Intervention de Jean-François Berthoumieu

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 21 octobre 2016 : 1ère réunion
Cinquième table ronde : « la ville végétale »

Jean-François Berthoumieu, directeur de l'association climatologique de la Moyenne-Garonne et du Sud-Ouest (ACMG) :

Je ne sais pas si l'on pourra aller plus loin pour nourrir la population, mais au moins le pourra-t-on pour mieux vivre ensemble. Parmi les objectifs qui sont définis dans le document que vous m'avez remis sur le travail de 2011, il me semble qu'il manque une référence à l'adaptation au changement climatique.

Je suis né en Haute-Garonne, à Revel ; je travaille à Agen où je dirige une association climatologique, après avoir fait des études à Toulouse et être parti pour le Canada. Dans ce pays, en 1980, on parlait déjà de l'impact du changement climatique sur la production de blé en Alberta. Je suis rentré vers 1981-1982 en France et je n'ai pas pu trouver de poste de recherche sur l'adaptation au changement climatique parce que, à l'époque, mes professeurs disaient que c'étaient les taches solaires qui étaient responsables de la modification du climat. La France a opté pour le tout-nucléaire et, pour ma part, j'ai abandonné ma voie pour devenir technicien dans une association réunissant une centaine d'agriculteurs qui nous permettaient de collecter de la donnée.

Tant que nous étions subventionnés par le conseil général et que nous faisions un travail local, le système fonctionnait bien, avec une dizaine de personnes. Puis les subventions diminuant, nous avons créé une entreprise, Agralis. Celle-ci vend du savoir-faire en matière de pilotage de l'irrigation et de gestion de l'eau à la fois pour l'agriculture, mais également pour des jardins ou des espaces plus importants.

En 2007, nous avons pensé que tout ce que nous savions en ce qui concerne l'agriculture devait être transmis à la ville, qu'il fallait travailler pour la ville. C'est pourquoi, en 2016, je participe, au Sénat, à un colloque consacré aux prospectives urbaines. Alors j'aimerais juste laisser un message : la ville comme la campagne doivent s'adapter ensemble à ce changement climatique.

Je participe également au Cluster Eau et adaptation au changement climatique, que le sénateur Henri Tandonnet a animé dans son versant eau. C'est grâce à ce travail sur l'eau qu'il a poursuivi au Sénat avec son collègue Jean-Jacques Lozach que je me retrouve aujourd'hui parmi vous.

Le vent d'autan souffle à Toulouse et nous ramène de l'air chaud venant d'Espagne qui s'assèche en traversant les Pyrénées. Quand il fait chaud à Toulouse, au moins il y a du vent. Bordeaux, elle, reçoit la brise océanique. Agen, c'est la patate chaude au milieu : le climat est meilleur à Toulouse et à Bordeaux qu'à Agen, où, en l'absence de vent, il fait très chaud. C'est pourquoi on réfléchit depuis longtemps à l'adaptation au changement climatique dans ce secteur.

Un PowerPoint est projeté.

Voici une image d'Agen. En matière de télédétection, nous avons développé une technologie qui nous permet de constater que, quand un végétal souffre de la chaleur, sa température monte, et que, quand il a assez d'eau, sa température baisse. On observe ainsi des différences de température d'une vingtaine de degrés entre des secteurs industriels, des champs de maïs, de blé, des bois. Le parc de la préfecture est frais, la gare et le quartier de Montanou sont chauds. À un instant donné, les températures qui règnent sur la ville varient d'une quinzaine de degrés d'un endroit à l'autre.

Sur la communauté urbaine de Bordeaux, le nombre d'heures passées au-dessus de 30°C peut être dix fois, voire cent fois, supérieur à certains endroits comparés à d'autres. D'où un coût énergétique beaucoup plus important pour se maintenir sous cette température.

J'aimerais vous montrer que la campagne et la ville sont en lien. Pour ma part, je préfère vivre à côté d'un champ de maïs irrigué qu'en aval d'une zone de parkings, chaude, ou à côté de la gare, minérale.

Des étudiants en Master 2 nous aident pour traduire ces observations scientifiques en quelque chose de compréhensible par tout le monde, y compris les politiques.

Sur la diapositive qui s'affiche à l'écran, on distingue deux zones à Agen : une zone de parkings, où la température de surface, le 9 août 2003 à douze heures trente, est supérieure à 45°C ; et une zone de vergers de kiwis, où, au même moment, la température n'est que de 30°C. Ne peut-on pas réfléchir à ce que faisaient les anciens, les civilisations antiques, qui vivaient au milieu de l'eau ? Dans l'Antiquité, chaque habitant de Rome pouvait disposer d'un mètre cube d'eau par jour. Aujourd'hui, on veut économiser sur les 128 litres de la consommation moyenne quotidienne.

