J'aborderai une question d'actualité, qui concerne de nombreuses personnes ; je veux parler de l'introduction de l'action de groupe en droit français.
Le 30 novembre 2005, le Conseil de la concurrence a condamné Orange, SFR et Bouygues Télécom à une amende record de 534 millions d'euros pour une entente dont ont été victimes près de 30 millions de personnes, soit un Français sur deux.
Or, deux mois plus tard, l'action de groupe n'étant pas prévue dans notre droit, force est de constater que cette lacune législative va vraisemblablement conduire à un déni de justice. En effet, en l'état actuel du droit, l'action des victimes ne peut être qu'une juxtaposition d'actions individuelles avec mandats. C'est une procédure inadaptée à la réparation des dizaines de millions de consommateurs victimes de ces opérateurs ou d'autres entreprises.
Auteur de la saisine du Conseil de la concurrence, l'UFC-Que Choisir a ouvert un site, cartelmobile.org, qui permet aux consommateurs de calculer le préjudice subi. Près de 20 000 personnes se sont déjà manifestées pour engager une action en justice. Compte tenu de l'ampleur des dossiers, les juges d'instance craignent un encombrement massif des tribunaux et des difficultés de gestion. Ces 20 000 personnes ne représentent que 0, 1 % des millions d'abonnés victimes de cette entente. Seule l'action de groupe permettrait de sortir de l'impasse.
Souhaitée par le Président de la République lors de la présentation de ses voeux en janvier 2005, la mise en place de cette procédure dans le droit français tarde à voir le jour. Un groupe de travail a été constitué afin de proposer des pistes de réflexion en vue d'une éventuelle réforme. Or, faute d'unanimité, aucune piste n'a été avancée.
Les choses sont pourtant plus simples qu'il n'y paraît. Deux options sont envisagées : les options d'inclusion et d'exclusion, plus connues sous les appellations opting in ou opting out, anglicismes que je réprouve, mais qui s'expliquent compte tenu de l'origine de ces procédures.
Or les avis d'éminents juristes convergent pour souligner que l'option d'exclusion est la plus efficace. Elle seule permet aux victimes d'avoir un réel accès à la justice, garantissant ainsi une protection et une réparation effectives à l'ensemble des consommateurs lésés par des pratiques abusives ou illicites. Elle offrirait, par ailleurs, une protection réelle à toutes les personnes victimes de pratiques illicites d'un même professionnel dispersées dans l'espace et dans le temps, dispersion rendant pratiquement impossible la chance de recueillir leur mandat pour agir.
En effet, l'option d'inclusion nécessite que les personnes concernées manifestent expressément leur volonté d'intégrer le groupe. Elle évince donc tous ceux qui renoncent à agir par crainte, par difficulté ou, plus simplement, par manque d'information.
Enfin, ce mécanisme est ingérable pour les avocats et les tribunaux lorsque le nombre de victimes est important.
L'option d'exclusion, quant à elle, permet d'englober l'ensemble des victimes. Une seule personne agit pour le compte du groupe et saisit le tribunal. Les membres du groupe ne se font connaître qu'à l'issue de la procédure sans encombrer les juridictions de leurs demandes individuelles et gardent la possibilité, à tout moment, de s'exclure de la procédure.
Plus d'une soixantaine de parlementaires - je ne suis pas la seule ! - ont déjà demandé au Gouvernement, par le biais de questions écrites ou orales, de bien vouloir introduire cette possibilité dans notre droit. J'ai appris que la commission des lois procèdera dès demain à des auditions sur la question de l'action de groupe.
Cette réforme procédurale majeure est décriée par certains comme une américanisation ou une judiciarisation de notre droit. Pourtant, les exemples portugais et canadien démontrent qu'une action de groupe peut être démocratique, équitable et efficace, c'est-à-dire protectrice des consommateurs, tout en évitant les dérives.
Le 17 janvier dernier, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a annoncé le dépôt d'un projet de loi au cours du premier semestre de 2006.
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre afin de respecter les engagements du Président de la République et, surtout, de répondre aux attentes des consommateurs pour assurer leur protection ?