Intervention de Makhtar Diop

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 décembre 2016 à 8h35
Audition de M. Makhtar Diop vice-président de la banque mondiale pour l'afrique

Makhtar Diop, vice-président Afrique de la Banque mondiale :

Monsieur le président de la commission, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui et je débuterai mon propos avec une présentation d'ensemble de l'économie africaine, avant de m'arrêter sur les différents points que vous venez de soulever. Il y a peu, l'Afrique était l'une des régions du monde affichant la croissance économique la plus forte. Et ceci, grâce à de bonnes politiques macroéconomiques, un meilleur climat des affaires facilitant les investissements étrangers, et bien sûr des cours des matières premières toujours plus élevés. Ainsi, les critères de convergence de l'Union économique et monétaire Ouest-africaine (UEMOA) avaient été respectés pour l'essentiel, - les pays d'Afrique de l'Est observant la même discipline budgétaire -, et l'inflation avait été réduite significativement dans la plupart des pays. Des efforts avaient été poursuivis pour améliorer le climat des affaires, que nous mesurons à la Banque mondiale avec l'indicateur « Doing Business ». En outre, le cours élevé des matières premières avait permis aux pays de relancer la croissance par des investissements publics élevés. Un pays comme le Congo avait ainsi consacré près de 40 % de son budget aux investissements publics, deux ans auparavant, lorsque le cours du baril était particulièrement élevé. Malheureusement, les conditions économiques sont aujourd'hui nettement moins favorables. La longue période de croissance économique, à plus de 5 % par an, paraît lointaine et l'Afrique, tout comme le reste du monde, doit faire face à des vents contraires : le super-cycle des matières premières a pris fin, le ralentissement de nombreuses économies émergentes nuit aux échanges et aux investissements et le resserrement des conditions financières représente un frein supplémentaire à la croissance. Le Nigéria, l'Angola et l'Afrique du sud connaissent notamment une croissance très faible. Le Nigéria en particulier est entré en récession au terme de trois trimestres de croissance négative, à la suite des contrecoups de la chute des cours des matières premières. Ces pays doivent de surcroît s'adapter à des conditions de financement moins favorables et faire face aux incertitudes pesant sur leurs politiques économiques, en réduisant de manière significative leurs dépenses publiques. De ce fait, la réduction des investissements publics ne peut qu'induire de sérieuses conséquences sur la croissance à long terme des économies.

Quelles sont les perspectives pour l'Afrique en 2017 ? Le taux de croissance économique pour 2016 devrait atteindre son taux le plus bas depuis plus de vingt ans à 1,6 % ; celui-ci devrait d'ailleurs être révisé à la fin de l'année suite à de nouvelles projections. Etant donné un taux de croissance démographique élevé à 2,7 %, certains pays de la région connaîtront une réduction de leur PIB par habitant. Cette situation n'est nullement uniforme. En effet, certains pays, qui s'appuient sur les recettes pétrolières et gazières, ont connu un taux de croissance plus bas, tandis que d'autres, moins dépendants des fluctuations de ces marchés, comme le Rwanda, le Sénégal ou la Côte d'Ivoire, ont enregistré des taux de croissance d'au moins 5 %.

Il est certain que ces taux de croissance nous imposent des défis importants, parmi lesquels la transformation structurelle des économies. Il faudra veiller à ce que les pays exportateurs de matières premières parviennent à assurer la diversification de leur économie, en misant notamment sur l'agriculture. En effet, la majeure partie du continent africain dispose de terres et d'eau en abondance, qui sont autant de facteurs essentiels à une agriculture prospère. Mais la productivité du secteur qui emploie 60 % de la population active reste très faible. Le coût des produits alimentaires en Afrique est très élevé et la protéine animale reste un luxe pour la plupart des Africains. Les pays africains continuent ainsi à importer des produits de base. Pour vous donner un exemple, la République démocratique du Congo, malgré ses réelles capacités dans le secteur agricole, importe plus de 1,5 milliard de dollars de nourriture par an, ce qui induit un coût de la vie plus important et un déséquilibre de la balance des paiements.

