Après Berlin, Stockholm et Bruxelles, c'est en effet à La Haye que nous nous sommes rendus le 14 novembre dernier. Nous avons ainsi achevé notre tournée européenne à la rencontre des acteurs principaux des politiques de simplification menées par nos voisins. Nous étions cinq sénateurs à La Haye : notre présidente était accompagnée de Mmes Nicole Bricq et Patricia Morhet-Richaud, de M. Jean-Pierre Vial et de moi-même.
Nous y avons entendu des représentants du Gouvernement, et plus précisément de deux ministères : celui de la justice et celui de l'économie, ainsi que le président d'ACTAL, l'organe chargé de la simplification. Nous avons également rencontré des députés néerlandais lors du déjeuner à la résidence de France. Enfin, nous avons pu échanger avec un représentant de VNO, principale organisation patronale aux Pays-Bas.
Les Pays-Bas apparaissent comme des pionniers de la simplification en Europe : elle y est vue comme un outil au service de la croissance et y est donc logiquement pilotée par le ministère de l'économie. C'est lui qui contrôle le respect du principe de compensation « one in, one out »: lorsqu'une règle est créée, il faut proposer la suppression d'une autre de coût équivalent. Cette compensation s'effectue au sein du même ministère (c'est une compensation spécifique au secteur concerné) mais, si ce ministère n'y parvient pas, elle peut être assumée par un autre ministère (on parle alors de compensation générique). Le ministère de l'économie fait rapport deux fois par an sur l'avancement par rapport à l'objectif de réduction des coûts, qui a été fixé pour 2012-2017, à 2,5 milliards d'euros.
Mais le ministère de la justice a également endossé l'ambition d'alléger la charge administrative : c'est lui qui promeut depuis 2011 une démarche qui permet d'assurer la clarté des règles et qui pose aussi des exigences au regard de leur impact en termes de coût. Il est intéressant de constater ainsi que la qualité du droit, aux Pays-Bas, repose aussi sur l'évaluation de son coût. La politique de simplification ne vise donc pas seulement à réduire la complexité, mais vise à réduire les coûts et les délais.
Ainsi, le ministère de la justice promeut, comme chez nous, une amélioration du service rendu aux entreprises, notamment grâce à une trêve des inspections, auxquelles on préfère l'auto-certification des entreprises, ou encore grâce au principe du « silence vaut accord » ou « lex silencio positivo » comme on dit aux Pays-Bas ! C'est-à-dire que le silence de l'administration, au bout d'un délai fixé, vaut autorisation. Ceci doit permettre d'améliorer le temps de décision de l'administration. Il est intéressant de noter que le ministère de la justice néerlandais pose d'abord comme première question celle qui est trop souvent négligée en France : est-ce nécessaire d'avoir un système d'autorisation ou d'autres alternatives seraient elles préférables ?
En outre, le ministère de la justice supervise que chaque ministère se conforme au « cadre d'évaluation intégral » qu'il a fixé en 2009 et auquel les fonctionnaires ont été formés : ce cadre, désigné par l'acronyme IAK en néerlandais, oblige à examiner toutes les alternatives susceptibles de répondre à un besoin et à s'interroger sur la nécessité de prendre une nouvelle règle ; il privilégie aussi les règles qui offrent une solution proportionnée et qui entraînent le moins de charges possibles, l'évaluation des coûts et charges devant être contrôlée.
Il y a encore quelques années aux Pays-Bas, le dossier d'étude d'impact n'était pas publié avec le projet de loi : le contrôle qualité était donc interne à l'administration. Cela pouvant créer une forme de conflit d'intérêt, a été créé en 2000 un organisme indépendant, le conseil consultatif pour l'examen des charges administratives (ACTAL) : ACTAL conseille le Gouvernement et le Parlement pour respecter l'engagement de réduire les charges réglementaires. Une tentative de restaurer un contrôle interne à l'administration a pris la forme d'une Commission administrative sur l'évaluation des effets (CET), présidée par le ministre de l'économie et composée de représentants des ministères : elle a examiné les résultats de quelques évaluations effectuées par les ministères, son avis étant réputé suffisant pour s'exonérer de celui d'ACTAL. Créée fin 2011, cette commission s'est auto-dissoute en moins de deux ans car, selon ACTAL, il est apparu que le travail d'évaluation de l'étude d'impact ne pouvait être fait de façon objective si le ministère concerné était représenté.
M. Ten Hoopen, président d'ACTAL et ancien député, nous a présenté les trois missions de cet organisme :
- un contrôle en amont des projets : c'est ce qu'on appelle l'examen ex ante. ACTAL évalue tout projet ou proposition de loi ayant un impact majeur sur les charges administratives (soit environ 200 textes par an). Il se saisit donc des textes en fonction de leur importance mais il peut aussi être saisi par la société civile ou le Parlement qui l'alertent sur la charge administrative résultant d'un texte. En quatre à six semaines et après des échanges informels avec le ministère concerné, il rend un avis sur l'étude d'impact, qui est transmis avec le projet au conseil des ministres, lequel peut modifier le projet en conséquence, puis au Parlement. Il arrive qu'ACTAL soit saisi sur des amendements, à la demande du Parlement : il peut alors rendre son avis en quelques jours ;
- deuxième mission d'ACTAL, plus récente (depuis 2011) : évaluer le fardeau réglementaire. ACTAL s'attaque ainsi au stock de règles et cherche à prendre en compte, non seulement le coût administratif c'est-à-dire la charge bureaucratique, mais aussi les coûts de conformité, c'est-à-dire les coûts que cela entraîne plus largement de se mettre en conformité avec une règle existante. Ce n'est donc pas une évaluation ex post à proprement parler : il ne s'agit pas de savoir si la législation a produit les effets escomptés, mais plutôt d'auditer le poids économique du stock de normes qui n'a pas été examiné ex ante pour évaluer le coût induit. ACTAL procède pour cela par secteurs : construction, logistique, hôpitaux...
