Intervention de Hélène Geoffroy

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 octobre 2016 : 1ère réunion
Troisième table ronde : « faut-il réformer les politiques dites de la ville ? mixité sociale et mixité fonctionnelle »

Hélène Geoffroy, secrétaire d'État chargée de la ville :

Monsieur le sénateur, cher Jean-Pierre, mesdames, messieurs, je suis convaincue que la diversité des intervenants à cette table ronde permettra de croiser les regards et d'enrichir le débat. Voilà encore peu de temps, j'étais députée-maire de la ville de Vaulx-en-Velin, connue pour les événements de 1990 qui ont amené François Mitterrand à nommer, pour la première fois, un ministre de la ville, en l'occurrence Michel Delebarre. En tant qu'élue locale, je connais donc la politique de la ville depuis ses débuts, ses réussites et ses difficultés.

Ville trop dense, trop étendue, trop haute, trop basse, trop polluante, trop consommatrice d'énergie, trop excluante, les discours et les pratiques se succèdent. Ville durable, développement économique et social plus harmonieux, ville connectée, intelligente, ville du savoir, pour diffuser et améliorer les connaissances, tels sont les vocables sur lesquels nous nous accordons aujourd'hui. Pour relever ces nouveaux défis, la politique de la ville a dû profondément changer durant les trente dernières années. Pour que la ville devienne durable, ses habitants ont dû subir ou apprécier, c'est selon, constructions, démolitions, reconstructions, visions d'urbanistes. Lorsque l'urbaniste cherche à réparer les erreurs du passé, comme le rappelait M. Lecroart en conclusion de son propos lors de la précédente table ronde, cela pèse sur les habitants. Alors que le centre-ville de Paris n'a guère bougé, des villes plus populaires ont connu des transformations drastiques qui ont conduit leurs habitants à s'interroger : faut-il forcément faire table rase du passé ? L'urbanisme doit-il prévaloir sur le bien-être des citoyens ? Je pose ces questions de manière volontairement caricaturale.

Pour certains, la mixité sociale consiste à substituer telle population à telle autre dans les villes populaires. Le passage d'un urbanisme vertical à un urbanisme horizontal n'est pas pour rien dans cette vision. Certaines villes ont vocation à accueillir toujours les plus pauvres, qui les quittent pour des quartiers plus favorisés une fois que, grâce à la politique de la ville et aux aides dont ils ont bénéficié, ils en ont les moyens. Ces deux conceptions se concurrencent et le débat reste vif entre élus locaux, urbanistes et sociologues.

La politique de la ville concerne 1 512 quartiers, avec un périmètre d'action identifié, appelé « géographie prioritaire », construit désormais sur un seul critère, celui de la concentration de personnes à bas revenus, c'est-à-dire significativement inférieurs à ceux de l'aire urbaine dans laquelle ces habitants vivent. Cela a fait émerger de nombreux territoires qui sont venus s'ajouter à ceux, plus traditionnels, de l'Île-de-France, de l'agglomération marseillaise ou de la banlieue lyonnaise. Sont ainsi apparus dans le prisme de la politique de la ville des communes auxquelles on ne pensait pas forcément : Fécamp, Auch, Thiers, Cannes ou Bourges. Derrière le critère de précarité, l'enjeu est celui du droit à la ville et du droit à une ville pour tous. Cohésion sociale, développement économique, cadre de vie et habitat, tels sont les sujets sur lesquels il fallait statuer. En 2014, la loi Lamy a introduit le critère du développement économique dans la politique de la ville. Le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, en cours d'examen au Parlement, aborde la question du peuplement en l'intégrant à la problématique de la mixité sociale.

La ville, ce ne sont pas seulement des bâtiments. C'est aussi la santé, l'éducation, et la culture de ceux qui l'habitent. On ne créera pas de cohésion sociale sans intégrer les politiques d'emploi, d'éducation, de santé et de culture dans nos quartiers populaires, là où le droit commun a fui parfois, quand la politique de la ville est arrivée. Quant au développement économique et à la création de richesses et d'entreprises, la loi Lamy les a inscrits comme allant de pair avec le renouvellement urbain. En ce qui concerne l'habitat, nous avons réussi à transformer certains quartiers populaires, grâce au premier programme de renouvellement urbain. Cela reste malgré tout insuffisant.

La question du logement, notamment celle du mal-logement, est devenue encore plus prégnante avec la nouvelle géographie prioritaire. Il ne s'agit pas seulement de transformer physiquement le bâti et de rénover les logements. Il faudra aussi travailler sur les équipements. Je crois fermement que la culture et l'éducation sont au coeur de la mixité sociale, car les enfants doivent se mélanger dans les écoles, fréquenter les mêmes salles de sport et avoir égal accès aux activités culturelles. Il suffit de renouveler les équipements publics d'une ville pour constater que les habitants restent et ne fuient plus les quartiers populaires. Certains reviennent, car ils sont restés attachés à leur quartier, même après l'avoir quitté. De nouveaux habitants arrivent. Si la sécurité garantit la tranquillité publique et empêche les incivilités, pour peu que la mixité scolaire fonctionne, les conditions d'une mixité sociale réussie sont réunies.

C'est dans nos quartiers populaires que le taux d'abstention aux élections est le plus élevé. Or, l'adhésion des habitants est indispensable pour mener à bien la transformation d'une ville. D'où les 850 conseils citoyens, qui existent depuis deux ans déjà, et qui rassemblent, dans la France entière, 15 000 personnes prêtes à travailler avec les élus. Je réunis leurs représentants, la semaine prochaine. Les citoyens ont un besoin de formation, mais les institutions et les élus doivent également revoir leurs pratiques et renouveler leur regard sur les habitants. En effet, ce sont les habitants eux-mêmes qui demandent la mixité sociale et la mixité fonctionnelle. Loin de vouloir vivre dans un « entre soi », ils souhaitent que les barrières s'estompent entre les quartiers favorisés et les quartiers populaires. Telles sont les préoccupations qu'ils sont en train de porter auprès des institutions, les élus locaux et les services de l'État.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion