Je suis toujours extrêmement séduit par vos dessins, monsieur Schuiten. Votre imagination est extraordinaire. Notre projet le plus fou, mené avec Édouard François, est la tour M6B2, construite par Paris Habitat, un bâtiment « vert » près de la porte d'Ivry à Paris, dans le quartier Masséna, où nous avons installé des arbres à trente ou cinquante mètres de hauteur, en plein vent ; un défi technique et biologique, puisque le milieu « hors-sol » leur est hostile. Nous avons mené un protocole d'expérimentation avec l'École du Breuil, l'école d'horticulture de la ville de Paris, pendant quatre ans, dans le bois de Vincennes.
Les plantes, en réalité, aiment les milieux pauvres. J'ai coutume de dire qu'elles développent des addictions : plus on leur en donne, plus elles en prennent, si je puis dire. La violence fait partie de leur vie. Les arbres plantés sur cette tour préfèrent les sols pauvres, constitués de sable et de terreau, aux sols trop riches. Les premières années, ils construisent un tissu de racines profond qui les rend résistants aux pannes d'arrosage.
Ces milieux pauvres, qui contraignent les plantes à déployer des trésors d'inventivité et de ressources pour s'adapter, trouver des subterfuges, des remèdes, créent plus de biodiversité, ce qui peut être difficile dans un milieu humide ou très irrigué, où une espèce s'impose aux autres. C'est ainsi que, dans nos forêts françaises, le chêne en arrive à dominer tout le reste. Le typha fait de même au sein des jardins aquatiques.
En ce domaine, le contraste entre richesse et pauvreté est parfois moins évident qu'il n'y paraît.
Échanges avec la salle.