Intervention de Élisabeth Lamure

Délégation sénatoriale aux entreprises — Réunion du 3 novembre 2016 à 8h30
Compte rendu par mme élisabeth lamure du déplacement de la délégation à bruxelles sur le thème de la simplification des normes le 20 octobre 2016

Photo de Élisabeth LamureÉlisabeth Lamure :

Nous allons vous présenter, avec mes collègues Nicole BRICQ, Sophie PRIMAS, Henri CABANEL, Antoine KARAM et Jean-Pierre VIAL, le compte rendu du déplacement de la Délégation aux entreprises à Bruxelles, sur le thème de la simplification des normes, qui s'est déroulé le 20 octobre 2016. En effet, l'Union européenne (UE), qui est à la source d'une part importante des règles qui encadrent la vie de nos entreprises, est engagée dans le mouvement de simplification déjà initié par plusieurs grands États de l'UE. Après nos précédents déplacements à Stockholm, Berlin et Hambourg, nous avons souhaité nous rendre à Bruxelles pour y rencontrer les principaux acteurs impliqués dans le mouvement de simplification, à savoir la Commission européenne et le Parlement européen. Nous avons également rencontré l'organisation Business Europe qui représente à Bruxelles les entreprises européennes. Je dois vous dire que, malgré toutes les initiatives dont on a pu nous parler dans la journée, on sent encore une certaine lourdeur administrative peser à Bruxelles. Je ne sais pas ce qu'en diront mes collègues...

Nous avons d'abord pu échanger avec le secrétaire général adjoint de la Commission, Jean-Éric PAQUET. La Commission européenne détient dans l'Union européenne le monopole de l'initiative législative : à ce titre, elle est un maillon essentiel pour améliorer le droit européen et alléger la charge qu'il représente. Depuis plus de dix ans, la Commission affiche cette préoccupation d'améliorer la législation et la partage officiellement avec les autres institutions européennes, Parlement européen et Conseil des ministres : ensemble, ces trois institutions ont signé, à cette fin, un accord interinstitutionnel en 2003 pour « mieux légiférer », et l'ont réactualisé en avril dernier.

Le Parlement européen a élu Jean-Claude JUNCKER Président de la Commission européenne, dont le projet politique peut se résumer ainsi : une Europe visible dans les grandes choses, et discrète dans les petites. C'est dans cet esprit que M. JUNCKER a nommé Franz TIMMERMANS vice-président de la Commission européenne, chargé de l'amélioration de la législation. On peut observer que l'objectif affiché est donc la qualité de la norme européenne plutôt que la simplification en elle-même.

M. PAQUET nous a présenté l'arsenal déployé par la Commission depuis cette nouvelle impulsion politique donnée en 2014 à travers trois axes : la simplification du droit en vigueur, la réduction du flux de nouvelles normes européennes, l'amélioration de la mesure de l'impact de toute initiative législative ou réglementaire.

Concernant la simplification du droit en vigueur, la Commission a lancé en 2007 un programme d'action pour une réglementation affûtée et performante, désigné par l'acronyme anglais « REFIT ». Ce programme REFIT a pour objet de s'assurer que les actes législatifs de l'UE produisent les avantages attendus. Ce programme vise également à rendre la législation de l'UE plus simple et plus facile à comprendre. Depuis son lancement, la Commission indique avoir pris 200 initiatives de simplification, dont la moitié sur les deux dernières années. Dans le même temps, le corpus législatif européen a aussi été réduit par la suppression de 32 actes législatifs obsolètes. Il est prévu d'abroger encore 16 actes législatifs en 2017.

Sous l'impulsion de la Commission JUNCKER, un nouvel élan a été donné : la Commission a créé en 2015 la plateforme REFIT. La plateforme REFIT permet aux autorités nationales, aux entreprises, aux citoyens et aux autres parties intéressées de contribuer à l'amélioration de la législation européenne. Ils peuvent formuler des suggestions sur la manière de réduire la charge réglementaire et administrative qui découle de la législation européenne. La plateforme REFIT est en prise directe avec le collège des commissaires via le vice-président TIMMERMANS ; son ancêtre, le groupe STOIBER, groupe de haut niveau créé en 2007 pour réduire la bureaucratie, était placé auprès d'un seul commissaire, ce qui a évidemment limité son écho. Une centaine de contributions ont été déposées sur la nouvelle plateforme en ligne : peu de contributions françaises jusqu'à présent. Nous avons tout intérêt à informer les entreprises françaises de l'existence de cette plateforme, car la Commission dit avoir besoin de retours du terrain et entend les examiner attentivement. M. PAQUET a cité à ce titre l'exemple du Danemark, où toute entreprise peut signaler à l'administration une difficulté avec les règles en vigueur et où l'administration lui répond systématiquement. La Commission européenne n'en est pas encore là. Et je trouve difficile de se faire une idée précise de l'avancée de la simplification à l'échelon européen. La Commission est d'ailleurs bien prudente sur le chiffrage de la réduction effective de la charge bureaucratique.

