Intervention de Philippe Sajhau

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 octobre 2016 : 1ère réunion
Quatrième table ronde : « la ville en réseaux »

Philippe Sajhau, vice-président d'IBM France, chargé de l'initiative smarter cities :

Nous sommes d'accord. M. Sueur disait : « pour l'amour des villes » ; on est bien dans cette logique.

Le numérique n'est qu'un outil, qui va permettre de réaliser certains objectifs ; il ne s'agit en rien de créer une « ville technologique ». On sait bien que les tentatives entamées voilà une dizaine d'années - Songdo, Masdar - se sont au final révélées être des contre-exemples. Cet outil a pour objet d'améliorer la vie du citoyen, mais aussi de réduire la dépense des collectivités, car nous vivons dans un monde où l'argent public est rare. Il s'agit enfin de créer du développement économique, et donc des emplois. Mme la ministre a amplifié le mouvement de la French Tech ; bien souvent, ces termes désignent des gens qui s'emparent des données ouvertes dans chaque territoire par l'open data pour créer de nouveaux usages.

Le premier point d'entrée pour cette ville dite « intelligente » ou « durable », qui utilise le numérique, c'est la mobilité. Comment faire en sorte d'anticiper, de mieux connaître et d'utiliser tous les modes de transport possibles, y compris la marche ? Ainsi, on pourra mieux se déplacer. On a évoqué l'application Waze : il s'agit d'un très bon exemple. Ses auteurs se sont emparés de ces données. Certaines villes commencent à le comprendre : Chicago, Montréal, ou encore la communauté d'agglomération de Versailles Grand Parc qui, voilà une semaine, a conclu un accord avec Waze pour faire remonter ses données. La collectivité peut ainsi jouer son rôle naturel de tiers de confiance pour mixer les données privées et publiques et permettre l'utilisation de ces dernières. Cela est extrêmement important. Nous avions démontré qu'il était facile de prédire ce qui se passerait à une heure donnée de la journée, pour que les habitants de la banlieue puissent mieux faire face aux événements imprévus, comme lorsqu'un effondrement de caténaires a engendré une matinée d'enfer pour les usagers du RER A. Tout cela peut être amélioré grâce à de tels outils.

Le deuxième sujet important est celui de l'énergie. Toute la chaîne de valeur de l'énergie est en train de se déconsolider. Nous serons tous, bientôt, des « prosumers », à la fois des producteurs et des consommateurs. Le numérique enrichit considérablement le marché de l'énergie. On verra de plus en plus des quartiers et des ménages autonomes de ce point de vue, grâce à la baisse du prix du stockage énergétique et des panneaux solaires.

Enfin, je ne ferai que mentionner le sujet de la sécurité et de la gestion des risques. Là encore, il existe une très grande demande. L'année dernière, un sondage a été réalisé par la société Acteurs publics sur les sujets les plus importants pour la ville intelligente et les nouveaux outils technologiques : la gestion des risques était le deuxième sujet le plus évoqué.

Je souhaiterais, à ce stade, tirer quatre conclusions et profiter de votre présence à ce colloque pour vous soumettre, madame la ministre, trois requêtes.

Première conclusion : la participation des citoyens va se développer. Une étude du cabinet IDC a démontré que, en 2018, les applications seront fondées, à 75 %, sur des informations en provenance des particuliers - crowdsourcing - et, à 25 %, sur des informations commerciales.

Deuxième conclusion : cette évolution de l'utilisation des données va s'amplifier vers l'ensemble de ces thématiques. Il faut absolument que les élus la comprennent et la prennent en compte dans les projets qu'ils lancent. Le numérique peut changer la nature des projets : il faut comprendre comment.

Troisième conclusion : l'approche de la ville se fera systématiquement par des consortiums de grandes entreprises, de PME, de start-up et d'acteurs publics. Il n'y aura plus jamais un interlocuteur unique, car aucune société ne devrait arriver avec du prêt-à-construire.

Quatrième conclusion : j'insiste de nouveau, la collectivité doit demeurer un tiers de confiance pour les données et les initiatives.

J'en viens, madame la ministre, aux trois requêtes que je tiens tout particulièrement à vous soumettre.

La première concerne le grand emprunt et l'action « Ville de demain ». Vous avez rappelé le pointillisme qui préside à ces initiatives, communes à plusieurs ministères. Il serait important, à mes yeux, que les subventions apportées dans ce cadre soient simples et lisibles pour les collectivités et qu'elles soient dirigées non pas sur des constructions, mais avec un point d'entrée sur le numérique. Par exemple, il serait bon que tous les projets qui relèvent à plus de 40 % du numérique puissent être facilement fléchés par les collectivités.

La deuxième requête a pour objet les « infolabs », que l'on a vu surgir depuis quelque temps. Ils sont issus de la partie numérique des fab labs. Leur vocation est de faire voir aux citoyens les données issues de l'open data et de leur faire comprendre ce que l'on peut en faire. Ainsi, on pourra parvenir à une démystification des algorithmes, qui inquiètent aujourd'hui la population. Grâce au développement de ces infolabs, les gens comprendront mieux et auront moins peur ; c'est une idée qui mérite d'être creusée.

Enfin, en tant que membre du Syntec Numérique, je souhaiterais monter avec vous un forum pour partager les meilleures pratiques des villes intelligentes, forum qui serait soumis à une simple règle : la moitié des participants viendraient des métropoles, l'autre des villes moyennes, qui restent plus faiblement impliquées dans ce domaine.

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