Intervention de Jean-Pierre Sueur

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 octobre 2016 : 1ère réunion
Atelier de prospective : « le phénomène urbain : un atout pour le futur »

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

Monsieur le président, mesdames, messieurs, chers amis, je veux tout d'abord remercier Roger Karoutchi, qui anime avec la fougue et la vigueur que nous lui connaissons la délégation sénatoriale à la prospective. Nous avons tenu à ce qu'il y ait, au coeur du Sénat et du Parlement, une délégation qui réfléchisse au futur, au long terme. Parce que nous avons souvent le nez dans le guidon et parce que nous ne voyons pas assez loin, un certain nombre d'enjeux finissent par nous échapper.

S'il est un sujet qui justifie l'existence de notre délégation, c'est bien la ville. Nous vivons aujourd'hui dans des villes conçues voilà cinquante ou cent ans, voire deux siècles. Aujourd'hui, ce que nous faisons, ou ce que nous ne faisons pas, façonne les villes dans lesquelles nous vivrons dans dix, vingt, cinquante ou cent ans. Or, lors des campagnes électorales, qu'elles soient présidentielles, législatives, sénatoriales, régionales, départementales ou municipales, une question n'est jamais posée : quel est notre projet pour les villes du futur ? Comme l'a rappelé Roger Karoutchi, 80 % des gens vivent dans des villes. Nous connaissons la ville d'aujourd'hui, mais que sera la ville de demain ? On n'y réfléchit pas suffisamment.

Cette réflexion s'inscrit, pour ce qui me concerne modestement, dans une histoire. En 1998, nous avons rédigé un rapport intitulé Demain, la ville. Il nous avait été demandé de réfléchir à la politique de la ville. Alors que l'on s'attendait à ce que nous insistions, en conclusion, sur la nécessité d'augmenter les moyens de la politique de la ville, nous avons contesté un certain nombre de postulats, ce qui a été un peu mal pris par certains.

En 2011, la délégation a effectué un travail considérable sur les villes du monde. Nous avions invité à travailler avec nous des universitaires auteurs de thèses restées malheureusement confidentielles. De cette collaboration est résultée la publication d'un rapport en trois tomes, intitulé Villes du futur, futur des villes : quel avenir pour les villes du monde ? Nous souhaitons aujourd'hui poursuivre la réflexion.

La République française se targue d'avoir une politique de la ville. Mais c'est bien davantage une politique dédiée aux quartiers en difficulté, ce qui tend à faire croire qu'intervenir dans ces quartiers tient lieu de vision globale de la ville. Drôle d'idée ! Il n'y a pas deux ministères de l'agriculture en France, l'un pour l'agriculture qui va bien, l'autre pour celle qui va mal. Dès lors, pourquoi y a-t-il un ministère de la ville qui va mal et d'autres ministères - le ministère non plus de l'équipement, mais du développement durable, le ministère de la culture... - qui s'occupent de la ville qui va bien ? Cette façon de présenter les choses traduit une ghettoïsation de la politique dite « de la ville ».

De la même façon, la France est très fière d'avoir élaboré des zonages. On en a dénombré jusqu'à 3 650 ! Il y a eu ainsi des Zup - des zones à urbaniser en priorité -, des Zac - des zones d'aménagement concerté -, des ZPPAU, transformées en ZPPAUP - les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager -, puis en Avap - les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine -, des Znieff - les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique -, des Zus - des zones urbaines sensibles -, les ZRU - les zones de redynamisation urbaines - et les ZFU - les zones franches urbaines.

Pour ma part, j'ai soutenu, du temps d'Alain Savary, les Zep, les zones d'éducation prioritaire, où les enseignants font un travail formidable, mais, aujourd'hui, la question se pose de savoir si un zonage accroît ou diminue la discrimination. Peut-on réduire les inégalités en se passant des zones ou faut-il au contraire les conserver ?

De nombreuses autres questions émergent.

