Tout d'abord, je remercie Roger Karoutchi et Jean-Pierre Sueur d'avoir souhaité revivifier le débat sur le phénomène urbain, sujet sur lequel Jean-Pierre Sueur revient régulièrement, ce dont je lui sais gré.
L'intitulé de ce colloque est un signal d'espoir, le phénomène urbain étant considéré comme un atout pour le futur. Il est important de le souligner face à la morosité que suscite parfois ce sujet, notamment chez les élus, dès qu'il est question de politique de la ville et des difficultés des communes.
En revanche, l'intitulé de la première table ronde comprend une abomination : l'expression « non-ville », que Jean-Pierre Sueur a utilisée d'un ton badin tout à l'heure avec son talent habituel. En tant que maire d'une commune de 15 700 habitants, à savoir Le Bourget, connue pour son aéroport et située dans un département à la réputation difficile, la Seine-Saint-Denis, j'ai eu un moment de stupéfaction en entendant ce mot. Qu'est-ce qu'une « non-ville » ? Pourquoi une ville se verrait-elle contester le statut de ville ? Qu'est-ce qui fait qu'une ville est une ville et échappe au statut de « non-ville » ?
La ville se caractérise, avant tout, par la profusion, la densité des habitants, des services, etc., mais également par l'anonymat, souvent plus marqué qu'à la campagne, et la ségrégation - les « banlieues nord » ont toujours existé, de même que les quartiers définis par leur identité de peuplement.
La ville est faite de paradoxes. Elle facilite l'accès à la culture, à la connaissance et aux établissements d'enseignement, mais érige aussi des barrières, mentales ou liées aux difficultés de mobilité. Elle se caractérise par certaines formes de violence et de criminalité, causées par la promiscuité, mais facilite aussi l'organisation de la solidarité.
Se pose, dès lors, une question éternelle : comment humaniser la ville et faire en sorte que chacun de ses habitants, quel qu'il soit, s'y sente considéré ?
La ville se caractérise par la mobilité, celle des transports, laquelle n'est pas toujours simple à organiser, notamment en Île-de-France, mais aussi celle des populations, avec parfois un phénomène de hiérarchisation des territoires. Ainsi, la Seine-Saint-Denis est souvent présentée par les études comme le territoire de premier et de deuxième accueil des populations en difficulté. Les jeunes, les étrangers et les provinciaux à la recherche d'un logement relativement bon marché viennent souvent s'y installer, avant de vouloir la quitter au fil de leur ascension sociale. Notre problème est alors plutôt d'essayer de retenir ceux qui veulent partir.
Ce problème de hiérarchisation renvoie à la question difficile du peuplement de la ville et de la ségrégation de fait qui peut s'y développer. Nous n'avons toujours pas rompu avec la tendance qui consiste à entasser les populations en difficulté dans certains quartiers, un phénomène d'ailleurs insuffisamment quantifié à mon goût. Comment, tout en respectant nos valeurs de liberté, éviter la formation de ghettos ?
Les villes se différencient aussi par leur patrimoine, matériel et immatériel, qui englobe le patrimoine végétal, le cadre de vie, l'aménagement et le projet urbain. Quand on évoque Le Bourget, on pense aux débuts de l'aviation, à l'aéroport, mais aussi à une marque mondialement connue, au travers de son salon international de l'aéronautique et de l'espace, ainsi qu'à la Cop21.
La ville, c'est également une identité, un caractère, une tradition, une histoire et une population. Certaines villes sont réputées froides, d'autres accueillantes. Yves Dauge évoquait les difficultés des communes qui abritaient des sites miniers. Nous avons connu, au Bourget, la fermeture, en 1996, d'un important site Alstom qui employait jusqu'à 1 500 personnes dans les années quatre-vingt, avec à la clef une perte de 40 % des recettes de taxe professionnelle. Une ville peut aussi se caractériser par ces phénomènes majeurs de désindustrialisation, qui s'apparentent à un véritable séisme et marquent durablement les esprits. Autre exemple, puisque je suis originaire de cette région, la petite ville gardoise de Bagnols-sur-Cèze, qui a poussé comme un champignon avec l'implantation de la centrale nucléaire de Marcoule, reste encore marquée, des années après, par une opposition entre « Bagnolais » et « Marcouliens ».
La ville, c'est encore un lieu de démocratie et de débat où l'on essaie de construire, ensemble, un projet urbain s'articulant autour de l'identité, de la réalité morphologique et du patrimoine.
La ville compétitive de demain, pour moi, c'est aussi la ville inclusive. Ces deux notions ne sont pas antagonistes. À l'heure d'internet, de la dématérialisation et de la réflexion sur les écosystèmes, la ville est moderne, à condition d'y maintenir le lien social. Au Bourget, où l'on travaille naturellement sur des projets en lien avec l'aéronautique, on voit que les entreprises ont envie de s'insérer dans un écosystème, un réseau, car c'est aussi un élément de réussite économique.
Je suis particulièrement sensible au sujet des villes moyennes, qui connaissent les mêmes difficultés financières, de projet et d'ingénierie, qu'elles se situent en province, en banlieue ou en zone périurbaine. Ma commune de 15 700 habitants, statistiquement considérée comme une petite ville, est ainsi écartelée entre des sujets franciliens majeurs - aéroport, desserte, Grand Paris - et la gestion quotidienne. L'une des questions majeures me semble être la rupture entre métropoles et grandes villes, d'un côté, petites villes et villes moyennes, de l'autre.
Humaniser les villes en général et prêter davantage attention au réseau des petites villes et des villes moyennes, voilà un beau défi !