Intervention de Luc Derepas

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 décembre 2016 à 9h05
Audition de M. Luc deRepas candidat la présidence du conseil d'administration de l'agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation de l'environnement et du travail

Luc Derepas, candidat à la présidence du conseil d'administration de l'Anses :

J'ai l'honneur de me présenter devant vous en application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique car je suis pressenti par le Gouvernement pour occuper les fonctions de président du conseil d'administration de l'Anses. Cette Agence est un établissement public qui assure une expertise indépendante et de haut niveau, en vue d'assurer la protection des populations dans les domaines de la santé alimentaire et environnementale et du travail. Il s'agit de la plus grande agence sanitaire d'Europe, avec 1 350 agents, un budget de 138 millions et onze laboratoires répartis sur seize sites en France. Il s'agit donc d'une entité majeure au niveau européen qui a un haut niveau d'expertise scientifique et qui est aussi un facteur d'aménagement du territoire compte tenu de sa présence sur divers sites.

Le législateur et le Gouvernement ont voulu que cette Agence ait une expertise transversale, irriguée par les courants de la recherche scientifique mais aussi par les apports de la société civile et des milieux professionnels. La composition de son conseil d'administration en témoigne, avec cinq collèges institués à la suite du Grenelle de l'environnement : les représentants de l'État mais aussi ceux des associations de malades, de consommateurs, de victimes d'accidents du travail, des milieux économiques, des organisations professionnelles, des organisations syndicales et des élus. Ce conseil d'administration a donc une composition plurielle, potentiellement conflictuelle. Le mandat de président du conseil d'administration est non exécutif, non rémunéré. L'agence est dirigée par un directeur général, le président du conseil d'administration ayant pour mission essentielle de coordonner et d'animer les travaux de celui-ci. Ce conseil vote les orientations générales de l'Agence, sa stratégie pluriannuelle et son contrat d'objectifs et de performance avec l'État. Il est irrigué par la présence de représentants de la société civile et des milieux économiques et par les conseils scientifiques qui constituent les forces vives de l'Agence en termes de discussions thématiques. Cinq comités d'orientation sont rattachés au conseil d'administration : alimentation, environnement, travail, santé animale, santé végétale. Ces comités sont chargés de parvenir à des consensus thématiques pour qu'ils remontent au niveau du conseil d'administration.

Enfin, les différentes parties prenantes peuvent saisir le conseil d'administration pour qu'il aborde de lui-même certains sujets et définir ainsi la stratégie de l'Agence. Ce conseil d'administration n'est donc pas une chambre d'enregistrement : il vient en appui de la direction générale et son rôle prépondérant est de rassembler l'ensemble des opinions potentiellement divergentes. La tâche du président du conseil d'administration est d'assurer que cette dialectique soit vertueuse : l'Agence demeurera ainsi le pôle de référence qu'elle est depuis sa création. Je tiens à saluer le travail de mes prédécesseurs : Philippe Bas, Didier Houssin et Pierre-Yves Montéléon, vice-président qui a assuré l'intérim. Grâce à leur engagement, l'Agence a acquis sa stature actuelle.

La capacité d'expertise de l'Agence est unanimement reconnue, qu'il s'agisse de ses experts permanents ou de ses experts membres des comités scientifiques. Elle doit conserver sa force de frappe scientifique pour garantir son haut niveau, son indépendance et une déontologie irréprochable. Mais une expertise sans contact avec les forces vives perdrait de vue les enjeux sociétaux et une expertise par trop soumise aux pressions économiques et sociales perdrait son indépendance et faillirait à sa tâche. Le tour de force des créateurs de l'Agence a été d'encourager la dialectique entre ces deux forces.

Aujourd'hui, l'Anses se penche sur les sujets les plus importants en matière de santé alimentaire, environnementale ou au travail. Ainsi a-t-elle travaillé sur le bisphénol A en 2011, 2013 et 2015 ; elle a validé l'interdiction de ce produit, interdiction confirmée par le Conseil d'État au contentieux. De même, l'Agence a accompagné le ministère de l'agriculture dans la gestion de la grippe aviaire. Sa présence sera également indispensable à l'occasion de l'interdiction des néonicotinoïdes en septembre 2018 ; des mesures d'accompagnement et de dérogations, ainsi que les alternatives possibles, doivent encore être examinées. Enfin, l'Anses s'est prononcée sur les critères d'identification des perturbateurs endocriniens : la réponse de la Commission européenne a été jugée trop peu protectrice.

L'Agence devra relever plusieurs défis. En premier lieu, elle devra s'adapter aux nouvelles missions confiées par le législateur ou par le droit européen. Alors qu'elle était essentiellement une instance d'évaluation, l'Agence est également devenue depuis un an et demi une instance de délivrance d'autorisations. D'experte, elle doit désormais prendre des décisions tout en conservant son indépendance et sa déontologie.

