Intervention de Sylvie Bermann

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 décembre 2016 à 8h35
Audition de Mme Sylvie Bermann ambassadeur de france auprès du royaume-uni de grande-bretagne et d'irlande du nord

Sylvie Bermann, ambassadeur de France auprès du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord :

Tout d'abord, il existe une possibilité d'étendre la négociation en cas d'accord unanime des autres pays.

Par ailleurs, les Britanniques estiment qu'il est impossible de régler toutes les questions en deux ans. On peut régler le problème du divorce, mais non celui des relations avec l'Union européenne.

Pour « ne pas tomber de la falaise » - pour reprendre leur expression - les Britanniques réfléchissent à un accord de transition, même si cela n'a pas encore été formulé. Cela peut prendre un certain nombre d'années.

En ce qui concerne la date butoir, il en existe en fait deux différentes. Pour les Européens, la date est celle de 2019 et des élections au Parlement européen. Pour les Britanniques, la date est davantage celle des élections britanniques, c'est-à-dire 2020. Cela étant, ils espèrent aller le plus vite possible.

Michel Barnier a parlé d'une durée de dix-huit mois pour recueillir l'accord des États membres et du Parlement. Je ne sais pas si c'est tenable ou non. Theresa May avait dit au Président de République, en juillet, qu'il leur fallait du temps pour se préparer et élaborer des options, mais que la négociation serait ensuite plus rapide. Je pense encore une fois que celle-ci sera bien plus difficile qu'ils ne l'imaginent.

En matière de défense, Français et Britanniques partagent une relation de défense exceptionnelle, que ce soit en termes capacitaires ou en termes d'échanges d'officiers - quarante-six de chaque côté dont certains qui participent directement au combat. On a créé une force conjointe qui peut monter jusqu'à dix mille hommes. On intervient conjointement au Conseil de sécurité. Je pense que la dimension bilatérale demeurera.

La dimension européenne intéresse aussi les Britanniques. Ce sont eux qui commandent la force Atalante, à Northwood. Ils sont également intéressés par l'Agence de défense européenne, ainsi que par des opérations comme Sophia, en Méditerranée. Ils y participent et l'ont présentée avec nous au Royaume-Uni. Le problème est de savoir comment faire.

Il y a quatorze ans de cela, j'étais ambassadeur au Comité politique et de sécurité de l'Union européenne (CoPS), qui monte les opérations de sécurité de l'Union européenne. Qu'il s'agisse du plan de commandement ou du plan d'opération, tout est fait au COPS. Ils n'y seront plus.

Ils imaginent des statuts d'observateurs, qui leur permettraient d'y être ou d'être associés. Pour le moment, on n'en sait rien. Très peu ont travaillé là-dessus. Les Britanniques se sentent plus libres dans ce domaine, l'électorat britannique ne s'étant jamais prononcé sur ces questions. Ils pensent donc disposer d'une marge de manoeuvre plus importante.

Pour ce qui est de la question des banques, on peut effectivement s'interroger sur le retour à New York. C'est en tous cas ce que nous disent des banquiers, y compris ceux qui sont favorables au maintien dans l'Union européenne ou qui souhaitent obtenir un accord aussi proche que possible des conditions initiales. Ils affirment que le fait d'ouvrir des sièges ou des succursales sur le continent leur reviendrait plus cher, pour des activités qui ne sont pas indispensables.

Ils font valoir qu'il existe un système d'équivalence avec New York. Tout cela n'est pas clair. Nous avons intérêt à maintenir nos démarches. Démarches qu'ils nous reprochent d'ailleurs, mais je leur réponds que nous sommes dans un système de libre concurrence. Ce sont eux qui nous l'ont appris : ils peuvent donc difficilement le contester.

Les banquiers nous disent qu'ils espèrent le meilleur et se préparent au pire. Ils sont en train de mettre en place un dispositif qui sera activé si l'accès au marché unique est impossible et s'ils perdent le passeport européen, tout en espérant que des accords interviendront d'ici là. Il faut compter environ deux ans pour que les transferts s'opèrent.

Les retours sont peu nombreux, si ce n'est ceux d'HSBC, qui possède déjà une implantation en France, et qui n'a donc rien à créer. C'est plus facile.

Calais constitue une épine qu'on a retirée du pied de la Grande-Bretagne. Ils sont conscients des voix qui appellent en France à dénoncer les accords du Touquet. Les Britanniques se sont félicités de l'accord intervenu. Ils ont accepté jusqu'à présent trois cent soixante-dix mineurs et examinent le cas d'un certain nombre d'autres. Des polémiques sont en train de naître au Royaume-du fait de l'âge de certains d'entre eux, qui sont majeurs. Cela a fait la première page des journaux. Nous maintenons la pression.

Pour ce qui est de la perception des étrangers, certains estiment que les Britanniques font preuve d'hypocrisie. On parle essentiellement de ressortissants européens. En réalité, l'hostilité aux étrangers est bien plus large - encore que d'autres disent qu'ils ont tellement l'habitude de voir des gens du Commonwealth que cela choque moins que des Polonais !

Le problème vient du solde migratoire net de trois cent trente mille. Dans certaines villes, les étrangers sont devenus majoritaires.. Les Britanniques ont le sentiment que les étrangers prennent la place de leurs enfants. En outre, les enfants issus de l'immigration sont meilleurs que les enfants des classes défavorisées britanniques. C'est un vrai problème social, qui doit être réglé. C'est pourquoi Theresa May essaye de définir une politique industrielle, afin de régler la situation des personnes sans qualification. Au Royaume-Uni, le taux de chômage est seulement de 4,8 %, mais il est plus fort dans les populations blanches déclassées. C'est une autre difficulté, à laquelle il faudra remédier, mais cela n'a rien à voir avec l'Union européenne.

Quant à l'Europe elle-même, c'est à elle de se construire, de se définir et d'avoir des projets. C'est ce qui a été fait à Bratislava.

Le risque est que les autres pays souhaitent diviser Union européenne et jouer sur ses faiblesses. Vous avez évoqué la Chine. Le concept de seize plus un est antérieur au Brexit. Il remonte à 2012. Les Chinois ont toujours eu tendance à travailler de façon bilatérale, tout en sachant que le poids de l'Union européenne porte sur les questions commerciales, le statut d'économie de marché, et qu'ils ne peuvent y échapper.

Ils espèrent trouver dans le Royaume-Uni un partenaire favorable au libre-échange. C'est pour le moment le seul entièrement acquis au statut de marché, mais il sera cependant affaibli. Soixante-cinq millions d'habitants, c'est environ la moitié d'une province chinoise.

C'est à nous qu'il appartient de défendre l'Union européenne et d'en faire une entité de poids face à des puissances-continents comme les États-Unis ou la Chine.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion