Intervention de Paul Lecroart

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 octobre 2016 : 1ère réunion
Deuxième table ronde : « métropoles mégalopoles pôles urbains et réseaux de ville »

Paul Lecroart, urbaniste, Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région d'Île-de-France (IAURIF) :

Je remercie la délégation sénatoriale à la prospective de son invitation à participer à ce colloque.

Je vais évoquer les capacités qu'ont les métropoles de réinventer constamment leur futur face aux défis auxquels elles sont confrontées.

Un PowerPoint est projeté.

Je rappellerai brièvement ces défis, car ils sont très clairement indiqués dans le rapport de Jean-Pierre Sueur de 2011.

Les expériences métropolitaines dont je parlerai ensuite mériteraient au moins chacune une heure de débat. Vous voudrez donc bien me pardonner d'être très schématique dans leur trop rapide présentation.

Enfin, je conclurai par quelques éléments sur le futur des villes.

Les taux de croissance aujourd'hui extrêmement élevés de certaines villes dans le monde, notamment africaines et asiatiques, mettent en cause la capacité des autorités métropolitaines à y faire face, mais aussi celle des États, et l'on voit que certaines villes deviennent plus puissantes que les États.

Ces rythmes de croissance sont très différents entre le Nord et le Sud. Les métropoles sont confrontées à des défis qui, s'ils ne sont pas si différents dans leur nature, le sont évidemment dans leur échelle et leur rythme. Les métropoles des pays du Nord ont à faire face surtout à la gestion de l'existant. Celles du Sud sont constamment confrontées à l'accueil de nouvelles populations.

Les autorités municipales, métropolitaines et régionales sont également de plus en plus sollicitées sur les questions d'environnement, de pollution de l'air, d'écocycles - notamment sur la façon dont on peut produire de l'énergie à partir de l'assainissement et des déchets -, sur le changement climatique et la résilience, ainsi que sur les inégalités sociales, territoriales, les questions de santé et d'éducation.

Les quelques expériences que je vais évoquer maintenant montrent que le futur est déjà là, que les métropoles l'inventent.

Ainsi, Portland, ville entièrement vouée à l'origine, comme nombre de villes américaines, à l'automobile, a pris conscience à la fin des années soixante qu'il n'était plus possible de voir son centre-ville se remplir de parkings et se vider de ses populations, mais aussi de ses emplois. Elle a démoli une voie autoroutière en bord de fleuve dans les années soixante-dix. Elle fut la première ville au monde à déconstruire des infrastructures routières héritées des années quarante jusqu'aux années soixante, et à se reconstruire autour du tramway et du vélo. Pour les maires et élus municipaux ici présents, c'est chose commune ; aux États-Unis, c'est un phénomène remarquable.

Aujourd'hui, la ville de Portland développe une intensification urbaine, s'efforce de réagir aux questions d'inégalités sociales et d'accès au logement. Ce qui est intéressant, c'est la façon très visionnaire dont cela s'est fait. En 1979, vingt-quatre communes se sont regroupées pour définir un plan directeur pour 2040 à l'échelle de la métropole de Portland et fixer une limite à la croissance urbaine. Les axes des transports en commun - trains et tramways - desservent des centralités à la fois au coeur de la ville mais aussi en périphérie.

Autre exemple, Séoul, ville de 10 millions d'habitants dans une agglomération qui en regroupe 24 millions. Il a été décidé, au sein de cet énorme ensemble urbain, entièrement soumis à la croissance économique dans les années cinquante, soixante, soixante-dix, quatre-vingt, de supprimer une autoroute construite au-dessus de la rivière Cheonggye. La restauration de cette rivière permettait de reconsidérer le centre-ville, de retrouver l'histoire et la géographie qui avaient façonné la ville.

Séoul a aussi démoli une grosse infrastructure routière sur laquelle circulaient 170 000 véhicules par jour - presque l'équivalent du périphérique parisien. Aujourd'hui, 30 000 véhicules par jour traversent cet espace, devenu lieu de promenade et de référence de la ville, véritable « Champs-Élysées » de Séoul.

Les autorités locales ont pu mener à bien ce projet, parce qu'elles ont travaillé globalement sur la question de la mobilité : le réseau de bus, la régulation du stationnement, l'incitation au covoiturage, notamment par une tarification des tunnels d'accès au centre-ville, les piétons, les vélos, les autres modes de transport en commun. La réduction du trafic permet, aujourd'hui, de fermer cette voie le dimanche. Toute la ville, non pas seulement le centre-ville, a bénéficié de cet aménagement : on circule mieux et on vit mieux à Séoul.

Ces transformations sont intéressantes en termes de changement climatique, puisqu'elles se traduisent notamment par une diminution des températures. Autre élément révélateur, les entreprises situées à proximité de ces échangeurs autoroutiers demandent aujourd'hui leur suppression. Un programme de démolition de douze viaducs est en cours à Séoul. Un nouveau système d'utilisation de ces voies y est développé, notamment autour de la gare centrale, où l'ancien échangeur va devenir l'accès piéton et végétalisé vers la gare.

La Ruhr offre l'exemple d'une région sacrifiée aux besoins de l'industrie sidérurgique et des mines. Dix-sept communes se sont complètement réinventées à partir des années quatre-vingt autour de l'IBA, ou Internationale Bauaustellung, qui signifie littéralement « exposition internationale d'architecture », mais qui est, en fait, un processus de projets innovants. En travaillant, d'une manière que l'on peut rapprocher de l'acupuncture, sur des sites et en suscitant le débat sur l'aménagement futur de la région, il a été possible de transformer toute une région autour d'un parc.

Aujourd'hui, l'épine dorsale de la Ruhr est un parc de 8 000 hectares, qui est non seulement un espace de loisirs, de nature, mais aussi un endroit où l'on travaille et où l'on habite véritablement.

Quatrième exemple, Malmö, ville de 300 000 habitants, située dans l'Öresund, région qui sépare le Danemark de la Suède. Dans les années quatre-vingt-dix, la ville était en crise. Ayant perdu 30 000 emplois à la suite de la fermeture des chantiers navals et après l'échec de la réindustrialisation, la ville s'est attelée à s'inventer un autre futur. Celui-ci a pris forme à partir de la construction d'un pont vers le Danemark, puis de la construction d'une université, mais aussi par la transformation du quartier du port en un quartier durable, qui s'est fixé un objectif de 100 % d'autonomie énergétique. On l'a vu tout à l'heure, les objectifs sont très importants parce qu'ils mobilisent les acteurs. La méthode de Malmö, c'est de mettre tout le monde autour de la table, de travailler très en amont avec le secteur privé, avec la population, et sur toutes les questions à la fois.

Aujourd'hui, Malmö est une ville extrêmement attractive. Elle a gagné 60 000 habitants en quinze ans, mais c'est aussi une ville très pauvre qui regroupe 170 nationalités. Elle travaille beaucoup sur les questions de santé et d'éducation afin de créer davantage d'égalité sociale dans la ville. Voilà un exemple extrêmement intéressant qui mériterait d'être creusé.

La ville de Medellín, en Colombie, a été gangrénée par le trafic de drogues dans les années quatre-vingt, par la pauvreté, et a connu un afflux massif de populations rurales chassées par la guérilla. Elle s'est complètement réinventée, notamment autour du Métrocable. La ville a choisi, d'abord, de desservir les quartiers les plus pauvres, qui étaient le plus sous l'emprise des gangs de narcotrafiquants. Le Métrocable a servi de support à une politique globale d'aménagement prenant en compte, au travers de ses projets urbains intégrés, non seulement les questions d'environnement, d'assainissement, d'habitat et d'éducation, mais aussi toutes les problématiques de mobilité.

Une telle stratégie de réinvestissement civique a porté ses fruits. La situation reste grave, est loin d'être réglée, mais les quartiers vont beaucoup mieux et la confiance revient. L'un des éléments catalyseurs a été le développement du concept de parc-bibliothèque. Cet équipement hybride est à la fois un centre social et de formation, un lieu d'exposition et un site d'information du public sur les questions de transition économique et écologique. Financée par la Reine d'Espagne, cette initiative, qui a été saluée, est la preuve que des réussites sont possibles dans les quartiers défavorisés.

