Intervention de Olivier Meneux

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 octobre 2016 : 1ère réunion
Troisième table ronde : « faut-il réformer les politiques dites de la ville ? mixité sociale et mixité fonctionnelle »

Olivier Meneux, directeur du projet Médicis-Clichy-Montfermeil :

Je sais à quel point il a compté dans l'histoire de cette institution. Je me réjouis d'ailleurs de la participation à cette table ronde de Mme Yonnet, qui défend ardemment les mêmes causes. Voilà quelques années déjà que Claude Dilain parlait de cette mixité sociale et fonctionnelle que nous appelons de nos voeux et de la nécessité de mettre en place des politiques publiques transversales allant au-delà d'une logique de réparation. Le territoire de Clichy-Montfermeil est tristement représenté dans notre imaginaire depuis les émeutes de 2005. Il était pourtant déjà enclavé avant ces incidents, enfermé pour ainsi dire, faute de moyens de transport et de mobilité.

Le projet Médicis-Clichy-Montfermeil, dont je porte l'élaboration et le déploiement, pose des questions relativement équivalentes à celles qui émergent en matière de politique de la ville. La politique culturelle elle-même doit se réinventer, pour s'interroger sur son sens, son enjeu et sa mise en perspective. Le musée d'art contemporain du Val-de-Marne - Mac Val -, que M. Favier connaît bien, est un exemple très fort de ce qui peut se faire. Les institutions culturelles françaises souffrent de la logique de silo qu'on leur applique, en opérant un déploiement sans partage ni mixité. On leur assigne trop souvent un objectif de rayonnement, sans tenir compte de leur capacité à toucher et à rassembler les habitants. Or, on ne bâtit pas de projet culturel sans impliquer les populations. Le projet que je porte a été lancé voilà quelques années, puis abandonné. Repris depuis deux ans, il est aussi important et aussi urgent que la rénovation urbaine ou la création d'un métro automatique ou d'un tramway. D'où la nécessité de promouvoir des politiques reliées : politique de la ville, politique culturelle, politique des transports, politique éducative.

Il s'agissait, au départ, d'inventer un grand projet culturel d'ici à 2023 ou 2024. On ne peut pas en effet lancer un grand projet culturel à Clichy-Montfermeil sans que le territoire soit connecté. Je rappelle que le grand nord-est du Grand Paris compte près de 800 000 habitants. La question des transports reste essentielle. Le lien avec les habitants ne l'est pas moins. Paradoxalement, sortir de l'enclavement produit encore plus d'enclavement. Le territoire est en chantier permanent depuis dix ans et le sera encore pendant dix autres années. Je ferai un parallèle plutôt basique mais très éclairant : dans les six mois à venir, compte tenu des travaux d'excavation attendu, ce sera l'équivalent d'un semi-remorque qui sortira toutes les huit minutes de ce territoire pourtant difficile d'accès ; songez que les mouvements pendulaires auxquels doivent s'astreindre leurs habitants coûtent à ces derniers deux heures et demie de leur temps quotidien. Le temps de la politique de la ville, le temps du chantier et des réparations est aussi un temps sociétal, où le vivre-ensemble doit être pris en compte. D'où notre idée de monter un avant-projet culturel à défaut de pouvoir résoudre l'urgence. Nous sommes implantés à Clichy-sous-Bois et Montfermeil auprès des conseils citoyens, auprès des équipes de la politique de la ville. La logique d'archipélisation est révolue, l'heure est à l'interaction.

L'élaboration du projet se joue sur le temps court et le temps long. La temporalité, qu'évoquait Mme la ministre, est essentielle pour définir un projet de cette nature. Dans dix ans, nous nous lancerons dans une aventure de grande ampleur, aussi importante que le musée du quai Branly-Jacques Chirac ou que la Bibliothèque nationale de France. La violence n'est pas intrinsèque au territoire de Clichy-Montfermeil. C'est le regard que l'on porte sur cette zone qui introduit de la violence. Des gens venus de quatre-vingts pays différents y vivent placidement. La culture est une voie qu'on leur ouvre pour qu'ils trouvent de la fierté et de la joie. Bien sûr, il faut réparer : le projet de rénovation urbaine et les nouveaux contrats de ville participent de cette logique d'urgence. Le tristement nommé « Chêne pointu » est en rénovation urbaine permanente. Mais il faut également construire de la fierté pour la population, et cela passe par la culture, l'éducation et le social. Je ne sais pas si la mixité sociale se décrète. En revanche, on peut travailler la mixité fonctionnelle.

Les conseils citoyens sont une bonne initiative. Si la stratégie est la bonne, la politique doit être encore plus décloisonnante et interministérielle, pour éviter de répéter les pratiques qui relèvent d'une fonctionnalité par silo. Sur le terrain, la politique de la ville procède encore par saupoudrage, en séparant culture, éducation et logement. Je ne peux pas monter le projet Médicis-Clichy-Montfermeil sans collaborer avec la Société du Grand Paris, avec les conseils citoyens ou avec les associations relais.

J'ai voulu, par mon propos, apporter un témoignage de terrain. À Détroit, Chicago, Istanbul, Buenos Aires, Johannesburg ou Shanghai - j'en profite pour saluer la grande qualité de l'exposé fait sur les villes du monde lors de la précédente table ronde -, les artistes considèrent que Clichy-Montfermeil fait partie du Grand Paris. Il est intéressant de constater que les artistes se forgent d'autres représentations que nous : la frontière du périphérique n'existe pas pour eux. Voilà une piste d'espoir pour l'avenir.

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