Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 31 janvier 2006 à 10h00
Questions orales — Droit de vote des résidents étrangers extracommunautaires aux élections locales

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Aborder la question du droit de vote et de l'éligibilité des étrangers extracommunautaires est délicat, sensible, tout en étant essentiel au débat politique.

Cette question touche à l'essence même de ce qui constitue notre démocratie, à ce qu'elle est, à ce qu'elle peut et doit devenir.

La question du droit de vote des étrangers extracommunautaires est d'une portée éminemment supérieure. Elle relève de la justice, de l'égalité des droits, de la citoyenneté, de la revitalisation de notre système démocratique.

Il y va de la justice, notamment envers l'histoire. Ces hommes et ces femmes à qui est dénié le droit de vote se sont sacrifiés pour la France. Leurs parents ou eux-mêmes se sont battus sur le front militaire, durant les deux guerres mondiales ou en Indochine. Ils se sont également battus pour la France sur le front économique, en oeuvrant à la reconstruction de notre économie et de notre tissu social.

C'est aussi une question de justice sociale et de justice politique, car ces étrangers - qui, il est toujours bon de le rappeler, paient les mêmes impôts, taxes et cotisations que tous les Français - sont déjà inclus dans notre processus électif. En effet, c'est en considération du nombre d'habitants de nos villes, toutes nationalités confondues, qu'est déterminé le nombre d'élus locaux, lequel détermine à son tour le nombre d'élus à la Haute Assemblée.

Cela illustre une évidence : dans une ville, n'est étranger que celui ou celle qui n'y réside pas ! On peut être Malien, Vietnamien ou Marocain, tout en étant Parisien. Nous sommes citoyens de la cité où nous vivons notre quotidien !

Au demeurant, le succès de l'opération « votation citoyenne » organisée dans différentes villes de France par diverses organisations non gouvernementales et associations nous a apporté la preuve qu'il existe une véritable volonté de participation des premiers concernés, volonté approuvée, selon un récent sondage, par plus de 60 % de nos concitoyens.

Reconnaître le droit de vote aux ressortissants étrangers extracommunautaires répond également à une nécessité d'égalité.

Il ne peut y avoir égalité effective entre individus sans égalité face à la responsabilité politique : on ne peut exiger de ces personnes des devoirs et des obligations qui sont, normalement, le corollaire naturel de l'exercice de certains droits, dont celui de vote et de représentation.

Les élus locaux prennent des décisions pour la construction d'écoles, de routes, de centres sociaux et de nombreuses autres infrastructures. Celles-ci ne sont pas utilisées exclusivement par des Français ; d'ailleurs, comme je l'indiquais à l'instant, elles ne sont pas uniquement financées par eux : le labeur des étrangers a produit autant de briques pour les murs de nos écoles que le travail des Français.

Dès lors, il est inacceptable que soit exclu du processus de décision politique un pan entier de la population au seul motif que les individus concernés ne sont pas issus de l'Union européenne.

Octroyer le droit de vote aux étrangers extracommunautaires contribuera au renforcement de la notion de citoyenneté.

En effet, l'une des conséquences de la construction européenne a été la reconnaissance en France que citoyenneté et nationalité pouvaient se dissocier. Les résidents issus de l'Union, bien qu'allemands, italiens, britanniques ou belges, peuvent ainsi élire ou se faire élire à l'échelon local. Comment, dans ces conditions, faire comprendre aux plus jeunes que cela est possible pour certains étrangers, mais pas pour leurs parents, qui résident pourtant en France depuis parfois plus de cinquante ans ?

Étendre ce droit aux étrangers non communautaires permettrait de donner un aboutissement à ce processus, de le rendre complet. La France élargirait ainsi à tous le champ d'une citoyenneté de résidence qu'elle n'admet actuellement pas pour certains.

Enfin, franchir ce pas, historique et politique, contribuera à la profonde rénovation de notre démocratie, qui souffre, notamment, du double mal de la représentation et de la représentativité.

Cette rénovation constante s'effectue par strates : chaque fois qu'un palier supplémentaire est franchi dans la refondation de notre démocratie, c'est l'ensemble du processus qui est régénéré. Ainsi, en 1945, par l'octroi, enfin ! du droit de vote aux femmes, c'est la vocation universelle de notre démocratie et de notre République qui s'est trouvée confortée.

Il est temps qu'aujourd'hui, à l'instar d'autres pays d'Europe, nous accomplissions ce nouvel élargissement du corps électoral, condition sine qua non de la modernisation de notre démocratie.

Fondée sur une proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale sur l'initiative des députés Verts, une proposition de loi a été déposée ici même, au Sénat, après maintes difficultés.

M. le ministre d'État n'a malheureusement pu être présent parmi nous aujourd'hui, et je le regrette, car, compte tenu de l'importance de la question, j'aurais souhaité qu'il puisse y répondre lui-même. En effet, alors que, comme de nombreuses personnalités au sein de votre famille politique, madame la ministre, il s'est exprimé en faveur de ce droit de vote, votre Gouvernement et sa majorité parlementaire ont refusé de saisir cette occasion et se sont opposés à la proposition de loi.

Face aux défis que lance la révolte des banlieues, expression du refus des discriminations, y compris politiques, ainsi que les mouvements appelant à un vrai débat sur la mémoire, vous semblez ne considérer cette question que comme un gadget électoral lancé à la presse pour soutenir les ambitions de certains.

Je vous demande donc quand le Gouvernement compte enfin inscrire à l'ordre du jour des débats du Sénat la proposition de loi votée à l'Assemblée nationale le 4 mai 2000 ; à moins qu'il ne nous transmette un projet de loi organique visant à rétablir cette justice qui est due à tous nos citoyens. Cela devient une urgence pour notre démocratie.

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