- troisième mission : donner des avis au Parlement (20 à 25 par an). Les parlementaires que nous avons rencontrés nous ont indiqué que la plupart des amendements ne sont pas examinés par ACTAL au regard de la charge réglementaire qu'ils créent.
Et, depuis deux ans, ACTAL conseille aussi les communes dont le rôle grandit avec la décentralisation.
Les Pays-Bas recourent à deux méthodes pour évaluer les coûts: la méthode standard établie par l'OCDE, ou « standard cost model », qui comptabilise seulement les coûts liés aux obligations d'information à l'administration ou à des tiers découlant d'une norme juridique. C'est la méthode à laquelle recourt aussi l'Union européenne dans sa démarche « better regulation ». La seconde méthode part de l'entreprise elle-même : elle cherche à mesurer le coût, pour l'entreprise, de l'ensemble de la législation, pas seulement de la bureaucratie en résultant. C'est le ministère de l'économie néerlandais qui a élaboré cette méthode, en concertation avec d'autres ministères, ACTAL et le principal syndicat patronal. L'objectif est de mesurer combien coûte à l'entreprise la mise en oeuvre des règles de droit, pour améliorer la transparence mais aussi pour diminuer cette charge. Ces deux méthodes sont utilisées de façon complémentaire pour estimer les coûts d'une réglementation pour les entreprises.
L'efficacité et l'indépendance d'ACTAL nous ont été vantées par VNO, la fédération patronale que nous avons rencontrée et qui représente 80 % des entreprises néerlandaises. Le mandat d'ACTAL est de quatre ans donc la pertinence de son action est évaluée à chaque fois et le sera à nouveau en 2017. ACTAL est dirigé par un conseil de 3 membres (y compris le président), nommés par arrêté royal pour leur compétence : ils sont issus du monde politique, universitaire ou de l'entreprise. Ils sont assistés par un secrétariat de 12 personnes qui viennent de l'administration aussi bien que du privé. Pour assurer sa mission d'évaluation, ACTAL recourt souvent à des consultants externes. Son budget est de 2,1 millions d'euros, dont 500 000 euros de frais d'études. ACTAL est membre de l'association européenne RegWatchEurope qui regroupe les organismes chargés de contrôler la charge réglementaire dans cinq États : Allemagne, Royaume-Uni, Suède, Pays-Bas et République tchèque, seul pays où nous ne nous sommes pas rendus. Lorsqu'ils ont présidé l'Union européenne au premier semestre, les Pays-Bas ont plaidé pour l'instauration d'un équivalent d'ACTAL à l'échelle européenne, un « chien de garde » qui veillerait à ce que soit atteint un objectif quantitatif de réduction des charges au niveau de l'Union.
Quels résultats les Pays-Bas obtiennent-ils en termes de réduction des coûts ? L'objectif qu'ils se sont fixé est en voie d'être atteint, même si les gains sont de plus en plus difficiles à dégager : comme le dit une expression néerlandaise, « les fruits au pied de l'arbre ont déjà été cueillis ! ». Cumulé sur dix ans, cela représente 8 milliards d'euros, soit 1 % du PIB ; cela équivaudrait pour notre pays à 20 milliards d'euros.
Il reste que tous se plaignent encore de la complexité des règles. Les entreprises s'habituent facilement aux simplifications et regardent la charge administrative restante. Pour mieux réguler le flux des nouvelles règles, le Gouvernement a décidé, quand une nouvelle demande émerge, de s'imposer un délai d'au moins six mois avant de présenter un projet de texte normatif. Confronté, comme tous les pays de l'Union européenne, à l'importance du flux de règles en provenance de Bruxelles, il veille aussi à mieux faire évaluer l'impact des règles européennes et à éviter la surtransposition des directives. Enfin, le patronat néerlandais attend une nouvelle dynamique de la mise en place des tests PME qui devront être menés par tout ministère et dont les résultats seront connus en amont.
Ce qui nous a frappés à La Haye, comme d'ailleurs en Suède, c'est le consensus sur le fait que la simplification doit prioritairement bénéficier aux entreprises, afin de favoriser l'emploi et la croissance. Comme en Allemagne et en Suède, les résultats sont là ; ils reposent sur un calcul du fardeau législatif, un engagement chiffré du Gouvernement de le réduire, un suivi rigoureux sous l'oeil des médias, et un organe indépendant qui contrôle l'évaluation faite par l'administration au tout début du processus (et non pas en aval, ce qui serait inutile) : cela crée une émulation entre ministères, chacun redoutant d'être le dernier élève de la classe. Cet organe, qui reste consultatif et non décisionnel, entretient une « saine tension » avec le Gouvernement, pour reprendre les mots du président d'ACTAL, en se prononçant non pas sur l'opportunité d'un texte, mais sur sa nécessité. Il ne fait qu'objectiver les coûts dans le débat politique. Comme nous l'a dit le représentant du patronat néerlandais, les fonctionnaires n'aiment pas ACTAL, mais les politiques et les entreprises, si : c'est bon signe !
Voici des enseignements convergents que nous pouvons tirer de nos déplacements en Europe. Nous les complétons maintenant en menant des auditions à Paris : l'objectif est d'analyser la situation française et de proposer des améliorations pour alléger la charge administrative qui pèse sur les entreprises.