Je tiens tout d'abord à vous présenter les excuses de la directrice générale de la création artistique qui n'a pas pu participer à cette table ronde ce matin. Je m'inscrirai dans la continuité des orateurs précédents et j'aborderai deux sujets qui concernent le rééquilibrage territorial.
S'agissant de la création et de la diffusion artistiques, la décentralisation constitue une question centrale. Lorsque nous avons envisagé d'accentuer la décentralisation, nous nous sommes toujours heurtés à une difficulté. Cette politique est déjà décentralisée ; elle l'est fondamentalement et depuis l'origine, car les aventures artistiques sur les territoires sont d'abord le fruit de rencontres d'élus - principalement des maires de villes de toute taille - avec des professionnels. Le socle de la politique de création et de diffusion artistiques reste communal. Les lois qui ont réorganisé les territoires, et notamment l'essor des groupements de communes, modifient ces équilibres cinquantenaires, mais ce sont souvent les élus et les professionnels qui sont allés chercher l'État dans la construction des équipements et des dispositifs.
Les centres dramatiques nationaux constituent un exemple frappant de ce mouvement. Je me dois de citer le sénateur Jack Ralite qui raconte que, lorsqu'il s'est rendu pour la première fois au ministère d'André Malraux pour parler du théâtre de sa commune d'Aubervilliers, il en est ressorti avec quelques projecteurs ... Dans le champ des arts plastiques, c'est également le cas des centres d'art. La carte des centres d'art en France ne s'explique que par ces rencontres. L'un des plus anciens centres d'art de France est celui de Meymac, un bourg de 2 500 habitants en Corrèze, dont l'existence découle de la rencontre du maire de Meymac avec la petite-fille du peintre Bissière qui y travaille toujours.
Il existe un cas hybride sur lequel je m'arrêterai quelques instants. Il s'agit des écoles territoriales d'art, pour lesquelles je nourris quelque inquiétude. Elles trouvent leur source dans une histoire, qui reste d'ailleurs en partie à écrire, d'aménagement culturel du territoire depuis la fin du XIXe siècle. Ces écoles sont principalement situées dans les chefs-lieux de département et sont majoritairement financées par les villes ou leurs groupements, acteurs que l'on n'attend pas en première ligne pour les établissements d'enseignement supérieur. Historiquement, ces écoles ont constitué en quelque sorte le premier acte du « redressement productif ». Dès le Second Empire, des écoles de dessin et d'arts appliqués ont été créées partout en France pour rattraper le retard vis-à-vis de la révolution industrielle. Ce chantier mérite d'être examiné sérieusement aujourd'hui.
Dans le champ de la création artistique, il existe également des exemples d'aménagement culturel du territoire volontaristes de la part de l'État depuis la création du ministère de la Culture et de la communication. Nous pensons bien sûr aux maisons de la culture, qui sont aujourd'hui principalement des scènes nationales. Les maisons historiques de Bourges, Amiens ou Grenoble résultent avant tout de rencontres de maires et de professionnels avec l'État. Je citerai aussi le cas des villes nouvelles. Catherine Tasca a contribué à ce sujet à sa sortie de l'École nationale d'administration (ENA). Dans chaque ville nouvelle, il était ainsi prévu d'emblée la création d'une scène nationale.
Les FRAC, quant à eux, ont fonctionné jusqu'à présent sur la base de circulaires, ce qui démontre la continuité de l'engagement des élus dans ces politiques. À quelques anicroches près, les FRAC se sont maintenus sur la base d'une lettre écrite par le ministre Jack Lang aux présidents de région. La loi LCAP a consolidé les FRAC, comme les centres d'art, avec des labels. Pour autant, l'originalité de ces politiques publiques n'est pas modifiée ; elle vient du financement. Pour la création, les premiers financeurs dans les territoires sont les collectivités, ce qui prouve que ces politiques sont bien décentralisées.
Par conséquent, tout effort de rééquilibrage territorial vers des territoires moins bien équipés culturellement ne peut pas venir d'en haut de façon autoritaire, y compris de la part des régions. Il doit s'inscrire dans des schémas de co-construction. Se pose dès lors la question des compétences. La politique de financements croisés qui a fait ses preuves depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale diffère en cela de la démarche entreprise dans les lois de décentralisation. Aujourd'hui, une région ne peut pas décider de supprimer son soutien aux lycées, puisque cela fait partie de ses compétences obligatoires. En revanche, si demain une région n'est pas intéressée par un FRAC, elle est entièrement protégée par le principe constitutionnel de libre administration et l'État ne pourra pas agir. Le centre d'art de Quimper, reconnu nationalement et internationalement, constitue le dernier exemple en date. La municipalité, comme elle en a d'ailleurs le droit, n'a pas souhaité confirmer son engagement, et rien n'y a fait, en dépit des réactions nombreuses. Nous pourrions donc voir demain des établissements anciens fermer, se transformer ou être délocalisés.