C'est sans doute en matière de réduction du flux de nouvelles réglementations que le progrès est le plus net : les travaux de la Commission européenne s'inscrivent dans le cadre d'orientations politiques ciblées concernant les grands défis (emploi, migration, sécurité, numérique, énergie). Chaque année, des mesures concrètes au service de ces orientations sont définies dans un programme de travail ciblé. Alors que la Commission proposait sous son mandat précédent (2009-2014) environ 130 initiatives en moyenne chaque année, elle n'en proposait plus que 23 en 2015 et autant en 2016. Pour l'année 2017, la Commission vient d'annoncer 21 initiatives seulement. Cela traduit un recentrage de l'action européenne, qui se voit aussi dans la diminution du nombre des propositions législatives découlant de ces initiatives : en 2011, la Commission proposait 159 textes législatifs, alors qu'elle n'en a proposé que 48 en 2015.

En plus, sur ces deux dernières années, la Commission a retiré de la table de négociation 90 textes devenus obsolètes ou qui ne progressaient pas dans le cadre du processus législatif. Elle vient d'annoncer encore 19 retraits de textes pour 2017.

Le troisième souci affiché par la Commission est de mieux mesurer l'impact de toute initiative réglementaire : l'amélioration de la réglementation nécessite de la fonder sur des données probantes. C'est pourquoi, avant de proposer une nouvelle législation, la Commission procède à une étude d'impact ainsi qu'à des consultations. Depuis 2003, elle a ainsi préparé 975 analyses d'impact à l'appui de ses propositions et mené à bien 688 évaluations. Depuis 2010, elle a aussi organisé 704 consultations publiques ouvertes.

Le secrétaire général de la Commission a jugé les études d'impact difficiles et contraignantes mais il a reconnu qu'elles obligeaient la Commission à approfondir l'analyse en amont de sa proposition législative, ce qui est finalement de nature à l'aider dans la négociation avec le Parlement européen et le Conseil. L'étude d'impact est réalisée par les services de la Commission. Même s'ils peuvent s'appuyer sur des études externes privées, les modèles économétriques utilisés dans les études d'impact sont internes à la Commission.

La première question à laquelle doit répondre l'étude d'impact est : pourquoi veut-on légiférer ? Y répondre implique de bien considérer le droit existant, de bien analyser l'objectif poursuivi, d'examiner d'autres options, y compris celle de ne pas agir, de justifier l'abandon de ces autres options, d'examiner l'impact en termes économiques, sociaux, environnementaux, mais aussi au regard des droits fondamentaux, des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Selon M. PAQUET, il faut dix-huit mois environ pour réaliser l'étude d'impact.

Un contrôle de qualité des analyses d'impact de la Commission a été mis en place fin 2007 : un Comité d'analyse d'impact a ainsi été créé au sein de la Commission. Depuis le 1er juillet 2015, il a été remplacé par un Comité d'examen de la réglementation (Regulatory Scrutiny Board), dont nous avons rencontré la présidente, Mme Anne BUCHER, qui est française. L'objet de ce comité a été élargi : il est chargé de vérifier la qualité des études d'impact, mais aussi d'évaluer la législation existante. Par ailleurs sa composition a changé : le précédent comité comprenait les directeurs de la Commission, et reposait donc sur un jugement entre pairs ; le présent comité compte 7 membres, tous nommés par la Commission européenne, dont 3 sont des experts extérieurs, et le mandat de chaque membre est de 3 ans non renouvelable. Bien qu'interne à la Commission, ce comité est donc relativement indépendant.

Certains États membres plaident néanmoins pour sortir ce comité de la Commission et le rendre commun à la Commission, au Conseil et au Parlement européen. Toutefois ce n'est pas l'option qui a été retenue. Le Parlement commence d'ailleurs à faire ses propres évaluations. Nous avons rencontré des fonctionnaires de la Direction générale créée à cette fin il y a trois ans au Parlement européen, par agrégation de services existants mais aussi par le recrutement de scientifiques ou d'économistes semi-permanents. Ce service de recherche compte ainsi 340 personnes, dont une centaine de chercheurs. Il rend un avis public sur les études d'impact qui accompagnent les propositions législatives de la Commission ; il peut aussi évaluer les amendements substantiels qui sont apportés durant l'examen législatif de ces propositions, mais cela prend au moins six mois car ces évaluations de l'impact économique des amendements sont externalisées. De plus en plus, le service de recherche du Parlement européen évalue aussi la mise en oeuvre des législations adoptées. Au total, c'est un budget d'environ 10 millions d'euros que le Parlement européen consacre aux études. Le Conseil des ministres, pour sa part, ne développe pas encore son expertise, bien que l'accord interinstitutionnel d'avril 2016 l'y engage.

Mme BUCHER juge préférable de maintenir le comité d'examen de la réglementation au sein de la Commission car cela lui garantit un accès plus facile aux données internes de la Commission, ce qui est important au regard de sa position dans le processus d'élaboration de la norme européenne.

Elle nous a fait part des difficultés que rencontrait le Comité pour évaluer la qualité des études d'impact : premièrement, la définition des coûts à considérer reste encore sujette à discussion. Il n'y a pas encore d'approche standard au sein de la Commission sur la quantification des coûts : faut-il mesurer les coûts strictement administratifs ou bien, plus largement, les coûts de mise en oeuvre de la réglementation ? Faut-il surveiller les coûts ou la balance coûts/bénéfices ? Par ailleurs, l'Union européenne peine à calculer les coûts, faute de données. En effet, les États membres n'ont pas d'obligation de transmettre à la Commission les données qui permettraient de mesurer les coûts. Même l'industrie, qui demande souvent de quantifier, refuse parfois de coopérer pour documenter le calcul des coûts.

Le comité d'examen de la réglementation peut aussi s'appuyer sur le Centre commun de recherche de la Commission : ce centre compte 2 à 3 000 chercheurs couvrant tous les secteurs ; il est capable de construire des données et d'élaborer des scénarios. Il se trouve de plus en plus impliqué dans les études d'impact.

Si le comité d'examen de la réglementation rend un avis négatif sur l'étude d'impact, ce qui arrive dans presque la moitié des cas, les services de la Commission peuvent soumettre une nouvelle version. Il est arrivé, il y a deux ans, qu'un second avis négatif soit alors donné. Le collège des commissaires peut décider de s'écarter des recommandations du comité mais, selon M. PAQUET, les commissaires sont peu enclins à le faire. Il arrive que les études d'impact fassent l'objet de nombreuses discussions, comme ce fut le cas pour la taxe sur les transactions financières (l'étude d'impact avait conclu qu'il aurait mieux valu taxer l'activité bancaire). Tous les avis du comité sont publiés en même temps que l'étude d'impact et la proposition de législation afférente. Le Conseil est d'ailleurs tenu de regarder l'étude d'impact avant d'entamer la discussion du texte sur le fond.

Pour nourrir le processus de maturation d'une proposition législative, la Commission fait aussi valoir qu'elle procède à des consultations à chacune des différentes étapes. La Commission réalise des consultations au moment où elle élabore son programme de travail, puis, pour chaque initiative programmée, sur la feuille de route. Au cours de l'élaboration de chaque proposition législative, elle procède par consultation publique générale, puis par des consultations ciblées. Et une fois la proposition législative publiée, il s'écoule encore huit semaines durant lesquelles le citoyen peut réagir.

Il en est de même pour les projets d'actes délégués et d'actes d'exécution, qui sont les actes non législatifs que prend la Commission. Désormais, ces projets d'actes sont eux aussi soumis à consultation pendant quatre semaines. La Commission reconnaît néanmoins qu'elle doit mieux documenter le rendu qu'elle fait des consultations lancées.

Enfin, les évaluations rétrospectives se développent de plus en plus. Le comité d'examen de la réglementation est aussi compétent pour les examiner. Il en a examiné 7 au cours de cette année. Ces évaluations ex post sont une voie de progrès et ont vocation à nourrir les études d'impact. Mme BUCHER a indiqué que certaines de ces évaluations, non encore publiées, révélaient des difficultés de mise en oeuvre de la législation, surtout à l'échelon local. Cette difficulté est aussi ressentie par l'Allemagne en raison de son organisation fédérale.

