Intervention de Axelle Lemaire

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 octobre 2016 : 1ère réunion
Quatrième table ronde : « la ville en réseaux »

Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique et de l'innovation :

Monsieur le sénateur, cher Jean-Pierre, mesdames, messieurs, je me réjouis de participer à ce colloque, qui réunit des intervenants variés autour du thème de la ville, dans un esprit d'ouverture et de curiosité. Dès lors qu'il s'agit de numérique et d'innovation, on pense bien sûr aux villes dites « intelligentes », traduction de l'anglais smart cities, et qui évoquent avant tout l'idée de connexions, de réseaux. Au fond, une ville intelligente est une ville connectée, de manière à la fois interne - objets, lieux, personnes - et externe, avec d'autres villes et d'autres territoires.

Les technologies numériques invitent à repenser l'espace, comme elles ont transformé notre rapport au temps en nous donnant l'impression de vivre dans l'instantanéité permanente, tout en ouvrant un potentiel de projection vers un avenir différent. On peut considérer qu'elles déshumanisent parce qu'elles créent une distance entre leurs utilisateurs, mais elles constituent aussi un outil de proximité qui, bien utilisé, favorise l'émergence de cycles de vies locaux, y compris en matière économique, en termes de production, de consommation, de redistribution. Le philosophe Olivier Mongin constate ainsi que la désintermédiation qu'elles répandent, puisqu'elles relient directement individus et entreprises et remettent en cause les intermédiaires traditionnels que sont les syndicats, ou même les responsables politiques, rend indispensable de créer de nouvelles formes de médiation au sein de la ville intelligente.

Je ne sais trop comment aborder le sujet des smart cities. D'un point de vue administratif, il relève, sur le plan national, de plusieurs ministères - logement, écologie, collectivités territoriales, économie -, sans que l'on sache exactement qui doit faire quoi. Il y a dans les territoires une forte appétence pour les expérimentations locales, voire une sorte de fantasme selon lequel on pourrait rendre hyperconnectée une ville moyenne, collecter un maximum de données, pour envisager, après analyse, de généraliser le résultat obtenu. Je suis mal à l'aise avec cette idée, car il y a, en matière de villes intelligentes, non pas de prêt-à-construire, de connaissances établies, mais uniquement des champs à appréhender un par un, et si possible dans toutes nos villes, pour aller vers un pays, voire un continent européen et même un monde, intelligent. D'ailleurs, on voit mal comment pourrait se dupliquer, à plus grande échelle, une réussite urbaine locale ; d'où ma prudence, même s'il y a, à l'évidence, beaucoup à faire.

C'est la raison pour laquelle l'intitulé de cette deuxième thématique - la ville du vivre-ensemble - me séduit, car l'ambition première d'une ville intelligente, son postulat de base, est d'abord de pouvoir vivre mieux, ensemble. Le développement du numérique est l'occasion de réinventer la ville. Nos agglomérations ont en effet été structurées essentiellement par défaut, pour faire face à l'exode rural créé par la révolution industrielle, avant de devenir, pour partie, tentaculaires. Résultat : souvent, nous subissons la ville avec toutes les conséquences négatives sur le plan du bien-être individuel et collectif. Le numérique nous offre l'occasion de penser une ville où il fasse bon vivre ensemble. Mes fonctions m'ont permis de découvrir des innovations, publiques comme privées, ouvrant des perspectives extraordinaires. Dans le domaine énergétique, par exemple, il s'agit de créer des réseaux moins centralisés, accueillant davantage d'autoproduction, par nature délocalisée. Les modes de prise de décision seront transformés par les civic tech, pour faire une plus grande place au dialogue politique et citoyen, et à l'écoute.

La condition de ces transformations est que tous les acteurs se saisissent des enjeux, et pas uniquement les acteurs économiques, qui, eux, ont rapidement compris leur immense potentiel. Maintien à domicile, santé, éducation, gestion des réseaux d'eau, d'électricité, écoconstruction, lutte contre le réchauffement climatique... La liste des progrès est infinie ! Mais les enjeux doivent être discutés publiquement et être pris en compte par les responsables politiques. Nous n'en sommes qu'au début du processus. Cela mérite éclairages et approfondissements. C'est, je crois, l'objet de ce colloque.

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