Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, que nous examinons en nouvelle lecture aujourd’hui, avait pour objectif initial de faire renaître, partout en France, un sentiment d’appartenance à la Nation, de recréer un lien à la citoyenneté parfois rompu et de répondre au malaise, voire au mal-être, traversant notre pays.
Pourquoi tant de citoyens français, pourquoi tant de jeunes, habitant souvent dans des quartiers défavorisés, n’ont plus ni le sentiment ni l’envie d’appartenir à la même nation et se sentent exclus de la société ? Notre devoir de législateurs et de responsables politiques est de proposer des solutions pour sortir de cette crise.
Je suis élu d’un département, la Seine-Saint-Denis, qui vit, souvent de manière encore accrue, les conséquences du creusement de ce fossé entre nos concitoyens. Voilà pourquoi, avec mes collègues du groupe UDI-UC, j’ai abordé ce projet de loi avec un grand sens des responsabilités et, pour tout dire, un a priori plutôt favorable.
Malheureusement, dès la première lecture du texte à l’Assemblée nationale, les objectifs initiaux du projet de loi se sont dilués dans des dizaines, voire des centaines de mesures. Tous les qualificatifs pour décrire cette inflation créatrice des députés ont été utilisés ! Or la loi n’est utile, efficace et comprise que si elle est claire et concise et que si elle répond à des objectifs cohérents.
Nos deux rapporteurs, Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, ont réalisé en première lecture un travail de proposition, mais aussi de relecture juridique, que je tiens à saluer à cet instant. Elles ont ainsi pris comme règle de conduite de ne conserver que des mesures directement en lien avec l’objectif visé, n’alourdissant pas le poids des normes sur les collectivités et efficaces pour nos concitoyens.
Nos deux rapporteurs ont rappelé quelques-unes des dispositions que le Sénat a adoptées en première lecture et qui symbolisent tout son travail, mais que l’Assemblée nationale a intégralement repoussées lors de la commission mixte paritaire, puis en nouvelle lecture.
En procédant, avec talent, à cet inventaire, elles ne se sont pas livrées à un procès, comme l’affirme Jean-Pierre Sueur ! Bien au contraire, elles ont établi un constat : celui du fossé existant entre les rédactions des deux assemblées. Or, tirer les conséquences de cette situation, c’est suivre la logique même du travail parlementaire et du bicamérisme.
Cessons de caricaturer nous-mêmes les positions des uns et des autres : agir ainsi ne fait qu’affaiblir la démocratie parlementaire. Je le répète, un fossé profond sépare les textes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Nos rapporteurs étaient dans leur rôle en formulant cette mise au point.
Tout d’abord, en matière d’éducation, qu’il s’agisse du contrôle de l’instruction à domicile ou de la législation applicable aux conditions d’ouverture des établissements privés d’enseignement scolaire, nos collègues députés n’ont pas du tout entendu les propositions sénatoriales. Nous nous étions pourtant efforcés de trouver un compromis. À mon sens, nous avions fait œuvre utile pour l’amélioration de ce projet de loi. L’Assemblée nationale n’en a, hélas, tenu aucun compte.
Ensuite, pour ce qui concerne la révision de la loi SRU, nous avions souhaité, sur l’initiative de Mme Estrosi Sassone, rapporteur, ménager plus de souplesse, en fonction des communes, quant au respect des quotas de construction. Il ne s’agissait pas d’abandonner ces objectifs, mais de les rendre réalistes au regard des réalités propres à chaque territoire. La loi doit être souple pour être bien appliquée dans des situations locales souvent très diverses.
L’instauration d’un contrat d’objectifs et de moyens entre le maire et le préfet permettait de respecter ces différentes volontés, pour définir, d’un côté, le taux de logements sociaux que la commune devait atteindre, et, de l’autre, l’échéance à laquelle elle devait y parvenir.
Madame la ministre, je ne puis évoquer ces dispositions sans revenir rapidement sur l’amendement que vous avez défendu à cet égard au nom du Gouvernement, et qui avait pour objet la création d’une foncière nationale solidaire.
Mes collègues Valérie Létard et Daniel Dubois ont exprimé toutes les craintes que ce projet leur inspirait : concurrence avec les politiques locales menées par les établissements publics fonciers locaux ; déstabilisation du marché immobilier ; mais, surtout, recentralisation de la décision, comme vous l’avez déjà fait au titre du 1 % logement.
Le Sénat a donc repoussé votre proposition, que l’on a ensuite vu revenir subrepticement dans le projet de loi sur le statut de Paris. Quelle est la logique consistant à proposer ce dispositif dans n’importe quel texte ? Le Conseil constitutionnel est ainsi prévenu que, d’une manière ou d’une autre, il constituera un cavalier législatif !
Enfin, j’évoquerai les mesures en faveur de l’égalité réelle. Il est difficile de faire des choix au milieu de tant d’articles, qui, comme l’a judicieusement indiqué ma collègue Françoise Gatel, constituent un « cabinet de curiosité ».
On peut noter nos désaccords profonds sur la question des concours de la fonction publique, en particulier sur la création d’un super-fichier collectant l’ensemble des données des candidats à un concours administratif tout en recensant leurs origines socioprofessionnelles, familiales et même géographiques. Nous ne pouvons qu’être sceptiques quant à la constitutionnalité d’un tel dispositif.
Au total, les désaccords persistants entre le Sénat et l’Assemblée nationale, les ajouts perpétuels, et souvent sans grand lien avec le texte initial, font de ce projet de loi Égalité et citoyenneté, au mieux une occasion manquée, au pis un faux alibi électoral. C’est pourquoi nos deux rapporteurs, suivies par la commission spéciale, ont proposé d’opposer une question préalable au présent texte au titre de cette nouvelle lecture.
Monsieur, madame les ministres, n’allez pas dire que le Sénat refuse d’imprimer sa marque sur ce projet de loi ou que la majorité sénatoriale rechigne à travailler. Les propositions et les débats ont eu lieu en première lecture, et ils ont précisément démontré le contraire.
On sent bien que la période électorale approchant a incité les députés et le Gouvernement à faire de ce texte le dernier marqueur politique qu’ils pouvaient sauver de ce quinquennat. Ce constat est regrettable, car nombre d’enjeux ici soulevés sont primordiaux pour les Français, en particulier pour ceux d’entre eux qui – je les évoquais en préambule – vivent dans des quartiers particulièrement difficiles et ont besoin de se sentir pleinement intégrés dans notre société. Je suis convaincu qu’il y avait mieux à faire.
En conclusion, les sénateurs du groupe UDI-UC suivront les préconisations des rapporteurs en votant la question préalable sur ce texte, lequel se résume à de bonnes intentions ou à des marqueurs idéologiques ne répondant pas aux attentes réelles de notre pays.