La loi SRU, relative à la solidarité et au renouvellement urbains, que, pour ma part, je soutiens et qui suscite de nombreux débats, soulève la question de la mixité sociale. Tout le monde est favorable à la mixité sociale. Or, si on la présente aux gens en leur disant qu'elle va entraîner la survenance de 20 % ou 25 % de problèmes supplémentaires près de chez eux, ils ne le prennent pas toujours très bien.

Deux éléments sont importants. Il faut d'abord que les logements sociaux soient aussi beaux que les autres habitations, qu'on ne puisse plus les distinguer de prime abord. Ensuite, il est essentiel que la mixité sociale aille de pair avec la mixité fonctionnelle. Or la ville que nous a léguée la seconde moitié du XXe siècle est divisée en espaces ayant chacun une fonction : on distingue le centre-ville patrimonial, les faubourgs, les banlieues, où l'on trouve des espaces avec de l'habitat vertical, des barres, des tours, et des espaces composés d'habitat horizontal, c'est l'étalement pavillonnaire. Les entrées de villes, avec notamment les magasins d'usine, sont réservées aux activités commerciales, les zones d'activités aux entreprises, les campus universitaires aux étudiants. La ville est ainsi morcelée. La ville du futur ne sera celle de la mixité sociale que si elle est, dans le même temps, la ville de la mixité fonctionnelle.

J'ai lu dans la presse hier qu'une crise majeure touche le commerce de centre-ville. J'ai lu par ailleurs, dans un autre article, qu'il y a également une crise des hypermarchés. Voilà trente ou quarante ans, on était très fier d'aller faire ses courses avec un caddy dans un hypermarché. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, sans compter que le e-commerce menace les hypermarchés.

Enfant, j'habitais à Roubaix, où étaient implantées de grandes barres d'immeubles dans le quartier des Hauts-Champs, dénommé ainsi car il se trouvait à l'emplacement de la première ferme située au-delà des limites de la ville. Les gens s'y étaient installés parce qu'ils travaillaient dans l'industrie. Lorsque M. Mulliez a ouvert, à proximité, un entrepôt, il l'a appelé Auchan : le nom de la ferme est devenu celui de la chaîne. La grande industrie crée donc les grands ensembles, les grands ensembles créent les grandes surfaces, et le tout-automobile fait le reste : la ville s'étend.

L'objet de la première table ronde aujourd'hui - ville et non-ville - est de remettre cela complètement en cause. La division entre espaces urbains et campagnes ne correspond plus à la réalité. Nous sommes tous des urbains, tout en ayant un rapport avec les autres espaces.

Plutôt que de continuer à parler d'un centre-ville et de périphéries, attachons-nous à transformer les périphéries en autant d'autres centralités. C'est ce que nous approfondirons dans le cadre de la table ronde organisée cette après-midi sur la ville en réseaux.

Nous allons également parler de la ville végétale, des couleurs de la ville, sujet qui me tient à coeur. Je trouve en effet que, dans notre pays, on a tendance à faire des villes grises ou, au mieux, beiges. On n'y trouve pas de rouge, de vert, de bleu ! Pour ma part, j'aime beaucoup une ville de la région Centre-Val-de-Loire, dans laquelle a été installée, près de la gare, une sculpture assez contemporaine de couleur bleue. Les gens ont trouvé cela curieux. Je pense en cet instant à ce vers d'Albert Samain : « Et pour voir des jardins je fermais les paupières. »

La ville a été pendant longtemps le réceptacle de tout ce qui va mal dans la société. On dit que la ville, c'est la pollution, que la campagne, c'est l'air pur, que la ville, c'est le banditisme, l'insécurité, la drogue, que la campagne ne connaît rien de tous ces maux. Il y a beaucoup d'idéologie dans tout cela. Pour notre part, nous voulons montrer que le phénomène urbain est un atout pour le futur. Les villes recèlent d'immenses richesses, qui aident à préparer la société de demain.

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