Intervention de Michel Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 décembre 2016 : 1ère réunion
Projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Michel MercierMichel Mercier, rapporteur :

Il nous est demandé, pour la cinquième fois en treize mois, de proroger l'état d'urgence, instauré par décret en conseil des ministres après les attentats de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre 2015. Cette demande, qui aurait normalement dû intervenir au mois de janvier prochain, résulte de l'application de l'article 4 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, qui précise que « la loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale ». Réuni samedi 10 décembre dernier, le nouveau Gouvernement a donc adopté un projet de loi prorogeant l'état d'urgence jusqu'au 15 juillet 2017.

La procédure n'appelle pas de remarques particulières, si ce n'est que la durée retenue tient compte des deux démissions de gouvernements qui interviendront après les élections présidentielle et législatives au printemps prochain. Le bilan d'étape sur l'application de l'état d'urgence que nous avions prévu de présenter aujourd'hui est reporté à la rentrée. Le projet de loi, qui nous est transmis, a été adopté la nuit dernière par l'Assemblée nationale.

Au-delà des prorogations successives de l'état d'urgence, le vote de la loi du 21 juillet dernier, qui constitue une loi antiterroriste à part entière, nous a dotés d'un droit complet du terrorisme, de l'enquête préliminaire à l'exécution des peines, qui est dérogatoire au droit commun mais appliqué par les juridictions de droit commun. Je suis particulièrement attaché à cette organisation, qui réclame cependant une légère modification des règles relatives à la cour d'assises spécialement constituée pour juger des crimes terroristes.

L'état d'urgence consiste à donner des pouvoirs supplémentaires à l'autorité administrative pour renforcer l'efficacité de son action. Cette efficacité s'exprime à travers trois mesures : les perquisitions administratives, les assignations à résidence ainsi que les autorisations de contrôles d'identité, de fouilles de bagages et de véhicules.

70 % des contrôles d'identité et des fouilles ordonnés dans le cadre de l'état d'urgence l'ont été dans quatre départements. Nous avons pu, au cours de nos visites à Lille et à Nice, constater l'utilité des contrôles d'identité dont l'efficacité est renforcée par la bonne entente entre le préfet et l'autorité judiciaire. À Nice, préfet et procureur se rencontrent dans le cadre de deux réunions hebdomadaires. À Paris, le procureur de la République décide des contrôles d'identité, le préfet de police n'ayant pas besoin de faire usage de cette prérogative. En Seine-et-Marne, où de nombreux contrôles ont été ordonnés, la situation est légèrement différente : parce que le département compte trois tribunaux de grande instance, la coordination est plus difficile à effectuer, le préfet décide donc directement des contrôles d'identité. La Saône-et-Loire, que nous visiterons à la rentrée, présente d'autres particularités.

Deuxième mesure, les perquisitions, qui vont souvent de pair avec les assignations à résidence : il nous a été expliqué qu'avant de prendre une mesure d'assignation à résidence, une perquisition était ordonnée pour visualiser le cadre dans lequel évoluait la personne visée.

Depuis le 22 juillet 2016, 590 perquisitions ont été conduites, dont 65 ont donné lieu à des suites judiciaires - 25 pour une infraction à caractère terroriste. Le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions autorisant l'exploitation des documents informatiques saisis lors des perquisitions ; la loi du 21 juillet 2016 donne à l'autorité administrative la possibilité de demander au juge des référés l'autorisation d'exploiter ces données. Saisi à 91 reprises, le juge des référés a délivré 81 autorisations et en a refusé 6, 4 dossiers étant en cours d'instruction. Cinq refus ont fait l'objet d'un recours auprès du Conseil d'État, dont un seul a prospéré. Comme dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, le juge administratif, on le voit, peut être amené à concourir à l'action de l'autorité administrative.

Enfin, 91 assignations à résidence restent en vigueur à ce jour ; 37, soit 41 %, le sont depuis plus d'un an ; 10 depuis six à douze mois, et 44 depuis moins de six mois. 33 assignations ont été décidées depuis le 22 juillet, ce qui marque une accélération. Cinq des personnes concernées font l'objet d'un dossier en vue d'une mesure d'éloignement, quatre d'une mesure de gel des avoirs. Enfin, 34 font l'objet d'une mesure d'interdiction de sortie du territoire et 13 dossiers sont à l'étude.