Si l'on se penche maintenant sur les résultats, je vous concède mon scepticisme sur la simplification à l'échelon européen : l'organisation administrative y paraît si complexe que l'on est en droit de douter de son efficacité. Bruxelles n'a pas chiffré au préalable le niveau des charges à réduire et ne s'est pas fixé d'objectif en la matière. M. Colombani, membre français du cabinet Timmermans, nous a indiqué qu'un tel objectif général serait en fait délicat à fixer au seul échelon européen. En effet, l'adoption d'une norme européenne peut entraîner la suppression de 28 normes nationales. La Commission ne s'applique pas non plus le principe du « One in, One out ». Les progrès sont donc difficiles à mesurer. La production de règles est sans doute ralentie, certaines règles sont supprimées et des coûts inutiles sont évités, mais rien ne dit que le stock net de règles régresse. À mon sens, la complexité ne diminue pas ; elle s'accroît seulement moins vite.

Dès lors, que faire pour progresser ? Il convient en premier lieu de s'assurer du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le secrétaire général de la Commission a insisté sur l'importance pour le droit européen de respecter ces principes, qui sont en effet le premier rempart à l'accumulation des normes européennes. Le principe de subsidiarité prévoit que l'Union Européenne ne peut intervenir, dans les domaines de compétences partagées, que si et dans la mesure où elle peut agir plus efficacement que les États membres à leurs échelons national ou local. Le principe de proportionnalité, lui, exige que le contenu et la forme de l'action de l'UE n'excèdent pas ce qui est nécessaire à la concrétisation des objectifs des traités. Notre commission des affaires européennes s'y emploie.

Le deuxième vecteur de simplification à encourager est la reconnaissance mutuelle. La présidente du comité d'examen de la réglementation a même indiqué que le comité faisait des suggestions en ce sens, par exemple pour la reconnaissance des qualifications professionnelles. Le manque de confiance entre les États peut cependant constituer un frein à la reconnaissance mutuelle. Business Europe a pourtant insisté sur le fait que les entreprises européennes souffraient des différences de règles entre États membres : la reconnaissance mutuelle profiterait aux entreprises en supprimant les barrières techniques nationales.

Enfin, il n'y aura de vrai progrès, selon la Commission, que grâce à une meilleure articulation entre institutions européennes et États membres. Ne pouvant réaliser systématiquement une étude d'impact pour chaque pays, la Commission invite les États membres à contribuer à leur élaboration. Elle suggère également au Conseil et au Parlement européen d'analyser eux-mêmes l'impact de leurs amendements. Enfin, la Commission souhaite trouver un meilleur équilibre entre les États et Bruxelles pour que chacun assume sa responsabilité. Par exemple, pour la protection des habitats naturels, la législation adoptée dans les années 1990 est controversée pour de mauvaises raisons : des règles nationales et régionales ont bien souvent inutilement complexifié le dispositif adopté au niveau européen. La Commission, qui assure déjà un suivi de l'avancement des transpositions, a annoncé vouloir assurer une plus grande homogénéité dans leur mise en oeuvre par les États membres. Souvent, la norme nationale se trouve complétée ou adaptée à l'occasion de la transposition de la directive européenne, ce qui conduit à une fragmentation.

La Commission appelle donc de ses voeux une revue du droit en vigueur, en commun avec chaque État membre. La Commission souhaiterait réunir les parlements et les administrations nationaux, ainsi que le Parlement européen pour clarifier les responsabilités et mieux vérifier l'adéquation de la norme européenne au but visé. L'accord interinstitutionnel invite déjà les États membres à informer la Commission et expliquer à leurs citoyens les exigences supplémentaires décidées lors de la transposition des directives en droit national.

Chacun a sans doute une responsabilité et un rôle à jouer dans la complexité européenne. Un changement de culture législative à l'échelle de l'UE ne se produira que si chaque acteur du système s'implique. Il me semble déjà que la France aurait intérêt à s'engager dans une revue du droit européen avec Bruxelles pour clarifier la ligne séparant les obligations européennes de la surtransposition ; elle devrait aussi s'armer pour mieux évaluer et suivre l'impact de la réglementation européenne.

Je vous laisse maintenant réagir à cette présentation, et invite ceux qui ont participé à notre déplacement à Bruxelles à nous faire part de leurs impressions.

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