Améliorer la productivité agricole est donc essentiel pour permettre une croissance durable et tournée vers les pauvres. Nos études démontrent que l'élasticité pauvreté-croissance est la plus forte dans le secteur agricole en Afrique : l'augmentation de la croissance du secteur alimentaire induit une réduction plus importante de la pauvreté, en comparaison avec les autres secteurs économiques. C'est pour nous une priorité. Il nous faut cependant choisir le type de croissance agricole à promouvoir : comment concilier la création de grandes fermes agricoles avec le soutien aux petits exploitants ? Cette problématique concerne la gestion de la terre qui renvoie aux systèmes juridiques locaux. Ainsi, dans l'Afrique francophone, subsiste principalement un domaine national, à l'instar de ce qui s'est passé en France, tandis qu'en Afrique de l'Est, la propriété privée, héritage du système colonial britannique, tend à être la règle. Il nous faut aujourd'hui trouver des formes adaptées pour sécuriser l'exploitation agraire et assurer les investissements nécessaires au soutien de la productivité. A cette problématique s'ajoute celle de la culture dans les zones arides et semi-arides, et notamment au Sahel, où il est difficile de sécuriser la production agricole en raison de l'absence d'irrigation. Avec l'Agence française de développement (AFD), qui est un partenaire privilégié de la Banque mondiale en Afrique, nous comptons travailler à des programmes d'irrigation beaucoup plus soutenus. D'ailleurs, les personnes déplacées en raison des conditions climatiques tendent à émigrer vers l'Europe. C'est pourquoi, trouver des réponses aux problèmes de ces pays soumis directement aux chocs exogènes climatiques nous paraît essentiel.

Nous devons faire face également à l'explosion démographique, qui peut représenter un avantage si les jeunes entrants sur le marché du travail - estimés à près de onze millions par an durant la prochaine décennie -sont formés. Si ce n'est pas le cas, ces jeunes actifs deviennent un problème, non seulement pour les pays africains, mais aussi pour l'Europe qui devra absorber cette main-d'oeuvre excédentaire en Afrique. Nous avons certes accompli des progrès dans le secteur éducatif et l'accès à la scolarisation est assuré dans la plupart des pays. Malheureusement, cet accroissement de l'accès s'est accompagné d'une baisse de la qualité de l'éducation. Les formateurs et les enseignants du primaire et du secondaire sont moins bien formés qu'auparavant et l'enseignement n'est plus rejoint par les meilleurs étudiants. La qualité de l'enseignement supérieur s'est également dégradée en Afrique. J'en appelle à vous, Mesdames et Messieurs les sénateurs, pour soutenir le rôle que la France peut jouer dans ce domaine. Votre pays a, aux cours des dernières décennies, formé des générations de cadres professionnels et hommes politiques africains. Si la France doit tirer parti de cet atout dans ce domaine, elle ne peut absorber à elle seule l'ensemble des étudiants qui souhaitent rejoindre ses filières. En soutenant la création d'établissements supérieurs de niveau international sur le continent grâce, entre autres, à des partenariats avec les grandes écoles et universités françaises, nous pourrions aider les jeunes Africains à satisfaire leurs aspirations sans devoir s'expatrier et aider les entreprises à trouver localement des profils de qualité. Les grands campus américains se sont implantés sur le territoire africain, comme Carnegie Mellon qui a ouvert un programme de master en informatique au Rwanda. Sciences Po a également fait des efforts dans ce sens avec son programme Europe-Afrique. L'ESSEC a implanté un campus à Rabat au Maroc, l'Ecole polytechnique devrait accueillir plus d'étudiants sénégalais et initier un programme de coopération avec la Côte d'Ivoire. De tels projets ne sont qu'embryonnaires, mais sachant qu'un quart de la population africaine sera francophone en Afrique d'ici 2100, le potentiel de tels partenariats est énorme et les pouvoirs publics pourraient soutenir des projets analogues que d'autres institutions françaises seraient susceptibles de conduire.