D'autres mesures prévues dans le cadre de l'état d'urgence sont peu utilisées : depuis le 22 juillet, quatre lieux de culte ont été fermés, vingt zones de protection ont été créées, cinq décisions de remise d'armes ont été prononcées, et enfin 26 décisions préfectorales d'interdiction de cortèges, défilés et rassemblement ont été prises, principalement dans le cadre de la gestion de la manifestation « Nuit debout ».

La situation justifie-t-elle la prorogation de l'état d'urgence ? Au-delà des opinions et des interprétations, un constat s'impose : la menace terroriste reste très élevée. Seize projets d'attentat ont été déjoués cette année, contre douze entre 2013 et 2015.

La menace a également changé de nature : les auteurs potentiels se sont radicalisés sur notre territoire et obéissent à des ordres délivrés par Daech, principalement par des moyens informatiques. Seule une des personnes arrêtées à la suite des attentats déjoués en 2016 revenait du théâtre de guerre syro-irakien.

Enfin, nous entrons dans une période électorale, particulièrement propice aux attentats pour ceux qui veulent remettre en cause notre façon de vivre.

Par conséquent, les conditions définies par la loi du 3 avril 1955 sont réunies, comme le Conseil d'État l'a souligné dans son avis rendu jeudi 8 décembre. Je suis donc favorable à la prorogation de l'état d'urgence, qui ne constitue pas une atteinte disproportionnée aux droits garantis par la Constitution.

Le Conseil d'État a cependant soulevé deux objections, exprimées par son vice-président dans une récente interview au Monde : l'état d'urgence ne saurait être permanent, et il convient d'envisager les modalités de la sortie : l'assignation à résidence ne peut s'étendre au-delà de douze mois.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a par conséquent demandé l'ajout d'un article supplémentaire interdisant la durée des assignations à résidence au-delà de douze mois, sauf survenue d'éléments nouveaux.

Cette référence à des éléments nouveaux pose une vraie difficulté car il est très improbable d'en recueillir pour une personne faisant l'objet d'une surveillance étroite et astreinte à pointer au commissariat trois fois par jour... Les services du ministère de l'intérieur ont identifié une seule personne dans ce cas sur les 37 assignées à résidence depuis plus d'un an. L'assignation à résidence consiste justement à suivre certaines individus dont la dangerosité est avérée, mais sans disposer d'éléments autorisant une judiciarisation.

Le seul véritable enjeu du texte voté par l'Assemblée nationale a trait aux assignations à résidence, le principe de la prorogation étant partagé à une large majorité. Si l'on ne veut pas des assignations à résidence, proroger l'état d'urgence, qui donne à l'administration des pouvoirs qu'elle n'a pas en temps normal, n'est pas la meilleure solution. D'après la loi, seul le ministre de l'intérieur est compétent en matière d'assignations. En les limitant à l'excès, on risque de priver l'état d'urgence de ses effets utiles.

Le président de la commission et moi-même avons participé aux discussions entre le Gouvernement, la commission des lois de l'Assemblée nationale et le vice-président du Conseil d'État ; par conséquent, nous ne sommes pas étrangers à l'économie générale du texte qui vous est soumis. L'idée directrice consiste à imposer une limite de douze mois aux assignations à résidence ; mais avant l'expiration du délai, le ministre de l'intérieur peut saisir le juge administratif des référés du Conseil d'État d'une demande de prolongation pour trois mois, renouvelable. C'est la position retenue par l'Assemblée nationale après des débats parfois délicats.

D'éventuelles corrections pourront être apportées dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la sécurité publique prévu pour janvier, notamment sur l'organisation du double degré de juridiction. Rappelons néanmoins que l'assignation à résidence étant une mesure non réglementaire mais individuelle, l'arrêté du ministre peut relever du juge des référés du tribunal administratif, et en appel du Conseil d'État.

Le texte voté par l'Assemblée nationale correspondant à la position que nous avons exprimée lors de nos discussions préparatoires, je vous propose de l'adopter conforme en vue d'une entrée en vigueur le plus rapidement possible.

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