Autre défi : la redéfinition de son modèle économique dans un contexte de raréfaction de la ressource budgétaire. Si des missions nouvelles sont confiées à l'Agence et si de nouvelles demandes d'autorisation et d'instruction des dossiers lui sont adressées, il lui faudra des moyens supplémentaires. Le Brexit risque d'accélérer cette évolution car diverses demandes d'autorisations basculeront vers le continent européen. L'Anses étant en pointe dans tous ces dossiers, elle sera certainement davantage sollicitée que par le passé. Compte tenu du plafond d'emploi actuellement défini et de ses ressources, l'Anses risque de se trouver dans une position inconfortable. Or, la qualité de l'expertise et le traitement des dossiers ne doivent pas souffrir de cette situation. Le conseil d'administration devra proposer à ses tutelles un nouveau modèle économique pour développer des ressources supplémentaires liées à l'instruction des dossiers.

J'en viens à mon parcours. J'ai 50 ans et je suis conseiller d'État. Après une première partie de carrière dans la diplomatie, je suis entré au Conseil d'État en 1997 à ma sortie de l'ENA. Depuis lors, j'ai exercé divers postes au sein du Conseil d'État et à l'extérieur. Je n'ai pas le niveau scientifique et le degré d'expertise qu'avait M. Houssin mais je peux apporter mon expertise juridique et institutionnelle que j'ai acquise au Conseil d'État au contentieux en tant que juge et aussi en section administrative au sein de la section sociale. En outre, j'ai l'expérience du travail collégial et de la délibération, ce qui permet de mener de façon vertueuse des discussions collectives. Enfin, l'éthique et l'indépendance sont des vertus essentielles prônées au Conseil d'État.

À titre plus personnel, j'ai toujours été attentif au cours de ma carrière aux questions liées à la santé et à la sécurité sanitaire. Jeune diplomate, j'ai suivi les travaux de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève. À mon arrivée au Conseil d'État, j'ai exercé les fonctions de conseiller juridique du ministère des affaires sociales. Au Conseil d'État, j'ai été nommé à la section sociale et à la première sous-section du contentieux qui est spécifiquement chargée du contentieux de la santé et de l'aide sociale. Enfin, en tant que conseiller juridique du Bureau international du travail (BIT) à Genève, j'ai assisté à la mise en place du droit international du travail, y compris dans sa composante santé et sécurité au travail.

J'ai également exercé d'autres fonctions dans des domaines plus régaliens, notamment en tant que directeur général des étrangers au ministère de l'intérieur. Si j'ai été pressenti à ce poste, c'est sans doute en raison de cet ensemble d'acquis professionnels, de mon attention à la régularité juridique, de ma pratique de la discussion collective, de mon souci de la défense de la déontologie et de l'indépendance, de mon attention aux questions de santé. Je serais très honoré de pouvoir défendre ces valeurs au sein de cette belle institution.

J'en viens aux quatre défis majeurs de l'Agence pour les années à venir. Il faudra d'abord veiller à assurer les conditions d'une expertise de haut niveau, collective et contradictoire, à travers l'ensemble des conseils scientifiques et des personnels de haut niveau de l'Agence. Ensuite, il faudra assurer la crédibilité des travaux de l'Agence par son indépendance en s'appuyant sur son code de déontologie, sur son comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts et sur l'ensemble des règles et des pratiques mises en oeuvre au sein de l'Agence qu'il faudra régulièrement questionner, évaluer et améliorer. Il nous faudra vérifier en permanence que les missions et les moyens de l'Agence soient bien en adéquation. Un nouveau modèle économique devra être défini, dans le respect des règles budgétaires. Enfin, nous devrons renforcer la place de l'Agence en Europe, notamment à l'occasion du dialogue serré que nous devons avoir avec la Commission européenne, avec nos homologues européens et avec l'ensemble des parties prenantes au niveau international.

Compte tenu des évolutions géopolitiques récentes, il n'est pas interdit d'imaginer que les États-Unis réduiront leurs exigences en matière de protection de la santé alimentaire et environnementale. Le Royaume-Uni, qui cherchera probablement à compenser sa sortie de l'Union européenne, pourra être tenté par la diminution de ses protections pour améliorer sa compétitivité. Au sein du monde occidental, deux poids lourds pourraient ainsi choisir d'abaisser leurs barrières de protection en matière de santé alimentaire et environnementale. L'Union européenne - notamment la France - devra donc défendre un haut niveau de protection. L'Anses sera un atout majeur dans ce domaine et, si je suis nommé, je m'emploierai à y contribuer.

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