Dans le cadre du projet Adaptaclima, financé par l'Europe, nous avons pu observer l'évolution du nombre de jours au cours desquels la température a dépassé 30°C à Agen depuis 1951, date du début de nos relevés. Nous avons constaté que, dans les années soixante et soixante-dix, quand il faisait sec, comme en 1964 ou en 1976, ce nombre de jours était supérieur à la moyenne. Aujourd'hui, presque toutes les années enregistrent des moyennes supérieures à celles de ces deux décennies.

Après 1976, il a fallu attendre une dizaine d'années pour retrouver un rythme régulier. L'année 2003 a été exceptionnellement chaude : plus de 35°C ; l'été fut très sec, bien qu'un peu moins qu'en 1976.

Aujourd'hui, les conditions observées en 2003 surviennent régulièrement et nous prévoyons qu'elles se situeront dans la moyenne de ce que nous allons vivre.

Les données pluviométriques, quant à elles, n'ont pas varié, même si les minima ont légèrement augmenté. Compte tenu du changement climatique, il fait plus chaud et la demande en eau est plus importante ; en revanche, la ressource en eau naturelle, celle de la pluie, est toujours la même, voire légèrement supérieure.

Dans ces conditions, à quel futur faut-il s'attendre pour la ville ? Sera-t-elle toujours plus chaude ? En tout état de cause, mieux vaudrait appliquer les principes de l'écologie méditerranéenne et non pas ceux de l'écologie anglo-saxonne nordique, qui fait aujourd'hui la loi. Notre loi sur l'eau est inspirée d'un esprit anglo-saxon nordique : je ferme le robinet en attendant que le niveau de la Tamise remonte. Dans l'esprit romain et méditerranéen, avant de faire construire ma maison, je fais aménager un réservoir pour y stocker l'eau et l'utiliser quand il ne pleut pas et quand il fait chaud.

Il a été question des bactéries. J'aimerais que celles-ci, pendant la journée, deviennent toutes blanches pour réfléchir le soleil quand il fait chaud afin qu'il fasse moins chaud contre les murs ; en revanche, pendant l'hiver, quand la température est basse, j'aimerais que ces bactéries absorbent le soleil et permettent aux murs de réchauffer la ville.

Cela dit, il faut augmenter les surfaces de végétation irriguée. Certes, on ne peut pas planter du kiwi et du maïs partout, pourtant, je viens de l'entendre, on peut planter des arbres. Dans les régions où les arbres reçoivent de la pluie régulièrement, c'est bien ; dans celles où ils n'en reçoivent pas, il faut prévoir un système d'irrigation, une ressource en eau, pour leur permettre de survivre et de faire fonction de climatiseur, car les feuilles, en absorbant de l'énergie solaire, vont faire baisser la température jusqu'à dix degrés, dégager de la vapeur d'eau dans l'air en diminuant d'autant les volumes d'ozone, responsable de nombreux décès en 2003. De fait, je préfère respirer la vapeur d'eau produite par ces arbres ou des terrasses végétalisées qui pourraient être irriguées par des vignes vierges montant le long des arbres. Le but est de réduire les besoins en climatisation, lesquels augmenteront nécessairement avec le changement climatique, en privilégiant le lien ville-campagne pour que celle-ci climatise celle-là, en plus de la nourrir.

Ce matin, la carte de Paris m'a sauté aux yeux. Les quartiers chics sont situés là où arrive le vent frais de la Manche ; ils ne sont pas à l'Est, là où souffle l'air chaud dans des conditions anticycloniques.

L'idée est également de favoriser les déplacements à pied et à vélo au milieu d'espaces verts. Voilà deux ans, dans le cadre d'Adaptaclima, les scientifiques ont expliqué que parcourir à pied, chaque jour, trois kilomètres au milieu d'espaces verts ferait économiser 1 000 euros à la sécurité sociale. Si ces espaces verts sont en même temps irrigués, ils auront une fonction de climatisation et on consommera donc moins d'énergie.

Comment s'adapter ? En appliquant les principes d'une écologie méditerranéenne, en stockant l'eau : comme le fait le monde paysan, il faut que la ville stocke de l'eau, à hauteur d'environ 200 litres par mètre carré, car 200 millimètres d'eau disponible pendant l'été, cela permet de réduire l'amplitude thermique de 4°C, ce qui équivaut à peu près à l'élévation de températures attendue. Il faut aussi économiser et stocker l'eau lorsque la température ne dépasse pas 33°C ou 34°C pour que, les jours où il fait plus chaud, cette eau ainsi disponible, y compris les eaux usées retraitées, fasse office de climatisation.

Enfin, pour s'en tenir à la qualité de vie et à la qualité de vue, je prouve par l'image qu'une terrasse végétalisée c'est bien mieux que des toits de tuiles qui, en plein été, chauffent à 55°C.

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