Intervention de Jean-Baptiste Roger

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 octobre 2016 : 1ère réunion
Quatrième table ronde : « la ville en réseaux »

Jean-Baptiste Roger, fondateur de La Fonderie, agence publique numérique d'Île-de-France :

La ville durable, telle que je l'imagine, est une ville de potentialités, de connexions, de possibles. Elle permet à des citoyens engagés, tels les membres d'Enlarge Your Paris, de faire des choses, de mettre des données à la disposition des citoyens. Il faut dire aux gens que c'est possible, et non que c'est obligatoire, qu'ils ne sont pas en danger, qu'ils n'ont pas besoin d'être accompagnés et infantilisés. Qu'est-ce que sa ville, aujourd'hui, pour un Parisien de vingt-cinq ou trente ans ? C'est une ville de contraintes, c'est une ville qui est chère, c'est une ville qui n'est pas facile, c'est une ville qui est polluée et c'est une ville où, parfois, on s'ennuie ! C'est insensé, au vu de la densité de potentialités. On s'ennuie parce qu'on manque de possibles : on pourrait, mais on ne peut pas toujours.

Voilà pourquoi, à mes yeux, la smart city n'est pas une ville de protection, d'injonction, d'infantilisation ; c'est une ville de libération. Dans le monde du numérique - Axelle Lemaire le sait bien -, on a toujours un petit côté libertaire. Nous avons envie de tout changer, d'améliorer, mais nous voulons aussi qu'on nous laisse un peu faire, en marge. Cette vision moderne, geek, de la smart city exprime des idéaux libertaires : on veut faciliter le travail des innovateurs de terrain et, pour cela, on « openifie », on fluidifie. Et on finit par en tirer des conséquences pratiques sur les vraies et les fausses bonnes idées. Un devoir d'expérimentation, en définitive.

Je veux donner un dernier exemple. Au sortir de ce colloque, je retournerai sur un chantier auquel nous travaillons en ce moment, dans le XIIe arrondissement de Paris. Il s'agit d'une tiny house, d'une petite maison open source sur roues, que nous envisageons comme un « tiers-lieu ». L'inauguration aura lieu mardi prochain. Depuis deux jours que je suis sur le chantier, je vois passer des gens et j'entends leurs commentaires. Ancien étudiant en sociologie politique, je laisse traîner l'oreille pour essayer de comprendre ce qu'ils pensent de ce que nous faisons. Il faut un incroyable optimisme pour trouver que le système fonctionne bien. Aujourd'hui, on entend beaucoup de critiques : ça ne ressemble à rien, c'est laid, c'est en métal alors que ce devrait être en bois, c'est tout petit, etc. Pour d'autres, c'est intéressant, ça ouvre des possibilités : on pourrait aller soigner les migrants du XIXe arrondissement, donner l'une de ces roulottes à un grand enfant en soif d'autonomie... Bref, la vision « à moitié vide » est la plus fréquente, et ce pessimisme collectif est aussi la conséquence de cette infantilisation qui fait considérer les citoyens comme des incapables majeurs, maladroits, incapables de se fabriquer par eux-mêmes.

On pourrait donc continuer de protéger, de sécuriser ; je pourrais expliquer aux gens qu'ils n'ont rien à craindre de l'innovation et de leur propre avenir. Pour ma part, je préfère continuer à proposer des ouvertures, des potentialités, des rêves : je veux tuer l'ennui ! On ne théorise pas assez l'ennui, aujourd'hui, à mes yeux. Bien sûr, ce n'est pas le même ennui que dénonçait Pierre Viansson-Ponté en 1968, mais il n'en est pas moins réel, bien que multiforme. Si l'on devait inventer la smart city, il devrait s'agir d'une ville fluide, ouverte et maligne, qui facilite, même les plus petites choses, permettant, dès lors, à chacun de tuer l'ennui et de se fabriquer lui-même son rapport à la ville et à autrui.

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