Le changement climatique fournit un deuxième champ d'action. La France est un pays leader dans ce domaine, comme en témoigne le succès de la COP 21, dont la plupart des Etats africains ont ratifié l'accord, et de la COP 22. La Banque mondiale a lancé le programme « Business for Climate change in Africa » qui vise à créer, en collaboration avec les pays africains, les conditions d'une bonne adaptation. Jusqu'à la COP 21, l'essentiel des programmes concernait l'atténuation et ne concernait que partiellement les Etats africains qui sont de faibles émetteurs de carbone, tout en étant victimes du réchauffement climatique. Désormais, l'adaptation est prise en compte et concerne notamment l'érosion côtière, qui menace certaines capitales africaines qui se trouvent sur le littoral, et la promotion de l'énergie propre. A cet égard, l'énergie solaire, qui est devenue extrêmement compétitive, peut permettre une transition énergétique depuis les hydrocarbures vers une énergie propre, durable et peu onéreuse, tout comme l'hydroélectricité. Nous comptons travailler dans ce secteur avec l'AFD et nous comptons beaucoup sur l'appui de la France pour lancer un vaste programme solaire sur le continent africain.

J'en viens à présent à la fragilité des Etats en Afrique, due à de nombreux facteurs, parmi lesquels le changement climatique. Nombre de conflits internes résultent de la raréfaction des sources naturelles sur le continent. Les déséquilibres géographiques sont aussi à l'origine des conflits et l'Europe est, à cet égard, une source d'inspiration. En effet, l'affirmation du projet de l'Union européenne a impliqué de nombreux transferts économiques et financiers vers les pays les plus faibles économiquement, voire certaines régions d'un même pays. Ces disparités territoriales deviennent de plus en plus importantes en Afrique, comme entre le Nord et le Sud du Mali ou du Nigeria et sont autant de sources de fragilité. Remédier à ces disparités territoriales s'avère un objectif essentiel des actions que nous conduisons en partenariat avec l'AFD en Afrique francophone, comme en Centrafrique, où s'est récemment déroulée une conférence des bailleurs et dont le processus démocratique et le retour à la croissance doivent être soutenus, ou autour du Lac Tchad ou encore au Mali. La France est donc un partenaire essentiel de la Banque mondiale dans les Etats fragiles où nous comptons augmenter notre présence physique.

La fragilité est aussi due à des déséquilibres géographiques. Ce phénomène d'inégalités territoriales, par lequel on peut identifier « deux pays au sein d'un même pays », est manifeste dans plusieurs pays africains. De meilleurs indicateurs de développement humain dans une région d'un pays particulier sont corrélés à des investissements plus élevés dans l'éducation et la santé dans cette même région. Ces déséquilibres accentuent les inégalités, perpétuent le manque d'opportunités économiques et sont sources de conflits au sein des pays, avec un impact important pour les Etats voisins.

J'aborderai maintenant la question des migrations qui dépasse de loin le Proche-Orient et ses conflits. Lors du dernier sommet d'Istanbul consacré aux migrations, les Etats africains ont déploré la relative indifférence de la communauté internationale aux courants migratoires qu'ils connaissent eux-mêmes. En effet, l'Afrique accueille un quart des déplacés du monde ; il y a en ce moment 18 millions de personnes déplacées en Afrique, parmi lesquels 12,5 millions sont des déplacés internes ! Et certains camps de réfugiés existent depuis 40 ans, avec un coût énorme pour les gouvernements et populations hôtes. Au Kenya par exemple, le coût réel du soutien aux réfugiés a été estimé, par le Haut-commissariat aux réfugiés de l'Organisation des Nations Unies, à 230 millions de dollars en 2016. Il est important de reconnaître que la crise des réfugiés ne va pas se résoudre rapidement. La question du rapatriement de ces populations est difficile et, sans le soutien de la communauté internationale et une approche sous l'angle du développement, il s'avère impossible de solutionner cette question de manière efficace. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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