont supportés par la collectivité qui en bénéficie et que d’autres investissements, conduisant à préserver ou reconquérir de façon générale la qualité de l’eau, sont cofinancés par les agences de l’eau. Une commune ne peut donc se retrouver seule à supporter l’ensemble des investissements.

Le contexte institutionnel de la protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine a déjà amorcé une évolution de fond s’agissant de la protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine.

La loi NOTRe organise un transfert de la compétence eau potable à l’échelon des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre à l’horizon 2020, soit une échéance assez proche. Ces transferts ne remettent en cause ni les syndicats départementaux évoqués plus haut ni le principe du financement des coûts des services d’eau par les usagers de ces services, hors subventions.

L’enjeu, vous le savez, est de mettre en place la solidarité entre territoires. En accroissant le périmètre des collectivités compétentes en eau potable, la loi NOTRe devrait conduire à limiter les situations dans lesquelles une collectivité fournit de l’eau à une collectivité sur un autre territoire, en dehors des secours ponctuels.

Lorsque la mutualisation sera réalisée, via les EPCI, et que les collectivités auront réfléchi ensemble à la préservation de la ressource, se posera la question du prix.

Les conclusions du rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable, le CGEDD, intitulé Eau potable et assainissement : à quel prix ? apportent des éclairages sur les évolutions de prix qui pourraient résulter des transferts de compétences organisés par la loi NOTRe.

Certaines évolutions pourraient certes conduire à la hausse du prix de l’eau en milieu rural du fait d’une amélioration des niveaux de services rendus, en particulier en matière de surveillance et de qualité sanitaire de l’eau distribuée. Néanmoins, le rapport indique que ces évolutions devraient être compensées par la mutualisation des prestations à grande échelle, y compris entre secteurs urbains et ruraux, et la capacité renforcée des autorités organisatrices, une fois regroupées, à négocier des gains de productivité de leurs opérateurs, publics ou privés. En outre, la convergence tarifaire au sein d’une collectivité devra être atteinte dans un délai de cinq ans après l’extinction des contrats, ce qui permettra, le cas échéant, d’étaler l’éventuelle hausse dans le temps afin qu’elle puisse être compensée par des gains de productivité.

Cette proposition de résolution, qui invite le Gouvernement à généraliser le contrat de territoire, conduirait donc à la création d’un nouveau dispositif réglementaire de contrat de ressources, obligatoire, qui viendrait s’ajouter à tous ceux qui existent. Nous sommes tous attachés à rendre, au niveau des collectivités locales, les dispositifs plus lisibles et à ne pas accumuler les strates. Est-ce le bon moment pour proposer une telle approche, dans la mesure où la réforme territoriale portée par la loi NOTRe se met actuellement en place ?

Je partage votre point de vue : lorsque les mesures expérimentées sur le terrain « viennent d’en bas », pour reprendre les termes que vous avez employés, il faut leur permettre d’irriguer l’ensemble du territoire. J’approuve d’autant plus cette idée que j’étais, avant de prendre mes fonctions de secrétaire d’État, députée-maire de Vaulx-en-Velin, où se trouvent les champs captants qui alimentent, à hauteur de 95 %, l’ensemble de la métropole lyonnaise. Il s’agit donc de sujets dont j’ai eu à connaître.

La réforme territoriale portée par la loi NOTRe devrait permettre d’approfondir ces questions de mutualisation. À ce titre, le Gouvernement a demandé aux préfets coordonnateurs de bassin de définir, en associant étroitement les collectivités locales, des stratégies d’organisation des compétences locales de l’eau, les SOCLE.

Ces stratégies, précédées d’inventaires des compétences exercées, permettront incidemment d’identifier les situations dans lesquelles des collectivités contribuent à la protection des ressources en faveur d’autres collectivités.

Enfin, il pourrait être envisageable d’identifier dans la facture d’eau les frais liés à la protection de la ressource en eau. Cela aurait un caractère pédagogique et mettrait en lumière une part trop méconnue, mais combien essentielle – vous le disiez, monsieur le sénateur, en montrant votre facture d’eau –, de l’activité des collectivités compétentes en eau potable.

Vous l’aurez compris, monsieur le sénateur, ce n’est pas sur le fond que le Gouvernement reste peut-être réservé à l’égard de votre proposition de résolution, puisqu’il partage votre volonté d’améliorer la mutualisation et la protection de la ressource. Il nous semble cependant que la loi NOTRe prévoit d’ores et déjà les dispositions permettant de répondre à l’essentiel de vos préoccupations.

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