La ville de Téhéran, morcelée par les infrastructures routières, dont les banlieues sont très étendues, s'est vraiment développée autour de la voiture. Elle travaille aujourd'hui - c'est très nouveau - sur la question du piéton considéré comme un élément central des politiques urbaines. Récemment a été ouvert le pont de Tabiat, passerelle piétonne qui relie deux secteurs de la ville et permet une communication entre deux grands parcs. Ce pont, dont la vocation est d'abord symbolique, préfigure également ce qui pourrait se passer à l'échelle de la ville. Il est extrêmement fréquenté et d'une grande utilité. Téhéran se réinvente aussi autour de ses rivières et de sa géographie, car elle connaît d'énormes problèmes de glissement de terrain liés aux inondations.

Pékin est une autre ville qui a véritablement besoin de se réinventer. Elle s'est également développée autour de la voiture, et les questions d'environnement ont été mises de côté. Pékin manque d'eau et c'est un enjeu majeur pour demain, tout comme le niveau de pollution de l'air, extrêmement pénalisant pour la population. Pékin développe des politiques de réduction de l'usage de la voiture, mais aussi, de manière assez autoritaire, de démolition de quartiers afin de créer des couloirs de ventilation. La ville travaille également, à une plus petite échelle, sur la décarbonisation du parc des deux, trois et quatre roues, sujet qui pourrait être intéressant pour d'autres villes.

Pékin s'efforce de se penser aujourd'hui à l'échelle de la méga-métropole, la macro-métropole, tendance que l'on trouve un peu partout dans le monde, notamment en Amérique latine. Coordonner les politiques à des échelles beaucoup plus importantes est indispensable, surtout dans la région de Pékin où les niveaux de développement sont très différents.

New York est une ville qui se réinvente aussi autour des espaces publics. Certaines initiatives sont issues de la société civile. L'idée de départ est qu'avec très peu de moyens, de la peinture au sol, quelques bacs à fleurs, il est possible de transformer un espace autrefois routier en espace public. De nombreux efforts ont ainsi été déployés pour améliorer les accès cyclistes, là encore avec très peu de moyens.

New York s'efforce d'imbriquer beaucoup plus qu'auparavant les différentes politiques, de mettre un terme aux actions sectorielles et de croiser les questions d'énergie, d'habitat et de résilience. Son agglomération, qui s'étend sur trois États, veut se penser à l'échelle de la grande région métropolitaine. Cette région de 22 millions d'habitants est extrêmement dysfonctionnelle. Regional Plan Association, initiative qui émane de la société civile, travaille à légitimer une réflexion et une action à l'échelle de la grande région. Cette organisation prépare le quatrième plan régional de New York pour 2017, notamment autour des questions de « marchabilité ».

Avant 2000, la région de Londres n'existait pas, elle n'avait pas confiance en elle. L'ancien site des jeux Olympiques à Stratford peut en donner une idée. Depuis, elle s'est transformée, a développé une vision et une stratégie grâce à un maire dont la légitimité lui a permis de conduire une transformation en profondeur. Londres est aujourd'hui une plateforme d'investissements internationaux, et on a parlé à son sujet de « financiarisation ». Ce qui se produit à Londres est totalement déconnecté des besoins des habitants, et on peut même dire que chaque nouvel appartement construit à Londres aggrave le problème du logement.

Certaines métropoles ouvrent le chemin pour l'avenir. Rien ne sera possible si les maires ne sont pas reconnus comme légitimes à agir. Un autre défi est d'articuler long terme et court terme. Régulation de la mobilité, énergie, notamment dans les villes scandinaves et germaniques, santé et éducation, en particulier en Asie et en Amérique latine, tels sont les nouveaux champs d'action métropolitaine à développer. D'autres questions restent en suspens : pourra-t-on réduire les déséquilibres spatiaux et sociaux avec moins d'argent ? Comment articuler le local avec le global, choisir entre la ville à vivre ou la plateforme d'investissement ? Qui paiera la ville de demain et selon quel processus de contrôle démocratique ? Comment organiser les usages individuels et la régulation collective de la ville numérique ?

Aujourd'hui, le travail de l'urbaniste consiste à réparer ce qui a été fait par les urbanistes précédents. Souhaitons qu'un urbanisme plus ouvert et tourné vers l'avenir puisse voir le jour.

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