Intervention de Philippe Hayez

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 octobre 2016 : 1ère réunion
Troisième table ronde : « faut-il réformer les politiques dites de la ville ? mixité sociale et mixité fonctionnelle »

Philippe Hayez, président de la première section Ville et logement, cinquième chambre de la Cour des comptes :

Je vous remercie, monsieur le sénateur, de vos propos de soutien à notre institution. Lorsque l'on appartient à un corps de contrôle a posteriori, on peut ressentir un léger vertige à être invité par la délégation à la prospective ; mais l'analyse du présent prépare bien sûr l'avenir.

La politique de la ville couvre un champ important et la Cour des comptes doit s'y intéresser, ne serait-ce qu'en raison de son impact sur les finances publiques. Le programme budgétaire n° 147, intitulé « Politique de la ville », intégré au sein de la mission « Politique des territoires », représente un peu plus de 400 millions d'euros, ce qui est apparemment peu par rapport aux objectifs fixés. Mais il existe également un document de politique transversale « Politique de la ville », qui fait apparaître un montant annuel de 4,4 milliards d'euros en crédits d'État, et dont la Cour estime le contenu perfectible. Nous oscillons donc entre quelques centaines de millions d'euros et près de 4,5 milliards.

Notre dernier rapport publié sur la politique de la ville date de février 2016. Tous les ans, la Cour des comptes examine les crédits budgétaires et élabore une analyse budgétaire du programme 147. Nous nous intéressons aussi, bien sûr, aux acteurs publics. Pour ce qui est de l'État et de ses opérateurs, je vous renvoie à cet égard au rapport public thématique que nous avons produit en juillet 2014 sur l'Anru, à la demande de votre commission des finances.

Nous portons aussi ce que j'appellerai un regard instrumental sur cette politique de la ville sans être encore parvenus à produire d'évaluation en la matière. Au début de l'année prochaine, nous publierons une évaluation sur le logement social.

En juillet 2012, la Cour avait donc produit un rapport intitulé La politique de la ville : une décennie de réformes. Insuffisance de pilotage, mauvaise articulation entre les opérations de rénovation urbaine et celles qui relèvent du volet social, répartition non satisfaisante des moyens sur le territoire et faible mobilisation des crédits des autres politiques publiques dans les quartiers de la politique de la ville (QPV) : telles étaient alors nos conclusions. Quatre ans après, la situation s'est améliorée, comme nous l'avons constaté dans le chapitre de notre rapport annuel paru en février 2016 qui revient sur le rapport de 2012 pour examiner ce qui s'est passé depuis. Il y a une meilleure association des parties prenantes. Les mécanismes de pilotage ont été relancés au niveau de l'État, sous l'impulsion des comités interministériels Égalité et citoyenneté et grâce à la création d'un commissariat général à l'égalité des territoires. Les fonctions territoriales déconcentrées sont, si je puis me permettre cette expression, en meilleur état. L'intercommunalité monte en puissance.

Le zonage des actions est moins dispersé qu'auparavant, avec un recentrage évident. Subsiste néanmoins une hétérogénéité entre le zonage des quartiers prioritaires de la ville et le zonage de certaines administrations, qu'il s'agisse du ministère de l'éducation nationale ou du ministère de l'intérieur, pour prendre deux exemples.

Faut-il un périmètre unifié ? Je vous laisse en débattre et y réfléchir. Il y a, en tout cas, une meilleure convergence à trouver.

Par ailleurs, nous avons toujours un problème d'identification des moyens, et pas simplement dans les documents budgétaires : les crédits de droit commun, ceux qui ne relèvent pas spécifiquement de la politique de la ville, sont encore assez difficiles à recenser au niveau de l'exécution. Se pose ici un problème de géo-référencement des bénéficiaires des crédits. On est au niveau microéconomique, micropolitique, dans le respect des lois, évidemment, et des libertés des citoyens. Il est important d'avoir une vision plus fine des dépenses publiques telles qu'elles s'appliquent dans notre territoire.

Les contrats de ville, en tout cas ceux dont nous avons observé la mise en oeuvre, donc ceux de la génération précédant les contrats actuels, manquaient encore trop souvent d'objectifs financiers.

Autre élément à noter, il y a eu un recentrage sur les six départements prioritaires. Peut-être est-il encore insuffisant mais, là aussi, il faut un peu de temps pour en juger.

Enfin, sous cet angle, la démarche d'évaluation, de bilan, de compte rendu, comme le disait précédemment le maire de Grenoble, reste insuffisante. Nous n'avons pas encore les moyens, nous allons trop vite, nous ne prenons pas le temps d'analyser les actions que nous avons conduites et financées avant de nous engager dans nos nouvelles initiatives. C'est ainsi que, même si les conventions interministérielles d'objectifs ont été signées, le dispositif d'audit et de contrôle interne, au sens large du terme - par exemple des crédits d'État versés aux associations -, nous a paru encore très insuffisant.

