Intervention de Jacques Grosperrin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 décembre 2016 à 10h00
Proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l'enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l'avenir — Examen du rapport

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin, rapporteur :

Cette proposition de résolution, qui a été rejetée il y a quelques semaines la commission des affaires européennes, pose des questions fondamentales à notre société : Quels sont les besoins de financement à l'horizon 2025 de l'enseignement supérieur européen, face à la massification des effectifs et dans un contexte de concurrence internationale accrue ? Quelle répartition entre financement public et financement privé ? Telles sont les questions, lourdes d'enjeux d'avenir pour notre continent, que nous pose le texte que nous examinons aujourd'hui.

Reprenant très directement l'une des propositions du comité pour la StraNES en matière de financement de l'enseignement supérieur, la présente proposition a pour objet, en premier lieu, de reconnaitre l'enseignement supérieur comme « un investissement nécessaire à l'avenir », en deuxième lieu, d'amener les dépenses d'enseignement supérieur à 2 % du PIB européen à l'horizon 2025 et, en dernier lieu, d'exclure les dépenses d'enseignement supérieur et de recherche du calcul des déficits publics.

S'agissant du premier point, je pense que nous serons tous d'accord pour reconnaître l'enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l'avenir. C'est bien évidemment un objectif de l'Union européenne comme en témoignent la Déclaration de la Sorbonne de 1998, le Processus de Bologne lancé en 1999, la Stratégie de Lisbonne définie en 2000 et la Stratégie « Europe 2020 » de 2010, confirmée très récemment à la conférence d'Erevan en 2015. C'est aussi un objectif de ses États membres, en premier lieu la France comme l'ont prouvé les travaux de la StraNES. La reconnaissance par l'Union et par les États membres de l'enseignement supérieur comme un « investissement nécessaire à leur avenir » n'est donc pas, à mes yeux, un sujet nécessitant l'adoption d'une résolution européenne.

S'agissant du deuxième point qui propose d'amener les dépenses d'enseignement supérieur à 2 % du PIB européen à l'horizon 2025, nous savons tous que les besoins de financement de l'enseignement supérieur sont très élevés si nous voulons faire face à la fois à la massification des effectifs et aux besoins d'amélioration et de modernisation continue des prestations offertes par les établissements, dans un contexte de vive concurrence internationale.

Mais l'objectif des 2 % du PIB est encore loin : la France est en dessous de 1,5 %, l'Union européenne dans son ensemble n'atteint pas les 1,3 %, loin derrière les États-Unis et le Canada qui dépassent les 2,5 %. L'objectif de 2 % du PIB européen consacré à l'enseignement supérieur est donc un objectif certainement souhaitable mais très ambitieux. Comment l'atteindre ?

La proposition de résolution nous propose que « les dépenses d'enseignement supérieur soient essentiellement couvertes par un financement public ». Pour ma part, je considère que l'État ne peut supporter à lui seul la charge de l'investissement dans l'enseignement supérieur : les établissements doivent aussi pouvoir développer leurs ressources propres. Vous l'aurez compris, si je partage l'ambition des auteurs de la proposition de résolution s'agissant des besoins de financement du secteur de l'enseignement supérieur, je considère que la répartition entre financement public et privé qu'ils préconisent est malheureusement irréaliste.

Le troisième point vise à exclure les dépenses d'enseignement supérieur et de recherche du calcul des déficits publics. Depuis son entrée en vigueur en 1997, le Pacte de stabilité et de croissance fixe respectivement à 3 % et 60 % du PIB les valeurs de référence pour le déficit budgétaire annuel et l'endettement public. Même si le principe d'égalité de traitement entre tous les États membres est un élément central de l'application des règles du Pacte, celui-ci prévoit néanmoins une certaine souplesse dans ses modalités d'application : il laisse notamment à la Commission et au Conseil une marge de manoeuvre pour évaluer la viabilité des finances publiques à la lumière des circonstances spécifiques à chaque pays.

L'existence de cette « marge d'appréciation » a conduit la Commission à publier une communication interprétative en janvier 2015 qui a précisé les conditions dans lesquelles trois dimensions politiques spécifiques (des réformes structurelles, des conditions conjoncturelles et des investissements publics) pouvaient être prises en compte dans l'application des seuils de référence. Depuis lors, la Commission a fait application de ces nouvelles dispositions à plusieurs reprises s'agissant notamment des dépenses liées à l'accueil des réfugiés, des dépenses de sécurité de la France et des dépenses liées aux tremblements de terre en Italie.

Mais le principe de la dérogation à l'application des règles du Pacte est loin de faire l'unanimité parmi les États membres comme parmi les experts internationaux. Le Conseil l'a largement encadré fin 2015 et la commission des affaires européennes du Sénat a très récemment adopté une proposition de résolution européenne déplorant la multiplication, depuis 2015, des clauses de flexibilité qui renforcent selon elle l'opacité autour de ce dispositif. Il ne me paraît donc pas souhaitable de demander la création d'une nouvelle dérogation à l'application des règles du Pacte de stabilité et de croissance.

Vous l'aurez compris, en dépit d'un certain nombre de convergences avec ses auteurs, je vous recommande de confirmer la position de la commission des affaires européennes et de ne pas adopter la proposition de résolution européenne qui nous est soumise aujourd'hui.

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