Nous attendons avec intérêt ce que le nouvel acteur qu'est l'Observatoire national de la politique de la ville va pouvoir produire en termes de capacité d'analyse et d'étude.

Sur les politiques particulières, nous avons regardé, dans le rapport auquel je fais allusion, trois politiques particulières.

La première, c'est la politique de rénovation urbaine. De ce point de vue, même si les choses ont évolué depuis, nous avions écrit que nous avions des incertitudes sur l'articulation entre l'ancien et le nouveau PNRU. Il y a des chevauchements. L'injection de crédits supplémentaires est certainement une bonne nouvelle, mais l'articulation est à soigner.

S'agissant de la politique en matière d'éducation, nous sommes assez positifs sur les améliorations portées au titre de cette politique dans les quartiers prioritaires. En quelques années, on a constaté une meilleure convergence entre l'éducation prioritaire et les quartiers de la politique de la ville. Il reste des progrès à faire dans le domaine du lien entre le scolaire, le périscolaire, le préscolaire. Nous l'avons écrit clairement.

Pour la politique de l'emploi, nous sommes beaucoup moins optimistes. Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu de progrès, mais les progrès à faire sont plus grands que dans le domaine de l'éducation. La territorialisation en cours de la politique de l'emploi mérite une analyse attentive. Les services de Pôle emploi nous sont apparus insuffisamment mobilisés dans les QPV, même si, là aussi, des assurances nous ont été données depuis.

Pour terminer sur ce document de février 2016, nous avons émis quatre nouvelles recommandations : mieux identifier les priorités et les crédits spécifiques et de droit commun dans les contrats de ville nouvelle génération ; mieux chiffrer les objectifs de mixité sociale dans les opérations de renouvellement urbain ; rééquilibrer les moyens de l'éducation prioritaire dans les QPV au profit de l'enseignement préscolaire et du premier degré ; enfin, fixer des objectifs chiffrés pour la mobilisation du service public de l'emploi au sein de ces quartiers prioritaires.

En conclusion, cette politique, dont nous ne sommes que les observateurs et dont vous êtes ici les responsables et les acteurs, nous paraît à la fois intéressante et complexe. Si vous le permettez, j'ajouterai à titre personnel quelques remarques sur la politique de la ville, du point de vue de l'observateur.

Premièrement, c'est une politique qui pose évidemment le problème classique de la clarté de définition de ses objectifs. Nous sommes dans une politique de cohésion sociale, de solidarité, ce qui pose à l'évidence certaines difficultés, mais, dans ce domaine comme dans d'autres, il faut aller plus loin dans la précision.

Deuxièmement, comme pour de nombreuses autres politiques, la politique de la ville pose le problème de la bonne association des parties prenantes au moyen des divers instruments contractuels qui ont été évoqués. Là aussi, nous sommes dans une difficulté classique à surmonter.

Troisièmement, se pose le problème de la mobilisation coordonnée de l'ensemble des instruments financiers, des outils de planification contractuels, mais aussi d'évaluation. Là aussi, rien de particulier à cette politique par rapport à d'autres politiques complexes.

En revanche, deux problèmes sont plus fortement spécifiques pour les théoriciens des politiques publiques. D'abord, c'est le problème du territoire et du zonage, évoqué précédemment au travers du concept de « l'ici et de l'ailleurs ». Est-ce le bon angle ? Naturellement, les citoyens habitent, vivent dans des territoires. Une politique dont le critère principal est la territorialisation répond-elle à toutes les questions qu'elle vise à résoudre ? Probablement pas, mais c'est une complexité particulière de cette politique.

Enfin, un problème tout à fait spécifique se pose, et la politique de la ville pourrait servir, de ce point de vue, de laboratoire des autres politiques publiques, celui de la mise en cohérence des politiques publiques, qui ne saurait se résumer à la réunion, régulière ou non, de comités interministériels, même sous la haute présidence du Premier ministre. S'attachant à rester dans son périmètre d'analyse dans sa publication de 2016, la Cour ne s'est pas penchée sur les politiques de transport, ni sur les politiques de sécurité publique, pour n'en citer que deux, mais il faudrait le faire, car nombre d'acteurs ont insisté sur l'importance de cette mise en cohérence de politiques qui peuvent s'ignorer, s'annuler, voire se contredire.

Je m'arrête en me permettant de vous signaler un travail qui n'est pas encore public, qui n'est pas le nôtre, mais qui devrait être très intéressant, je veux parler de la monographie que consacrera l'année prochaine l'OCDE à la France et à sa politique de la ville. On y trouvera des analyses de résultat montrant, malheureusement, les inégalités persistantes dans les quartiers, que ce soit sur le plan éducatif ou sur le plan de la sécurité, mais aussi un jugement assez nuancé, différent du nôtre, attestant qu'un certain nombre de choses avancent. Évidemment, j'imagine que l'OCDE fera aussi des recommandations.

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